René Pleven : un héritage politique considérable, mais difficile à revendiquer

« Un Français libre en politique », c’est ainsi que Christian Bougeard qualifie René Pleven, dans le titre de la biographie qu'il consacre à l’homme politique, né à Rennes en 1901.1 Pleven a été en effet un acteur politique incontournable durant quatre décennies, à l’échelle nationale, comme régionale mais, curieusement, rares sont aujourd’hui ceux qui se revendiquent de lui.

René Pleven (à droite) avec les grands de ce monde: Clement Attlee, Ernest Bevin et Maurice Schumann. Collection particulière.

Après un début de carrière professionnelle dans le monde de l’entreprise à Londres, en tant que dirigeant d’une société américaine de téléphonie, René Pleven entre en politique en œuvrant pour la France libre. Il devient rapidement l’un des bras droits du général De Gaulle, après avoir porté le projet mort-né d’union Franco-britannique au moment de la capitulation française devant les Nazis. Il joue également un rôle prépondérant dans le ralliement de l'Afrique Équatoriale française (AEF) à la France libre. En 1941, il est l'un des neuf membres du Comité national français à Londres. A la Libération, c’est donc tout naturellement qu’il fait partie du Gouvernement provisoire de la République française, en charge des Finances. A ce poste, il s’affronte à Pierre Mendès-France – chargé de l’économie – pour savoir quelle politique monétaire et économique doit être menée. Les positions moins « rigoristes » du premier l’emportent sur celles du radical-socialiste. Le début de la décennie suivante voit l’acmé de sa carrière politique nationale, avec son accession – par deux fois – à la présidence du Conseil entre 1950 et 1952. Cette carrière ministérielle de premier plan sous la Quatrième république se poursuit brièvement sous la Cinquième, quand il accepte d’être le ministre de la Justice de Georges Pompidou entre 1969 et 1973.

Cependant, René Pleven est loin de n’être qu’un « homme politique parisien ». Dès la Libération, le Rennais de naissance, choisit les Côtes-du-Nord comme ancrage local. Il est ainsi élu député de Dinan en 1945 ; poste qu’il conserve jusqu’en 1969. En outre, il occupe la présidence du Conseil général des Côtes-du-Nord entre 1948 et 1976, date à laquelle Charles Josselin fait basculer le département à gauche.

Dès lors, étant donné cet héritage politique considérable, on peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles René Pleven, ce démocrate-chrétien de conviction, ne fait plus – ou presque plus – partie des références dans les discours politiques en Bretagne. Autrement dit, René Pleven, une mémoire difficile à revendiquer ?

René Pleven face à des journalistes en 1946 (détail). Collection particulière.

Pour commencer, nous avons détaillé le parcours exemplaire de cet homme de la France libre. Mais dans une région ou l’activité des maquis a été importante, autour desquels la mémoire est toujours brûlante, René Pleven est resté un homme de Londres. Il est ainsi sans doute difficile de reconnaître en lui un résistant breton, dont la mémoire pourrait être portée par une association d’anciens résistants.

De même, bien que bras droit du général de Gaulle dans la capitale britannique, René Pleven est loin de partager toutes les convictions de l’homme du 18 juin. S’il soutient son retour aux affaires en 1958, alors que la France est engluée dans la crise algérienne, Pleven est avant tout un européen de cœur. Il se montre alors très critique sur la politique européenne et internationale de Charles de Gaulle, qu’il s’agisse du refus de l’entrée du Royaume-Uni dans la communauté européenne, ou bien du retrait de l’OTAN. Ainsi, à l’instar de Mendès-France, autre homme de Londres, et son adversaire au sein du GPRF, René Pleven s’est montré trop critique vis-à-vis de la politique du général – alors qu’il respectait la personne – pour voir ceux qui se réclament du gaullisme lui faire une place dans leurs références politiques.

Sur le domaine de la régionalisation, Pleven n’est également pas avare de critiques envers le projet du gaullien en 1969. Il souligne notamment le manque de démocratie des futurs assemblées régionales qui resteraient sous la coupe des préfets. Pleven, un régionaliste adversaire du « jacobinisme centralisateur parisien » ? Et bien ce n’est pas si simple à revendiquer, au moins pour les défenseurs actuels du régionalisme breton, qu’ils portent des bonnets rouges ou non. Parce que si l’engagement est sincère – Pleven est l’un des cofondateurs du CELIB et est l’auteur de l’ouvrage intitulé Avenir de la Bretagne2 – la méthode employée est plus contestée puisque Pleven plaide la cause de la Bretagne directement au cœur du pouvoir parisien, dans les ministères, comme à l’Elysée.

Restent donc les centristes bretons pour revendiquer l’héritage de René Pleven, dans une région qui a été fortement marquée par la démocratie-chrétienne. Mais là encore, Pleven ne laisse pas sa « liberté politique » se récupérer aussi facilement ! En effet,ce leader politique breton n’a jamais fait partie du grand parti du centre-droit d’après-guerre : le MRP. Il préfère s’appuyer sur de petites formations politiques centristes comme l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR) entre 1945 et 1958, ainsi que sur son réseau de notables centristes qu’il fréquente au sein du CELIB. Pas facile, là non plus, pour des centristes tiraillés entre de multiples chapelles, de prendre René Pleven comme figure tutélaire.

Ministre de Georges Pompidou en 1969. Collection particulière.

Au final, René Pleven reste l’un des hommes politiques bretons majeurs du XXe siècle. Peu d’entre eux peuvent se prévaloir d’une carrière aussi riche tant sur le plan national que régional. Pourtant, malgré des convictions fortes auxquelles il est toujours resté fidèle, son manque d’engagement au sein d’une formation politique dominante semble rendre plus difficile la revendication de son héritage politique en ce début du XXIe siècle.

Thomas PERRONO

 

1 BOUGEARD Christian, René Pleven, un Français libre en politique, Rennes, PUR, 1994.

2 PLEVEN René, L'avenir de la Bretagne, Paris, Calmann-Levy, 1961.