Joseph Le Brix, pionnier de l'aviation française

Joseph Le Brix est indéniablement une des figures bretonnes du XXe siècle. Le populaire aviateur reçoit d’ailleurs, en septembre 1931 suite à sa tragique disparition, un vibrant hommage qui dépasse les frontières hexagonales1. Le Petit-Journal illustré parle ainsi d’une « terrible catastrophe qui a douloureusement ému, non seulement la France, mais le monde entier »2.

Portrait de Joseph Le Brix offert en cadeau avec les chocolats Kemmel. Delcampe.

Joseph Le Brix est né à Baden, sur les bords du Golfe du Morbihan, le 22 février 1899. Dans le sillage de son père, il s’engage dans la Marine. Promu lieutenant de vaisseau, il obtient de nombreuses récompenses pour son dévouement lors de la campagne du Maroc entre 1925 et 1927 : Croix de guerre, Légion d’Honneur3 … Pourtant, ce ne sont pas ces « trophées » qui le rendent populaire aux yeux des Français. Sitôt rentré d’Afrique du Nord, il accomplit ses premiers exploits aériens aux côtés de Dieudonné Costes. A bord du Nungesser-et-Coli, les deux hommes effectuent la première traversée aérienne de l’Atlantique Sud. Partis de Saint-Louis (Sénégal) le 14 octobre 1927, ils rejoignent Natal (Brésil) 20 heures et 17 minutes plus tard4. Puis, les deux pilotes accomplissent un tour du monde avec escales. L’exploit passionne les Français qui se déplacent en nombre saluer le retour des pilotes au Bourget le 14 avril 1928 5.

Jacques Lefebvre, journaliste à L’Ouest-Eclair, s’enflamme au sujet au sujet des deux/ héros : « Jamais César, jamais conquérant, jamais roi ne reçut pareille ovation en plein visage, ne souleva pareille clameur de reconnaissance et d’amour »6. Le propos est peut-être excessif mais il n'en demeure pas moins que Joseph Le Brix s’inscrit définitivement dans la mémoire des Français.

Trois ans plus tard, sa carrière prend un nouveau tournant. Désormais équipier avec Marcel Doret et  René Mesmin à bord du Trait-d’Union, ils établissent le 10 juin 1931 le record du monde de distance sur circuit7. Dans leurs quêtes d’exploits, les pilotes reçoivent un soutien financier de poids en la personne du richissime magnat du parfum et propriétaire du Figaro, François Coty. Ce dernier leur permet de se lancer rapidement dans un nouveau défi, le record de distance parcouru en « ligne droite » sans escale. Celui-ci est détenu par l’ancien camarade de Joseph Le Brix, Dieudonné Costes qui, accompagné de Maurice Bellonte, est parvenu à rallier Paris à Tsitsikar (Chine). Un périple de 9 800 kilomètres qu'ils achèvent le 6 octobre 19298.

Le Trait-d’Union souhaite ensuite repousser les limites en atteignant Tokyo pour un voyage de près de 11 000 kilomètres et 62 heures de vol ! Le 12 juillet 1931, l’équipage se lance dans une première tentative. Cette dernière est un échec. Suite à une défaillance technique, l’appareil s’écrase en URSS. Par chance, les pilotes parviennent à s’extraire à temps du cockpit9.

René Mesmin, Joseph Le Brix et Marcel Doret devant le Trait d'Union II. Wikicommons.

Ce premier contretemps ne décourage pas les vaillants pilotes. Dès la réception du Trait-d’Union II, ces derniers s’élancent de nouveau à la conquête du record. Le 10 septembre 1931, Joseph Le Brix et ses camarades se trouvent sur le tarmac du Bourget prêts à décoller. Rajoutant une pointe de compétition, le Point-d’Interrogation piloté par Paul Codos et Henri Robida s’apprête également à s’élancer dans « un match sans précédent dans les annales de l’aviation »10. Mais le duel tourne court. Après quelques heures de vol, un problème contraint le Point-d’Interrogation à atterrir près de Dusseldorf11. La voie semble parfaitement dégagée pour le Trait-d’Union II, mais les caprices du ciel s’y opposent. Survolant l’Oural, l’avion s’écrase une nouvelle fois en URSS. Si Marcel Doret parvient à s’extraire, ses deux compagnons n’ont pas cette chance12. La nouvelle de leur mort est accueillie avec stupeur en France. Les hommages se succèdent dans la presse. Le retour des corps à la gare du Nord le 24 septembre est célébré par le ministre de l’Air Jacques-Louis Dumesnil, accompagné d’un détachement militaire13. Le lendemain, c’est une foule nombreuse qui rend un vibrant hommage aux pilotes à Notre-Dame de Paris. Puis le 29, Joseph Le Brix est enterré à Baden14. Les commerces de Vannes restent fermés en ce jour de deuil.

L’émotion suscitée prouve une nouvelle fois le réel attachement populaire aux exploits des ailes françaises. L’aviation est une technologie en plein essor et les records s’enchaînent les uns après les autres. Ces exploits sont bénéfiques à la nation tant ils rayonnent à l’étranger. Surtout, ils permettent de repousser les limites des appareils ce qui a des conséquences bénéfiques sur la flotte commerciale et militaire. La réaction du père de Joseph Le Brix n’est donc pas surprenante lorsqu’il exprime la fierté pour son fils « mort au service du pays »15.

Tombe de Joseph Le Brix. Aerosteles.

Enjeu national, les exploits sont également une question de prestige. C’est le reproche adressé par L’Humanité. Le journal, s’il rend naturellement hommage aux pilotes, les considèrent néanmoins comme des victimes de la mégalomanie du « fasciste » François Coty16. Il faut dire que ce dernier est considéré comme un véritable ennemi par le quotidien fondé par Jean Jaurès. Auteur d’un pamphlet anti-communiste17, Coty est également proche de certains groupes d’extrême-droite, en particuliers des Croix-de-Feu. Le ton utilisé par L’Humanité reflète ainsi la période :

« Les obsèques des malheureux aviateurs Le Brix et Mesmin, victimes de la mégalomanie criminelle du fasciste Coty, servent de prétexte au misérable empoisonneur pour mobiliser autour de ses feuilles vénéneuses et de ses entreprises politiques, toutes les puissances du monde capitaliste. […] Puisqu’ils ont échoué, payant de leur vie les ordres du « Maître », à Coty encore l’émotion produite par leur mort, et que leurs obsèques lui apportent la même publicité que lui aurait fournie leur retour triomphal. »

A l’image de Roland Garros, Antoine de Saint-Exupéry, Jean Mermoz ou encore du breton Marcel-Georges Brindejonc des Moulinais, Joseph Le Brix est l’un des principaux pionniers de l’aviation française. Un musée lui rend d’ailleurs hommage à Baden.

Yves-Marie EVANNO

 

1 « L’hommage de l’Allemagne », L’Ouest-Eclair, n°12730, 14 septembre 1931, p. 2.

2 « L’enquête sur le Trait-d’Union II », Le Petit Journal illustré, n°2127, 27 septembre 1931, p. 2.

3 « La brillante carrière du lieutenant de vaisseau Le Brix », L’Ouest-Eclair, n°9488, 17 octobre 1927, p. 1; Archives nationales : LH/1522/15, dossier Joseph Marie Le Brix.

4 « Le « Nungesser et Coli » de Costes et Le Brix est arrivé à Natal », L’Ouest-Eclair, n°9487, 16 octobre 1927, p. 1.

5 Ils rejoignent successivement Buenos Aires, Caracas, New-York, San Francisco, Tokyo (la traversée du Pacifique est effectuée néanmoins en bateau), Hanoï, Karachi, Athènes et Paris. « La randonnée triomphale de Costes et Le Brix », L’Ouest-Eclair, n°9668, 14 avril 1928, p. 1. Ils racontent leur aventure dans COSTES, Dieudonné et LE BRIX, Joseph, Notre tour de la terre, Hachette, Paris, 1928.

6 LEFEBVRE, Jacques, « Costes et Le Brix sont arrivés à Paris », L’Ouest-Eclair, n°9669, 15 avril 1928, p. 1.

7 « Le Brix et Doret ont porté à 10500 kilomètres le record aérien de distance qui était, il y a 25 ans, de … 200 mètres », L’Ouest-Eclair, n°12635, 11 juin 1931, p. 1. Le circuit correspondant à un grand tour de la France partant de Marignane puis passant par Toulouse, Bordeaux, Tours, Orly, Dijon et Lyon avant de survoler de nouveau Marignane.

8 « Costes et Bellonte battent le record de distance en avion », Le Petit Journal illustré, n°2026, 20 octobre 1929, p. 1 et 2.

9 « Le Trait-d’Union tombe en Sibérie », L’Ouest-Eclair, n°12669, 15 juillet 1931, p.1. Ce n'est pas la première fois que Joseph Le Brix utilise un parachute. C'est le cas le 22 décembre 1929 au dessus de la Birmanie en compagnie de Maurice Rossi.  « L'extraordinaire sang-froid de Le Brix et Rossi », Le Petit Journal illustré, n°2037, 5 janvier 1930, p. 1.

10 « Après une envolée de près de 3200 kilomètres, le Trait-d’Union II s’abat près des Monts Oural », L’Ouest-Eclair, n°12729, 13 septembre 1931, p. 1.

11 Ibidem.

12 « A Baden, pays de l’héroïque Le Brix, notre envoyé spécial recueille d’émouvantes impressions » s’abat près des Monts Oural », L’Ouest-Eclair, n°12730, 14 septembre 1931, p. 1.

13 « Les restes de Le Brix et de Mesmin sont arrivés hier matin à Paris », Le Petit Parisien, n°19933, 26 septembre 1931, p. 1.

14 « Le Brix repose en terre natale1 », L'Ouest-Eclair, n°12716, 30 septembre 1931, p.1, 2 et 5.

15 « Mon fils est mort au service du pays », L'Ouest-Eclair, n°12730, 14 septembre 1931, p.2.

16 « Le scandale des obsèques Le Brix-Mesmin – Tous aux pieds de Coty ! », L’Humanité, n°11974, 26 septembre 1931, p. 1.

17 COTY, François, Contre le communisme, Bernard Grasset, Paris, 1928.