La naissance du mutualisme agricole breton

Il ne paraît pas excessif de dire que « le miracle agricole breton » des Trente Glorieuses n’aurait pu se produire sans la création, au début du XXe siècle, d’une innovation majeure : le mutualisme agricole.

Carte postale, probablement publicitaire. Collection particulière.

Si la coopération agricole naît dès 1886 avec les premiers syndicats – créés alors dans un but d’approvisionnement –, il faut attendre 1910 pour voir émerger la première coopérative en Bretagne. Elle se nomme « La Bretonne » et est basée à Saint-Pol-de-Léon. Un an plus tard, toujours sur les terres léonardes – bastion catholique et conservateur – l’Office central de Landerneau (OC) est porté sur les fonds baptismaux par Augustin de Boisanger. Dans ce début des années 1910, l’OC est avant tout une centrale d’achat en commun pour les paysans adhérents. Mais elle révèle déjà une volonté affirmée de la part de l’aristocratie locale – dont fait partie son premier président –  de lutter contre sa perte d’influence politique sur les populations rurales, dans un contexte de grandes tensions autour de l’implantation des idées républicaines et laïques, en devenant incontournable dans les domaines économique et social.

L’OC connaît un véritable essor dans l’entre-deux-guerres, en grande partie grâce à la personnalité d’Hervé Budes de Guébriant, président de 1919 à 1956.1 Il possède plusieurs atouts pour développer cette coopérative. Tout d’abord un ancrage local : son père Alain a connu une carrière de maire de Saint-Pol-de-Léon et de conseiller général ; en outre, la famille possède un important patrimoine foncier dans la région. Sa formation professionnelle d’ingénieur agronome à l’Institut agronomique de Paris lui donne, ensuite, une véritable légitimité dans son action. Cet agrarien conservateur, profondément catholique et anti-républicain, se donne pour mission d’accompagner la modernisation agricole bretonne, tout en gardant le contrôle social sur les masses paysannes. Pour cela, il s’efforce de faire adhérer un maximum de paysans au sein de la coopérative. Les résultats sont plutôt convaincant puisque l’on passe de 3.700 adhérents en 1919 à 19.000 en 1926. Soit une multiplication par cinq en seulement sept ans. Ensuite, Hervé Budes de Guébriant diversifie les actions de l’OC. Dans l’entre-deux-guerres, il n’est désormais plus question de seulement grouper des achats de matériel agricole. En 1926, une branche bancaire – la « Caisse régionale de Bretagne de crédit agricole mutuel » – complète la coopérative de Landerneau. Dix ans plus tard, l’OC crée la « Caisse régionale de Bretagne d’allocations familiales mutuelles agricoles ». On trouve également des caisses de réassurance « incendie », « bétail » et « accidents ».

Enveloppe à en-tête de l'Office central de Landerneau. Collection particulière.

La Libération en 1944-1945 est plus rude pour Hervé Budes de Guébriant. Il est inquiété pour ses actions sous Vichy, notamment celle de président de la « Commission Nationale d'Organisation de la Corporation agricole », mais aussi d’actionnaire du journal brestois La Bretagne dirigé par Yann Fouéré de 1941 à 1945. Il est ainsi emprisonné de novembre 1944 à août 1945 pour faits de collaboration, avant d’être relâché « faute de preuves suffisantes ».

Sans occulter cette part d’ombre, il n’en reste pas moins qu’Hervé de Guébriant a fondé un véritable « empire coopératif », puisque lorsque l’Office central de Landerneau se divise dans les années 1960, les différentes branches engendrent des groupes bancaires et d’assurances mutuelles puissants, dont le Crédit mutuel de Bretagne (CMB), Groupama et la Mutualité sociale agricole (MSA). Les activités agricoles sont alors gérées par Coopagri Bretagne. Pour découvrir, ou approfondir ce sujet passionnant du mutualisme agricole breton, France 3 Bretagne diffuse d'ailleurs, ce samedi 28 février 2015 à 15h20, un documentaire astucieusement intitulé : « Du bruit dans Landerneau ».

Thomas PERRONO

 

1 BENSOUSSAN, David, « Les aristocraties bretonnes à l'épreuve des répercussions de la première guerre mondiale », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2008/3 n° 99, p. 51-63.