Le jour où un avion se posa sur les Galeries Lafayette

Certains exploits attirent particulièrement l'attention des contemporains. Celui réalisé par Jules Védrines en 1919 est de ceux-là. Aussi anecdotique soit-il, il fait la Une des tous les quotidiens français. Nul doute qu'il a, par la même occasion, alimenté de nombreuses conversations en Bretagne.

L'histoire paraît un peu folle. Elle trouve son origine dans une ambitieuse opération commerciale. Peu avant la Première Guerre mondiale, les dirigeants des Galeries Lafayettes promettent 25 000 Francs à celui qui aura l'audace de poser un avion sur le toit du célèbre magasin parisien. Le défi est de taille, la piste de fortune est à peine plus large que l'envergure des appareils. En 1914, un temps intéressés, des pilotes renommés tels Roland Garros ou encore le Lorientais Marc Pourpe y renoncent.

Carte postale. Collection particulière.

Cinq ans plus tard, une fois la terrible épreuve de la Première Guerre mondiale passée, le défi demeure et un autre As se prend au jeu. La technologie s'est développée pendant le conflit. La prouesse paraît désormais possible. Plus que l'argent, c'est bien le défi qui motive Jules Védrines, pilote chevronné de 39 ans. L’adrénaline est en effet un moteur essentiel pour les pilotes et rares sont les Maurice Noguès à passer sans encombre à la vie civile.

Or Jules Védrines compte assurément parmi les pilotes les plus chevronnés de sa génération. Breveté en 1910, il gagne l’année suivante la prestigieuse course Paris-Madrid puis remporte la Coupe internationale à Chicago. La France en guerre sait profiter de ses talents de pilote et Jules Vedrines non seulement inaugure mais se révèle être un des maîtres de ces « opérations spéciales » qui consistent à débarquer un agent derrière les lignes ennemies pour venir le rechercher quelques jours plus tard.

Le dimanche 19 janvier 1919, le temps est glacial1. Un épais brouillard empêche Jules Védrines de décoller d'Issy-les-Moulineaux. Mais ce léger contretemps n'atteint pas la motivation du pilote. Au début de l'après-midi, l'avion apparaît devant les yeux ébahis des nombreux Parisiens venus contempler la tentative. Soudain, le moteur se coupe. Les roues touchent le sol. L'avion s'arrête finalement « quelques centimètres seulement au-dessus de la balustrade »2. Il s'en est fallu de peu. Avec un brin d'humour, l'As nuance son exploit :

« Rien de plus simple […]. On arrive, on regarde, on se pose. Plus tard, chacun rentrera chez soi de la même façon. Il faut éviter de se tromper d'immeuble, c'est tout »3.

Carte postale. Collection particulière.

La performance est largement saluée dans la presse. Jules Védrines confirme qu'il est l'un des meilleurs pilotes de sa génération. Pourtant, deux mois plus tard, une panne scelle le destin du pilote. Le 21 avril 1919, il meurt à Saint-Rambert-d'Albon, dans la Drôme, alors qu'il tente de rallier Rome.

La nouvelle fait immédiatement la « une » des quotidiens, à commencer par celles de L’Ouest-Eclair et de La Dépêche de Brest, preuve s’il en est de la popularité en Bretagne de Védrines. Alors que les négociations pour la signature du traité de Versailles se poursuivent et que la paix n’est donc toujours pas, techniquement, revenue, le journal rennais insiste sur le patriotisme du défunt et sa haine farouche de l’Allemand.

Aujourd'hui encore, une stèle sur les terrasses des Galeries Lafayettes commémore son incroyable exploit.

Yves-Marie EVANNO

 

1 « Comment j'ai atterri sur un toit en plein Paris », Le Petit parisien, n°15322, 20 janvier 1919, p. 1.

2 « L'aviateur Védrines sur la terrasse des Gâteries Lafayette », L'Ouest-Eclair, n°7109, 20 janvier 1919, p. 1.

3 « Védrines réussit le premier atterrissage sur un toit », Le Petit journal, n°20478, 20 janvier 1919, p. 1.