Alexis Gourvennec : « de paysan contestataire, à président contesté »

C’est sur les terres du Léon, qui avaient vu la création du mutualisme agricole au début du XXe siècle avec l’Office central de Landerneau, qu’Alexis Gourvennec marque de son empreinte le monde agricole et économique breton des Trente glorieuses. Mais loin de n’être qu’un simple successeur d’Hervé Budes de Guébriant, c’est bien le portrait d’un leader agricole de son temps que nous allons dresser.

Né en 1936 à Henvic, commune rurale de la ceinture dorée légumière du Léon, Alexis Gourvennec fréquente l’école d’agriculture de Landerneau, puis l’Ecole supérieure d’agriculture d’Angers. Impliqué dans la Jeunesse agricole catholique, il y découvre le goût du syndicalisme agricole. C’est lors de la crise agricole de 1961 qu’il se fait connaître du grand public. Alors que les mesures gouvernementales, dont la suppression de l’indexation des prix agricoles, font monter la colère paysanne au niveau national ; les jeunes leaders de la FDSEA du Nord Finistère mettent en place de nouvelles méthodes pour se faire entendre : la violence organisée. Ce qu’Alexis Gourvennec appelle dans un euphémisme, en 1978 dans l’émission Face à 3 de la télévision régionale : « savoir taper avec une certaine brutalité sur la table ». En effet, après un mois de mai 1961 ponctué par de nombreuses actions paysannes, la prise de la sous-préfecture de Morlaix le 8 juin par plusieurs milliers d’agriculteurs représente l’apogée de ce que l’on appelle alors une nouvelle « jacquerie ». A l’issue de ces événements, Gourvennec est arrêté avec Marcel Léon. Mais la pression paysanne demeure et lors de leur procès le 22 juin, Morlaix est en état de siège. La relaxe prononcée, les deux agriculteurs sont portés en triomphe. Le coup de force et la médiatisation deviennent désormais les armes des paysans bretons face au pouvoir central. D’ailleurs, le héraut des légumiers léonards concède en 1978 qu’il n’a pas forcément « le sens du compromis », mais qu’il sait se contenter d’une « victoire à 90% »…

De droite à gauche, Alexis Gourvennec et Marcel Léon lors de leur procès en juin 1961. SICA de Saint-Pol-de-Léon

Loin de n’être qu’un « paysan contestataire » – comme le présente Jean-Pierre Cressard journaliste du Figaro lors de l’émission Face à 3 –, Alexis Gourvennec est aussi l’un des principaux promoteurs de la modernisation du modèle agricole breton. Face à la « crise de l’artichaut » qui secoue le Léon du début des années 1960, il est à l’origine de la création de la Société d'intérêts collectifs agricoles (SICA) du Léon. Il s’agit d’un groupement d’agriculteurs pour la commercialisation de leur production. Le marché au cadran de Saint-Pol-de-Léon permet alors de mieux contrôler l’offre de légumes et de sécuriser les revenus des producteurs. C’est en tout cas l’opinion des agriculteurs interrogés dans ce reportage de l’ORTF du 4 décembre 1965.

Désormais, Alexis Gourvennec préfère avoir le pouvoir économique que le pouvoir politique entre ses mains pour agir en faveur de l’agriculture bretonne. A l’opposé, par exemple, de François Tanguy-Prigent, leader syndical finistérien de l’entre-deux-guerres devenu parlementaire SFIO sous le Front populaire, puis ministre de l’agriculture du Gouvernement provisoire de la République française à la Libération. Au début des années 1970, le projet d’un port légumier à Roscoff avec des liaisons régulières avec la Grande Bretagne prend forme avec la volonté de désenclaver la pointe bretonne. Mais le faible enthousiasme des investisseurs oblige Alexis Gourvennec à lancer la société Bretagne Angleterre Irlande (B.A.I.), mieux connue sous le nom de Brittany Ferries. Cette nouvelle aventure reste dans sa « ligne de conduite » : « analyser nos problèmes, […] rechercher des solutions, quand ces solutions dépendent de nous, c’est à nous de les mettre en application ».

Le Prince of Brittany, navire de la Brittany Ferries. Carte postale, collection particulière.

En décembre 1972, le premier bateau de la nouvelle compagnie, le Kerisnel, est au port de Roscoff. En janvier 1974, il est rejoint par le Penn-ar-bed, puis en 1976 par L’Armorique et en 1977 par le Cornouaille. Dans ces mêmes années, le nombre de lignes s’accroît également. En plus de Roscoff, Saint-Malo accueille les navires de la B.A.I. et l’Irlande et l’Espagne deviennent de nouvelles destinations. A la tête de la B.A.I. jusqu’à sa mort en 2007, Alexis Gourvennec est désormais un « président contesté » selon le mot du journaliste Jean-Pierre Cressard, même s’il ne faisait déjà pas l’unanimité dans le monde paysan des années 1960. On lui reproche notamment une situation hégémonique sur la Manche et le fait de ne pas faire construire tous ses bateaux dans les chantiers navals français. Homme contestataire et contesté, Alexis Gourvennec demeure l’une des figures marquantes de la Bretagne du XXe siècle, dont l’héritage est encore largement revendiqué, à l’heure actuelle, dans les milieux économiques et du syndicalisme agricole de la région.

Thomas PERRONO