Une permanence du XXe siècle : la pollution des rivières

La question de l’eau est de nos jours des plus sensibles en Bretagne, et pas uniquement du point de vue du temps qu’il fait ! Est notamment montrée du doigt l’intensité de la production agricole bretonne qui, pour obtenir de meilleurs rendements, use et abuse des nitrates à l’origine des « marées vertes » qui, chaque été, viennent souiller certaines portions du littoral armoricain. Il serait dès lors tentant de voir en la première partie du siècle une sorte de havre écologique breton où fleuves et rivières seraient exempts de toute pollution, contrastant ainsi avec la période actuelle. Or rien n’est plus faux tant la pollution des cours d’eau parait être une constante du XXe siècle.

Carte postale. Collection particulière.

Particulièrement révélatrice est à cet égard la mésaventure survenue à un rennais venu faire tremper son hameçon dans la Vilaine, dans le quartier Saint-Hélier, non loin de la minoterie. Loin de ferrer un quelconque gardon, c’est un cadavre de veau qui s’est retrouvé au bout de la gaule de l’infortuné pêcheur ! Rapportés par L’Ouest-Eclair qui en fait ses choux gras dans son édition datée du 23 juillet 1927, l’anecdote fait bien évidemment sourire mais intéresse également grandement l’historien. Les propos du malheureux pêcheur valent en effet autant par leur truculence que par ce qu’ils disent de la qualité de l’eau :

« Je proteste vivement au nom de l’hygiène. On se plaint beaucoup de la pollution des eaux, cela ne me parait pas exagéré, puisque maintenant les eaux de la Vilaine charrient en outre des chats et chiens, des veaux ! »

Et d’ajouter, goguenard : « En tout cas, je vous déclare que je suis à tout jamais guéri de manger du poisson de ce bief. »1 Or, en feuilletant les pages du grand quotidien rennais, on réalise rapidement que cette situation n’est non seulement pas propre – si l’on ose dire – à la Vilaine mais que, de surcroît, elle est une réalité ancienne. En 1906, c’est ainsi le Conseil d’arrondissement de Ploërmel qui s’élève contre les déversements dans l’Aff de résidus polluants provenant de la mine de fer de Paimpont, protestation d’ailleurs bientôt suivie par celle du Conseil général du Morbihan2.

Fondée à la fin des années 1960, l’association Eau et rivière de Bretagne compte parmi les plus emblématiques du combat pour la défense de l’environnement dans la péninsule armoricaine. Or, non seulement la cause qu’elle défend n’est pas une triste nouveauté née avec la seconde moitié du XXe siècle mais, de surcroît, elle compte des ainés qui rappellent que, malheureusement, le cas de la Bretagne n’est pas unique. En effet, dans son édition datée du 11 mai 1907, L’Ouest-Eclair rapporte la création d’une Ligue contre la pollution des rivières, canaux et étangs de France dont le but est de « substituer l’action collective, toujours puissante, à l’action individuelle trop souvent inefficace »3.

Carte postale. Collection particulière.

Née plusieurs décennies avant l’émergence de l’écologie politique, une telle association interpelle en ce qu’elle pose la pollution des cours d’eau comme une triste constante du XXe siècle. Pour autant, cette permanence ne saurait éluder certaines évolutions. En effet, les initiateurs de cette Ligue comptent, pour mener à bien leur combat, sur les riverains et les pêcheurs qui « protestent » mais également sur les « agriculteurs », alors qu’un siècle plus tard ce sont essentiellement eux qui sont montrés du doigt par les défenseurs de l’environnement.

Erwan LE GALL

 

 

1 « En pêchant au gardon, ils prirent… un veau ! », L’Ouest-Eclair, 28e année, n°9403, 23 juillet 1927, p. 4.

2 « Conseil général », L’Ouest-Eclair, n°3013, 8e année, 13 avril 1907, p. 4.

3 « Ligue », L’Ouest-Eclair, 8e année, n°3041, 11 mai 1907, p. 2.