22 juillet 1950 : la naissance du « miracle breton »

Au cours de la première moitié du XXe siècle, la Bretagne jouit d’une image peu flatteuse  et est perçue volontiers comme archaïque. Le personnage de Bécassine semble d’ailleurs cristalliser l’ensemble des tensions liées à cette représentation péjorative. Le tournage de l'adaptation cinématographique de la bande-dessinée à Perros-Guirrec en juin 1939 est ainsi perçu comme une provocation : « La Bretagne se laissera-t-elle impunément bafouer sa dignité ? » interroge un journaliste du Nouvelliste du Morbihan1 . Conscient de ce retard, les « forces vives » de la région s’unissent dans la diversité, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, pour faire bouger les lignes et dynamiser le territoire et, par la même occasion, en donner une image positive.

A l'initiative du journaliste Joseph Matray et du député, et ancien Français libre, Joseph Halléguen, 150 Bretons « influents » – industriels, membres du mouvement culturel, intellectuels, politiques – se réunissent le 22 juillet 1950 à Quimper,  la veille des fêtes de Cornouailles. Ce jour marque l'acte de naissance du Comité d'étude et de liaison des intérêts bretons (CELIB), institution nouvelle assimilable à un lobby qui profite de l'influence du tout nouveau Président du Conseil, lui aussi éminent Français libre, René Pleven2.  

L'entreprise de ces Bretons trouve écho dans la volonté nationale de rééquilibrer Paris et son territoire. Le constat cinglant est soulevé dès 1947 par Jean-François Gravier dans son ouvrage devenu depuis incontournable, Paris et le désert français3. Or ces années d’après-guerre sont celles d’une certaine planification structurelle, tendance qui s’intègre à la fois dans un contexte de guerre froide avec le Plan Marshall mais aussi dans un climat où les politiques keynésiennes ont le vent en poupe. La volonté de mener une politique nationale d'aménagement du territoire est d’ailleurs clairement exprimée en 1950 par le ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme Eugène Claudius-Petit, qui en profite pour en définir clairement le cadre : « Une politique d’aménagement du territoire ne portera ses fruits que si elle est conçue et poursuivie dans le cadre de la nation tout entière ».

Et puis, d'une certaine manière, le contexte d'après-guerre est paradoxalement assez favorable au CELIB. Certes, la Bretagne conserve les séquelles de la guerre et de ses nombreux bombardements. Brest, Lorient, Saint-Malo, ou encore Bruz portent les stigmates du conflit bien après la reddition sans condition du Reich. Mais la reconstruction constitue un moment privilégié pour moderniser le territoire.

La force du CELIB est, outre l’unité politique, l’ouverture aux intellectuels. Le géographe Michel Phlipponneau tient ainsi une place centrale dès 1952. Son savoir-faire permet l'établissement d'un plan d'aménagement novateur qui porte progressivement ses fruits dans les années 1960 : implantations d'usines industrielles (Citroën à Rennes, Le Joint français à Saint-Brieuc …) et agroalimentaires, création d’un réseau routier efficace qui, pour compenser l'éloignement de la Bretagne, est gratuit4

Pour la Bretagne, le pari du CELIB est une réussite puisque sortie du marasme économique, la région voit son image modifiée et s’éloigner des stéréotypes archaïques qui lui collaient à la peau. Il est vrai que le succès est concrètement visible, et ce d’un simple coup d’œil, tant les réussites industrielles, urbanistiques, techniques… sont nombreuses. Mais c’est probablement du point de vue des mentalités que le pari était probablement le plus dur à relever. Comme le note à raison J. Sainclivier, placer le mouvement breton en situation d’interlocuteur crédible de l’Etat et des collectivités territoriales – sans même parler de position d’acteur pour l’avenir – relève de la gageur au sortir de la guerre. En effet, celui-ci est discrédité par la dérive ultra-collaborationniste et pro-nazie d’individus qui bien que constituant une infime minorité – 80 personnes tout au plus – n’en parviennent pas moins à jeter durablement le discrédit sur l’idée même de mouvement breton5. Le renouveau culturel apparu avec les années 1970 grâce à des figures telles qu’Alan Stivell n’en a dès lors que plus de  saveur.

Yves-Marie EVANNO

 

1« La troupe de M. Pierre Caron installée à Perros-Guirec, tourne Bécassine sous les huées de la foule»,  Le Nouvelliste du Morbihan, 53e année, n° 178, 6 juin 1939.

2 A ce propos, se rapporter à BOUGEARD, Christian, René Pleven, un Français libre en politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1994.

3 GRAVIER, Jean-François, Paris et le désert français : décentralisation, équipement, population, Paris, Flammarion, 1947.

4 Contrairement à une idée largement répandue, la gratuité des routes en Bretagne n'est pas le fait de la Duchesse Anne cf. OLLIVRO, Jean http://www.bretagne-prospective.org/diawel/content/view/142/1/

5 SAINCLIVIER, Jacqueline, « Du CELIB à la région Bretagne : réussite et limites d’une affirmation  identitaire », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, n°11-4, 2004, p. 103-116.