Une rencontre qui tourne court : le sommet de Paris (16 mai 1960)

Le 11 octobre 2016, le président russe Vladimir Poutine annonce à son homologue français, François Hollande, qu’il préfère « reporter » sa venue à Paris, prévue dans le cadre de l’inauguration d’une cathédrale russe orthodoxe. Ce coup de froid diplomatique intervient alors que les relations se sont gelées entre les deux pays à la suite de divergences sur l’intervention de la coalition armée en Syrie. Cet épisode rappelle à de nombreux journalistes une « ambiance de guerre froide » comme le confirme un éditorial du quotidien Le Monde :

« Au moins sur le plan rhétorique, on revient à une ambiance de guerre froide. Entre la Russie et les Occidentaux, les relations n’ont jamais été aussi dures depuis la chute du mur de Berlin en 1989. »

Une telle affirmation est toujours sensible tant elle susceptible d’anachronisme. En effet, nul ne peut nier que le contexte international a changé depuis la dislocation de l’URSS en 1991 et, plus encore, depuis la crise du blocus de Berlin en 1948-1949. Pourtant, il est vrai que ce coup de froid diplomatique rappelle inévitablement quelques chapitres de l’histoire de la rivalité Est/Ouest, et en particulier celui du sommet de Paris en mai 1960.

Un avion U2, tel que celui qui survole l'URSS le 1er mai 1960. Wikicommons.

Malgré la guerre froide, les représentants des quatre grandes puissances mondiales (URSS, USA, Royaume-Uni et la France) se rencontrent régulièrement afin d’amorcer des discussions dont l'ambition est de maintenir la paix. Alors qu’un sommet prévu à Paris se prépare, un avion-espion américain survole, le 1er mai 1960, sans autorisation, l’espace aérien soviétique. L’armée soviétique tire sur l’appareil qui explose peu après que le pilote se soit éjecté (il est arrêté lors de son arrivée au sol). L’affaire est révélée le 7 mai dans la presse bretonne qui retranscrit pour l'occasion le discours « inquiétant de M. Khrouchtchev devant le Soviet Suprême » (La Liberté du Morbihan, 7 mai 1960, p. 1 et 16). Sans aucune tergiversation, Moscou justifie sa riposte :

« L’agresseur sait ce qu’il affronte, lorsqu’il fait intrusion en territoire étranger. S’il reste impuni, il commettra de nouvelles provocations, c’est pourquoi il faut agir et abattre l’avion. L’ordre a été exécuté et l’avion abattu. »

L’affaire se transforme rapidement en crise diplomatique aigüe : l’Union soviétique et les Etats-Unis s’affrontent à coup de communiqués. Dès le 13 mai, la presse laisse planer le doute sur le maintien du sommet parisien. Et pour cause, Nikita Khrouchtchev estime qu’il ne « peut que considérer l’attaque du 1er mai comme la préparation à la guerre » (La Liberté du Morbihan, 13 mai 1960, p. 16). Il ajoute être « scandalisé » par l’attitude de Dwight Eisenhower qui « approuve les raids d’espionnage » et qui, de ce fait, menace la paix. Le président des Etats-Unis réplique immédiatement en qualifiant de « ridicules » les allégations de son homologue russe (La Liberté du Morbihan, 13 mai 1960, p. 16). Il affirme, de surcroît, que son pays se doit de continuer ce genre de reconnaissance s’il ne veut pas prendre le risque d’un « second Pearl-Harbour ». L’un et l’autre menacent alors de ne pas se rendre à Paris, chacun souhaitant faire porter à son adversaire la responsabilité d’un éventuel échec des discussions. Dans Ouest-France, François Desgrées du Lou qualifie cet affrontement de véritable « guerre des nerfs » (Ouest-France, 18 mai 1960, p.1).

Si tout le monde, au final, se réunit à Paris, le climat délétère pèse très vite sur les délégations. Ouest-France parle en effet d’une « tempête sur le Sommet » (17 mai 1960, p. 1), alors que La Liberté du Morbihan évoque de son côté une « conférence au sommet sous ciel d’orage » (14-15 mai 1960, p. 1). L’attitude des dirigeants des deux géants est très largement critiquée. Sous le pseudonyme de Diogène, un éditorialiste de La Liberté du Morbihan – quotidien dont la ligne éditoriale n’est absolument pas pro-soviétique – déplore que :

« La lecture de la presse de ces derniers jours est démoralisante quand on constate d’une part le déchaînement des Soviets contre les USA et d’autre part la résolution officielle de ceux-ci de continuer leurs incursions aériennes au-dessus de la Russie. […] Mais en matière d’espionnage tout est permis sauf de se faire prendre la main dans le sac. Ce qui m’ennuie dans la réaction américaine, c’est le cynisme dont elle fait preuve en proclamant son intention de continuer ces investigations sur le territoire russe, pour prévenir un nouveau Pearl-Harbour ! Ce sont des choses qu’on fait mais qu’on ne dit pas. Quelle pauvre psychologie. »

Khrouchtchev et l'épave de l'avion U2 abattu par la DCA soviétique. Wikicommons.

Finalement ces attaques portent un coup fatal au sommet de Paris. Les délégations se séparent avant même d’avoir entamé les discussions. L’échec de cette rencontre parisienne demeure  l’un des épisodes les plus emblématiques de la guerre froide.

Yves-Marie EVANNO