Des prisons de Quimper aux pontons de Cadix

Dans un petit mémoire qu’il rédige à la demande de l’inspecteur primaire en 1919, l’instituteur de Bréhat rappelle l’importance que revêtit, sur le littoral breton, l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne au début du Premier Conflit mondial. Il insiste surtout sur le soulagement que constitua la perspective de la protection des côtes bretonnes par la Royal Navy, « bien que la population de Bréhat, presque exclusivement maritime, ait conservé jusqu’en août 1914 de l’antipathie et de la défiance contre les Anglais » précise-t-il cependant. Et d’expliquer : « leur île a été ravagée par eux à différentes époques de notre histoire et puis les Anglais n’ont pas été tendres pour les Bréhatins faits prisonniers et envoyés sur les pontons sous le Ier Empire »…

Autant dire que la parution du second tome des aventures de Josse Beauregard1 éclaire, même indirectement, une part de l’histoire de la Bretagne contemporaine. Certes, la BD de Mosdi et Majo est centrée cette fois sur les pontons de Cadix, sans doute plus terribles encore que ceux amarrés à Chatham ou ailleurs en Angleterre. Mais les auteurs évoquent aussi très explicitement une page peu connue de cette période : la présence de prisonniers britanniques en Bretagne, et notamment à Quimper (p. 5). Les puristes pourront faire remarquer qu’il y a ici une légère distorsion chronologique : si des captifs britanniques furent bien retenus dans le chef-lieu du Finistère, à l’instar, dans la BD, du fils de celui qui permit à Beauregard et à l’un  de ses camarades de s’évader de Dartmoor et de regagner à la rame les côtes françaises (voir le tome I), ce fut pour l’essentiel – voire exclusivement – pendant la Révolution, principalement en 1794-1795. Parmi ces prisonniers, figuraient d’ailleurs Watkin Tench, l’un des explorateurs de l’Australie, auteur notamment de Narrative of the Expedition to Botany Bay.

Un dessin classique mais très efficace.

Plus que les deux pages consacrées à l’affaire de Baylen (1808) et au transfert des prisonniers français vers Cadix, l’un des principaux intérêts de l’album de Mosdi et Majo réside dans la description de la société captive, de la manière dont les Espagnols jouent sur les oppositions entre marins de la Royale et ceux des navires armés en course. Sans doute le trait est-il ici poussé un peu loin, de ce fait moins juste que ce qui était dit, dans le tome I, des cautionnements ou des « prisons de terre »2 : il n’y a pas de frontières nettes entre le service sur les vaisseaux de la Révolution ou de l’Empire et celui sur les navires corsaires ; l’on passe des uns aux autres et vice-versa. Il n’en reste pas moins que nombre de récits insistent sur ces recompositions des hiérarchies internes à la microsociété des pontons : non seulement les grades n’y ont plus la même valeur qu’à l’extérieur, mais les appartenances à tel ou tel corps  contribuent à créer de nouvelles solidarités.

On laissera au lecteur le soin de découvrir ce que furent les conditions de vie sur ces pontons de Cadix, ou encore l’évasion – rocambolesque mais bien réelle – des prisonniers de la Vieille-Castille… en espérant que l’allusion à Cabrera, dans la dernière vignette du livre, annonce un nouvel album. Ce que l’on sait de ce qu’y vécurent les prisonniers français – dont quelques Bretons – de 1809 à 1814 constitue, indéniablement, les bases d’un scénario passionnant : des quelques 9 000 hommes et femmes qui y débarquèrent en mai 1809, seuls 3 700 retrouvèrent la France en 1814…

Yann LAGADEC

 

MOSDI, Thomas, FOLNY, Aurore et MAJO, Josse Beauregard. Mourir à Cadix, Grenoble, Glénat, 2014.

 

1 MOSDI, Thomas, FOLNY, Aurore et MAJO, Josse  Beauregard. Mourir à Cadix, Grenoble, Glénat, 2014. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 MOSDI, Thomas et Majo, Josse Beauregard. De Charybde en Scylla, Grenoble, Glénat, 2012.