De la vigne dans le golfe du Morbihan

La Bretagne est de nos jours immanquablement assimilée à une région où l’on produirait exclusivement du cidre. Peu de gens se souviennent en effet que le sud de la région, dans le prolongement du vignoble nantais, produit d’importantes quantités de vin : en témoignent encore aujourd’hui les Muscadet, Gros plant du pays nantais et autres Grolleau gris du pays de Retz.1 Au début du XXe siècle, l’aire de culture de la vigne en Bretagne est beaucoup plus importante qu’aujourd’hui. C’est ainsi que l’on en cultive, par exemple, sur la presqu’ile de Rhuys, dans le Morbihan.

Carte postale promotionnelle pour la Grande fine de Rhuys. Collection particulière.

Il n’y a rien de surprenant à cela. La production de vin est attestée sur le littoral du Morbihan depuis – a minima – le Moyen Âge. Au milieu du XIXe siècle, l’activité rencontre de grandes difficultés. Les plants sont en effet ravagés par deux maladies cryptogamiques : l’oïdium et le mildiou. En 1882, la presqu’ile de Rhuys ne compte plus que 713 hectares de vignes, soit deux fois moins qu’une vingtaine d’années plus tôt2. Paradoxalement, c’est un nuisible, le phylloxera, qui permet de relancer la production bretonne. Et pour cause, alors que l’Europe est progressivement ravagée par le redoutable insecte, les plants de la presqu’île de Rhuys sont miraculeusement épargnés. Un riche propriétaire de Sarzeau, Gustave de Lamarzelle, comprend qu’il y a là un formidable filon à exploiter. En 1886, il décide de se lancer dans la production d’eau-de-vie de vin, principalement du cognac. « La fine de Rhuys » rencontre un succès rapide qui dépasse les frontières régionales et même hexagonales3. Les distilleries se multiplient et la demande en raisin augmente. La culture de la vigne redevient prospère et, en 1896, pas moins de 2 054 hectares sont exploités sur les bords du Golfe du Morbihan4.

L’effervescence est cependant de courte durée. Le phylloxera envahit à son tour les vignes bretonnes au début du siècle. Les conséquences sont immédiates et particulièrement dramatiques pour l’économie locale. Le conseil municipal de Sarzeau assure, en janvier 1908, que le redoutable insecte provoque « la ruine pour certains propriétaires et la misère pour un grand nombre de journaliers »5. La préfecture du Morbihan reconnaît en 1910 que « le découragement gagne les propriétaires de vignes »6.

Le déclenchement de la Première Guerre mondiale ne favorise pas la relance de la production. En dépit de l’abnégation des Morbihannais.e.s restés à l’arrière, le manque de bras ne permet pas d’entretenir les vignes restantes, encore moins de replanter de nouveaux plants. Si, à la fin de l’année 1914, une viticultrice de Sarzeau se satisfait d’avoir récolté « cinq mille cinq cents hectolitres », l’enlisement du conflit vient décourager les plus téméraires7. Peu rémunératrice et peu nourrissante, l’activité est progressivement délaissée voire abandonnée. A Sarzeau, la surface de production est divisée par deux entre 1913 et 19238. A l’échelle du département, le nombre de propriétaires est divisé par quatre sur la même période9.

Au sortir de la guerre, certains producteurs, à l’image de la famille de Langlais, préfèrent arracher les vignes plutôt que de se relancer dans une expérience aléatoire et risquée10. Alors que certains individus possédaient jusqu’à 30 hectares de vignes en 1892, le principal propriétaire n’en détient que 3 hectares en 192911. Dans les années 1920, Sarzeau est d’ailleurs la commune du département où il s’opère le plus de transactions de parcelles entre les propriétaires, les agricultures souhaitant désormais regrouper les anciens champs de vignes qu’ils viennent de transformer en terres agricoles12.

Vente de vin à la distillerie Normand à Vannes. Carte postale. Collection particulière.

La viticulture n’est pas pour autant totalement abandonnée. En 1929, 145 hectares sont encore cultivés dans le département. Les vignerons relancent l’activité à partir de plants américains résistants au phylloxera. Pourtant, à cette même époque, Jean Kuntz, qui établit un rapport pour le ministère de l’Agriculture, ne se fait guère d’illusion sur l’avenir de la production. Il prédit que dans « 50 ans cette culture ne sera plus qu’un souvenir »13. Lucide, l’auteur sait que le vin de la presqu’île de Rhuys est de piètre qualité. Pire, il a la réputation « de rendre fou ». Et pour cause, le vin contient un fort taux de méthanol ce qui conduit à l’interdiction, en 1935, de la plupart des cépages existants dans le Morbihan. Dès lors, la production diminue constamment jusque dans les années 1950. La concurrence du vin d’Algérie conduit à sa disparition. Des primes sont désormais offertes pour favoriser l’arrachage des plants.

La prédiction de Jean Kuntz se vérifie : le dernier producteur de la presqu’île jette l’éponge en 1993. L’histoire du vin en Bretagne reste pourtant à écrire. En effet, depuis quelques mois, de nombreuses initiatives visant à réintroduire la vigne dans la région voient le jour. Après la récolte effectuée fin 2017 à Saint-Suliac en Ille-et-Vilaine,  la commune de Sarzeau en partenariat avec le Parc naturel du Golfe du Morbihan a lancé, fin 2017, un appel à candidature pour relancer la production dans la Morbihan. Nos papilles suivront avec beaucoup d’attention les résultats de cette expérience viticole. 

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 Pour une synthèse complète, se reporter à SAINDRENAN, Guy, La vigne et le vin en Bretagne, Spézet, Coop Breizh, 2011.

2 « La vigne en presqu’île », Cahiers de l’Association culturelle de Sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine arzonnais, n°40, septembre 2015, p. 17.

3 SAINDRENAN, Guy, op. cit., p. 185.

4 « La vigne en presqu’île », art. cit., p. 17.

5 Délibération du 5 janvier 1908 citée dans DE LANGLAIS, Gaëtan (avec la participation de RAISON dU CLEUZIOU, Annick), Histoire des Langlais.  Vol. 2, du Comté nantais au Bro Gwened, Le Faouët, Liv'éditions, 2015, p. 312.

6 Arch. dép. Morbihan : TH 183, [Guillamet, Annie,] La Vigne en presqu'île de Rhuys, Vannes, chez l’auteur, 1981.

7 Arch. dép. Morbihan : 7 M 199, lettre de Jeanne de Branges au préfet, 6 décembre 1914.

8 Arch. dép. Morbihan : 6 M 1075, statistique agricole annuelle, 1913  et 6 M 1024, surface agricole annuelle, 1918.

9 « La vigne en presqu’île », art. cit., p. 17.

10 Un doute subsiste néanmoins sur la date à laquelle les vignes ont été arrachées. DE LANGLAIS, Gaëtan (avec la participation de RAISON DU CLEUZIOU, Annick), op. cit., p. 312.

11 KUNTZ, Jean, Monographie agricole du département du Morbihan, Vannes, imp. Chaumeron, 1937, p. 138.

12 Ibid., p. 243.

13 Ibid., p. 138.