Léon Letort : pionnier rennais de l’aviation

En ouvrant L’Ouest-Eclair le 11 décembre 1913, les lecteurs apprennent la mort de l’aviateur breton Léon Letort. La nouvelle barre la « une » du grand quotidien rennais, reléguant les considérations d’Emmanuel Desgrees du Lou sur le ministère Doumergue à la gauche de la page. La grande nouvelle du jour, pour L’Ouest-Eclair, c’est donc bien la mort de cet aviateur. Curieusement, La Dépêche de Brest adopte une ligne éditoriale sensiblement différente, n’accordant qu’un court article, en seconde page, à l’évènement. Sans doute faut-il imputer cette différence de traitement à l’implantation géographique de Léon Letort : originaire d’Ille-et-Vilaine, il correspond probablement mieux au lectorat de L’Ouest-Eclair qu’à celui de La Dépêche de Brest.

Carte postale. Collection particulière.

Quoi qu’il en soit, la manière dont est traitée la mort de cet aviateur dit bien combien les pilotes sont au début du vingtième siècle de véritables vedettes, adulées par le public, et pleurées en cas d’accident. Les exemples de Marcel-Georges Brindejonc des Moulinais ou encore de Joseph Le Brix sont sur ce point édifiants.

Né en 1889 à Piré-sur-Seiche, en Ille-et-Vilaine, dans une famille de la bourgeoisie commerçante aisée, Léon Letort est un authentique pionnier de l’aviation. Ancien élève du collège Saint-Martin de Rennes, il s’intéresse très jeune à la mécanique mais abandonne rapidement l’automobile pour l’aviation. Il est d’ailleurs titulaire du brevet de pilote n°170, élément qui dit bien combien il figure parmi les premiers à chevaucher les airs. Parmi ses exploits, on compte notamment le trajet de 1 350 kilomètres reliant Paris à Dantzig, lors de la coupe Pommery. Son passage lors du traditionnel meeting aérien des Gayeulles, à Rennes, avait marqué les esprits en tant que « régional de l’étape ». Il volait alors à bord d’un appareil Blériot.

Affecté pendant son service militaire à la guerre des Balkans, il tente de démontrer à des autorités militaires réticentes l’intérêt de l’aviation sur le plan militaire. Mais c’est en participant au critérium de l’Aéro-Club de France, épreuve qui consistait en un aller-retour entre Paris et Bordeaux, que Léon trouve la mort. Alors qu’il s’apprête à atterrir à Barbezieux, en Charente, soin biplan heurte le sol, se cabre et finit par se crasher1.

Lors des obsèques de Léon Letort. Archives Ouest-France.

Les obsèques de Léon Letort témoignent d’un faste qui dit bien la popularité des aviateurs à l’époque. La dépouille mortelle arrive en train Rennes le 14 décembre 1913 et, dans la foulée, le Comité rennais d’aviation met le drapeau qui figure sur la façade de ses locaux, rue de Rohan, en berne2. La cérémonie en l’église de Piré a beau être strictement familiale, L’Ouest-Eclair repère dans l’assistance le vice-président du Conseil général, le directeur de l’assistance publique, plusieurs maires des communes alentours ainsi que, bien entendu, de nombreux aviateurs.

Mais, au-delà du décorum, deux phrases de l’article que consacre le quotidien rennais aux obsèques de Léon Letort disent bien l’importance symbolique que revêtent à l’époque ces pionniers de l’aéronautique. On l’a dit, cette cérémonie n’est pas officielle, c’est-à-dire que n’y figure aucun représentant de l’Etat (préfet ou sous-préfet). C’est d’ailleurs une chose que note L’Ouest-Eclair qui regrette « qu’aucune distinction officielle ne fut venue, sur le cercueil du disparu, affirmer l’admiration de la Patrie pour son glorieux disparu ». Autrement dit, dans l’esprit d’alors, les exploits de ces pilotes servent la cause nationale et l’on comprend dès lors mieux pourquoi Léon Letort est si célèbre, lui qui est le premier à rallier Paris à Berlin sans escale, battant à cette occasion un record de distance. Le symbole n’aura échappé à personne, surtout pas au lecteur de L’Ouest-Eclair qui rappelle les propos de l’Abbé Fouchard lors des obsèques de Léon Letort. A l’en croire, l’aviateur avait la conviction chevillée « au fond de son âme de servir constamment et d’une manière directe la cause du Progrès et de la France »3. Deux éléments que l’on retrouve très souvent dans les discours de « la guerre du droit » qui fleurissent à partir de l’été 1914…

Erwan LE GALL

 

1 « L’aviateur breton Letort s’est tué », L’Ouest-Eclair, n° 5464, 11 décembre 1913, p. 1.

2 « Les obsèques de l’aviateur », L’Ouest-Eclair, n°5467, 14 décembre 1913, p. 4.

3 « Les obsèques de l’aviateur Letort », L’Ouest-Eclair, n°5469, 16 décembre 1913, p. 1-2.