Une renaissance de l’activité toilière dans les années 1960 ?

« Quand la toile va, tout va ! »1, telle aurait pu être la devise de la Bretagne du XVIe jusqu’au XVIIIe siècle, tant cette activité économique a apporté de richesses à la province. Lin et chanvre sont alors cultivés, filés et tissés dans de nombreuses régions bretonnes, afin de produire des toiles pour l’habillement ou des voiles pour les bateaux. Parmi les régions où cette activité est la plus importante, on compte le Léon, le Centre-Bretagne (zone de Quintin-Loudéac), Locronan, le Trégor, ainsi que les campagnes rennaise et vitréenne.

Carte postale. Collection particulière.

Si la production toilière bretonne a très largement périclitée au XIXe siècle, elle n’a pourtant pas complètement disparue des mémoires au milieu du XXe siècle. C’est ce que semble nous prouver ce reportage de Bretagne actualités, diffusé le 2 février 1965. Certes, le propos n’est pas d’une justesse historique totale. Le journaliste explique par exemple que les débuts de l’activité textile remontent à la volonté des hommes de quitter « leurs peaux de bêtes ». Il a néanmoins le mérite de nous montrer les gestes et les outils du filage et du tissage devenus très rares à cette époque : « les vieilles toiles brutes tissées à Plougastel sont aujourd'hui articles de collection ».

Le reportage revient également sur le fonctionnement de cette ancienne production toilière : de la culture de « quelques lopins » de terre par les paysans, jusqu’à l’expédition des marchandises vers les ports de Saint-Malo, Nantes ou Morlaix par les marchands de toiles. Une production d’ampleur, puisque le journaliste parle de la présence de 500 tisserands et deux ateliers à Locronan, mais aussi 800 tisserands à Dinan pour une production de « 300 000 mètres par an ».

En revanche, le reportage semble confondre cette proto-industrie toilière qui a pour débouché le marché international, avec l’activité des colporteurs qui vendent la toile sur marché local. Ces toiles servent alors notamment à l’habillement quotidien des paysans. Une activité beaucoup moins lucrative, mais qui n’a pas encore disparue dans les campagnes des années 1960. Dès le milieu du XIXe siècle, nombre de ces colporteurs sont également des marchands de chiffons et d’articles manufacturés divers. On les appelle alors pilhaouer en Basse-Bretagne, ou pillotou en Haute-Bretagne.

Carte postale. Collection particulière.

Mais ce qui semble encore plus intéresser le journaliste, c’est le redémarrage d’une activité de tissage dans plusieurs anciennes cités toilières, notamment à Dinan, Locronan et Tréguier. Dans la cité de Saint-Yves, « c'est dans une vielle maison du XVIIe siècle que s'est installé un jeune ménage de tisserands. Ils ont décidé de prendre le flambeau et au souffle court du métier, chaque jour ils tissent ces trésors qui feront demain la joie des belles. » Le métier de tisserand est même qualifié de « plus beau du monde ». Peut-on parler alors d’un renouveau toilier pour la Bretagne ? Non certainement, puisqu’il s’agit d’initiatives individuelles. On est loin de retrouver la production massive de toiles. Par contre, on assiste clairement aux prémices d’une réorientation de la production du chanvre et du lin en Bretagne puisque ces nouveaux tisserands, qui travaillent avec les mêmes outils que leurs ancêtres, ne produisent désormais plus de voiles, mais tissent « de riches linges de table ou des toiles qui serviront à confectionner robes et tabliers appréciés des visiteurs du monde entier. » Ils se placent ainsi sur un marché de niche, celui d’une production de qualité, et à haute valeur ajoutée, à défaut de pouvoir fournir de grandes quantités. De nos jours, le lin et le chanvre sont également affectés à de nouveaux usages, qu’il s’agisse d’alimentation ou de construction. Mais cela est une autre histoire !

Thomas PERRONO

 

1 TANGUY, Jean, Quand la toile va. L’industrie toilière bretonne du XVIe au XVIIIe siècle, Rennes, Apogée, 1994.