L’Emeraude des pilotes : Maurice Noguès

Le 15 janvier 1934, le tri-moteur L'Emeraude s’écrase dans une prairie des environs de Clamecy, dans la Nièvre, puis, sitôt le sol heurté, explose. Les dix occupants sont tués sur le coup. Parmi eux, Pierre Pasquier, gouverneur général de l’Indochine, Emmanuel Chaumé, directeur général de l’aviation civile, et son épouse ainsi que Maurice Noguès, pionnier rennais de l’aéronautique et cadre dirigeant de la toute jeune compagnie Air France.

La catastrophe fait bien évidemment les gros titres de la presse qui en relate les moindres détails et s’attarde sur les éléments à l’origine de l’accident. Selon toute vraisemblance, celui-ci serait dû à une tempête de neige traversée par l’appareil, conditions météorologiques ayant entraîné la formation de givre sur la carlingue. A Paris, le Petit journal consacre sa « une » à l’évènement et montre le portrait des trois plus célèbres victimes du crash, qui entraîne en tout la mort de 10 personnes. A Rennes, L’Ouest-Eclair n’est pas en reste et évoque la catastrophe en première page, de même que La Dépêche de Brest dans le Finistère.

L'Emraude au moment de son décolage. Photrographie publiée dans le numéro 4742 de L'Illustration daté du 20 janvier 1934. Aviatechno.net.

Bien entendu, le sensationnalisme d’un tel accident n’est pas étranger au traitement de ce fait divers par la presse. Pour autant, la qualité des victimes explique aussi pourquoi les journaux s’intéressent tant à cet affaire. A Rennes, tout particulièrement, on pleure un enfant du pays, Maurice Nogues, né en 1889 et qui, dès sa jeunesse, se démarque par son gout prononcé pour ce qui n’était alors qu’un « rêve dangereux », l’aviation.

Breveté en 1910, il vole sur son propre appareil, acheté avec ses économies. Arpentant assidument les meetings, il se distingue par son intrépidité comme lorsqu’à Miramas, il décide de prendre l’air malgré un fort Mistral ayant eu raison des velléités acrobatiques des autres pilotes. Mais c’est la Première Guerre mondiale qui, véritablement, lance sa carrière en faisant de lui un As. Bien que réformé car cardiaque, il s’engage volontairement en août 1914 dans l’aviation, d’abord en tant que mécanicien, puis comme pilote, puisqu’il n’obtient curieusement sa certification militaire qu’en 1915. Faisant ses armes au sein d’une escadrille de bombardement, auprès du célèbre Maurice Harpe, il se distingue rapidement et se voit confier, en 1918, le commandement de la prestigieuse escadrille des Cigognes où ont exercé quelques un des plus grands pilotes de ce temps : René Fonck, Georges Guynemer, Roland Garros…

Maurice Noguès pendant la Première Guerre mondiale. Archives Air France.

Après la fin du conflit, Maurice Noguès bascule avec bonheur dans l’aviation civile en devenant chef pilote de la Compagnie internationale de navigation aérienne pour laquelle il effectue de nombreuses premières et travaille à l'inauguration de la ligne Paris-Moscou, effective seulement en 1958! Passé en 1930 sous le pavillon d’Air-Union, il est le premier à réaliser la liaison commerciale Marseille-Saïgon, à l’époque où ce type de voyage nécessite une semaine et de multiples escales. C’est un mouvement de fusion de compagnies aériennes qui, en 1933, amène la création d’Air France, dont il devient directeur général adjoint, chargé de l’exploitation des lignes, tout particulièrement celles à destination de l’Asie. La vie de Maurice Noguès est donc indissociable de l’essor de l’aviation commerciale. Ce n’est d’ailleurs que six mois avant sa mort qu’est inauguré l’aérodrome de la sa ville natale.

Pierre Cot devant les décombres de L'Emeraude. Photographie publiée dans L'Ouest-Eclair le 17 janvier 1934. Archives Ouest-France.

Maurice Noguès figure assurément au panthéon des pilotes bretons, aux côté dé Joseph Le Brix, Marcel-Georges Brindejonc des Moulinais et autres Léon Letort, tous morts dans l’exercice de leur passion. Sa disparition frappe d’autant plus l’opinion que L’Emeraude est encore, en ce 15 janvier 1934, en phase d’essai et qu’on célèbre, au même moment, le retour triomphal de la Croisière noire aérienne au Ministère de l’Air, occupé alors par Pierre Cot, dont le chef de cabinet n’est autre qu’un ancien sous-préfet de Châteaulin dénommé Jean Moulin.

Erwan LE GALL