La Bretonne pie noir, en reconquête face à la prim’Holstein ?

La Bretagne est la première région laitière en France, en assurant près du quart de la production nationale. Cette réalité macro-économique couvre des situations très diverses, tant du point de vue de la taille des cheptels au sein des exploitations agricoles que du type de production laitière : conventionnelle, biologique, destinée à l’industrie agroalimentaire, transformée sur l’exploitation… Face à cela, une seule donnée demeure quasiment immuable : la composition du cheptel bovin, dominée par la race prim’Holstein, grâce à ses capacités productives exceptionnelles.

Carte postale. Collection particulière.

Pourtant, avant l’hégémonie de ces vaches originaires des Pays-Bas, l’élevage breton reposait très largement sur des espèces autochtones, pour la production laitière et de viande : froment du Léon, nantaise, armoricaine, mais surtout la bretonne pie noir. Sa physionomie en fait certainement la plus emblématique d’entre toutes : « La petite vache bretonne [est] une miniature de vache […] souvent pas plus haute qu’un gros chien ».1 En effet, du haut (sic) de son 1,20 mètre au garrot et de sa demi-tonne en moyenne, la bretonne pie noir est l’une des plus petites races de vaches. Elle tient son nom de la couleur de sa robe : « les plaques noires parfaitement nettes sont grisonnées ; le bout de la queue blanc ; les plaques blanches et les mamelles sans taches circulaires noires de la peau. »2

Si les qualités bouchères de la bretonne pie noir sont réelles, c’est surtout le taux élevé de matière grasse présent dans les « 2 000 à 3 000 litres »3 de lait produits au cours de la lactation de la vache, qui est avantageusement exploité pour la fabrication du beurre. On trouve principalement cette « race rustique, sobre, travailleuse »4 sur les terres pauvres des landes du Sud-Finistère et du Morbihan, en Cornouailles notamment. Cette « vache du pauvre » n’est pas pour autant la descendante d’une race indigène préservée. Comme tous les bovins français, la pie noir est issue de croisements entre des vaches locales, et d’autres races exogènes comme la Durham venue d’Angleterre. Au cours du XIXe siècle, la définition progressive d’un standard pour la race débouche sur la création d’un Herd-Book (registre généalogique bovin) en 1884. En 1912, on dénombre « 550 000 têtes » en Bretagne, auxquelles il faut ajouter environ 300 000 têtes dans le reste de la France5. Elle représente alors environ 14% du cheptel français.

Pourtant, dès la Belle époque, le « recul de la lande devant les progrès de la culture plus intense et la nécessité de bovins de plus grande taille et de plus gros développement »6, mettent un coup d’arrêt au développement de la bretonne pie noir. Ainsi, l’hebdomadaire L'Agriculture nationale réalise en 1909 un reportage dans une « laiterie hollandaise », dans le but de mettre en lumière leur réussite en la matière.7 Mais c’est surtout la modernisation agricole qui s’opère au cours des Trente Glorieuses qui marginalise la bretonne pie noir. Les agriculteurs bretons délaissent peu à peu ces vaches au profit de races plus productives : la normande, mais surtout celles venues de Hollande – la frisonne tout d’abord, puis la prim’Holstein à partir des années 1970-1980. Au même moment, le cheptel de pie noir est réduit à une peau de chagrin : à peine plus de 15 000 têtes, dans les années 1970. L’extinction à court terme de la race est envisagée.

Carte postale. Collection particulière.

Cependant, à une époque qui voit l’émergence de la question de la préservation du patrimoine, un plan de sauvegarde de la bretonne pie noir est lancé en 1976. La « vache du pauvre » devient ainsi un élément essentiel du patrimoine breton. Depuis 40 ans, des éleveurs passionnées par cette race s’attèlent à redynamiser la pie noir en trouvant de nouveaux débouchés pour une production laitière bien inférieure aux standards actuels. Faut-il pour autant y voir une simple utopie nostalgique ? Ou bien, face aux successives « crises du lait », la naissance d’un autre modèle agricole basé sur des productions à haute valeur ajoutée ? Dans tous les cas, le fait que Fine – une vache bretonne pie noir élevée dans une ferme de Loire-Atlantique – soit la mascotte de l’édition 2017 du Salon de l’Agriculture8, atteste la volonté politique actuelle de mieux valoriser la diversité du cheptel laitier français.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

 

1 Gallica-BNF. « Notre bétail », L'Ami du cultivateur, 14 janvier 1912, en ligne.

2 Gallica-BNF. « Concours spécial de la race bovine bretonne », L’Ami du cultivateur, 30 août 1908, en ligne.

3 Gallica-BNF. « Vache bretonne pie noire », L’Ouest-Eclair, 24 mars 1928, en ligne.

4 Gallica-BNF. « Le concours général agricole », L’Ami du cultivateur, 26 juin 1910, en ligne.

5 Gallica-BNF. « Notre bétail », art cit.

6 Gallica-BNF. « Le concours agricole », L’Agriculture nouvelle, juillet 1914, en ligne.

7 Gallica-BNF. « Une laiterie hollandaise », L’Agriculture nationale, organe de défense des intérêts agricoles, 6 mars 1909, en ligne.

8 Son portrait sur le site officiel du Salon de l’agriculture qui se déroule du 25 février au 5 mars 2017 : https://www.salon-agriculture.com/Notre-vache-egerie/Decouvrez-FINE/Qui-est-Fine