Vent d’Est sur Brest

Sentiment ambivalent que celui du lecteur lorsqu’il referme les deux albums, complémentaires, que constituent Quitter Brest et Avel Reter1. Certes, la lecture, le même week-end, du tome 2 de L’Arabe du futur de Riad Sattouf – Ah ! l’Euromarché de Langueux, les odeurs de vase de Port-à-la-Duc à marée basse… –  et du Rural d’Etienne Davodeau – plus angevin que breton, il faut en convenir, mais dont le propos concerne une bonne partie de l’Ouest rural – a pu contribuer à accroître les exigences du BDphile qui garde en mémoire  Un homme est mort, signé du même Davodeau et de Kris. Un moyen de revenir à Brest cependant, de manière détournée…

C’est en effet la ville qui est au cœur des deux albums dont le point commun est une BD due à Briac, Vent d’Est, publiée en français dans Quitter Brest, en breton dans Avel Reter. Une série de – belles – planches qui restent cependant pour le moins énigmatiques à qui ne connait rien à l’affaire Lydia Oswald, trop implicitement évoquée ici sans doute. La très riche idée d’Avel Reter est justement de mettre en parallèle la BD et un texte historique de Fabien Lostec sur cette espionne nazie. Arrêtée en gare de Brest le 2 mars 1935, un peu plus d’un mois après son arrivée dans la ville et alors qu’elle s’apprêtait à rejoindre Paris, Lydia Oswald, Suisse allemande née en 1906, a rejoint les services d’espionnage hitlériens, très actifs en France dans ces années 1930. Depuis un premier séjour en France en 1934, elle est filée par le contre-espionnage qui ne la perd plus de vue. Elle aurait ensuite réussi à pénétrer dans les cercles de la Société des nations (SDN) – où elle est surnommée « Miss Switzerland » – grâce à un homme devenu son amant, avant de gagner l’Angleterre puis les Etats-Unis. Revenue en France au tout début de l’année 1935, Lydia Oswald se serait intéressée de près au port militaire de Toulon, avant de passer quelque temps à Paris et de rejoindre Brest où la police locale est immédiatement prévenue de son arrivée par les services de contre-espionnage.

C’est dans le train qui la mène vers le port du Finistère, le 21 janvier 1935, qu’elle fait la connaissance d’un officier de la Royale, l’enseigne de vaisseau René Guignard. Elle se dit journaliste, devient son amante afin de pénétrer plus facilement les milieux de la Marine à Brest. Installée dans l’un des hôtels les plus cossus de la ville, la jeune femme blonde aurait toutes les qualités de l’espionne à en croire les journalistes qui suivent l’affaire à partir de mars 1935 : elle parle très bien le français, certes avec un léger accent étranger, mais elle se montre aussi et surtout à la fois « simple » et « élégante », « belle » tout en « se maquillant peu », capable de se faire remarquer des hommes sans pour autant éveiller les soupçons. Sa liaison avec René Guignard lui permet ainsi de monter à bord du croiseur Emile Bertin, non sans quelques desseins sans doute. Et lorsqu’il prend la mer, quelques semaines plus tard, elle se rapproche d’un autre officier, qui sert lui sur le La Galissonnière, un croiseur en cours de construction à Brest, toujours sous l’œil attentif des hommes de la police spéciale cependant. En mars 1935 donc, elle est arrêtée avec son amant alors qu’elle s’apprêtait semble-t-il à transmettre aux Allemands plusieurs documents relatifs aux réserves de carburant et aux sous-marins français. Le procès, qui a lieu en septembre 1935 devant le conseil de guerre maritime permanent de Brest, abouti à la condamnation de l’espionne à une peine relativement légère de neuf mois de prison, tandis que les deux officiers français sont acquittés.

Si la BD, superbe graphiquement, nous laisse un peu sur notre faim en tant que telle, l’association du texte de Fabien Lostec et des planches de Briac d’une part, d’autre part la riche iconographie réunie font de cet album un bel ensemble, cohérent, mêlant histoire et dessin de manière originale… quand bien même sa publication en breton seulement conduit, de facto, à en réduire sérieusement le lectorat potentiel. La cohérence, sans doute est-ce justement ce qui manque à l’album Quitter Brest signé par Briac et Yvon Coquil. Certes, on reste bien entendu séduit par le graphisme du dessinateur. Certes, chacun des trois principaux volets – le même « Vent d’est » de Briac et deux nouvelles de Coquil qu’il a illustrées – se révèle plaisant à lire. Mais l’ensemble n’emporte guère l’adhésion en ce qu’il ne forme guère un tout : en un mot, la juxtaposition des trois volets ne fait pas triptyque. Quitter Brest ? Y revenir ou Y rester – au sens propre comme au figuré, pour la suicidée du pont du Bouguen ou pour l’amateur de Grappe fleurie du second texte de Coquil qui ne maîtrise qu’imparfaitement l’usage des armes à feu – aurait peut-être été plus juste d’ailleurs. On referme cet album un peu frustré donc, en se disant qu’il y avait sans doute matière, autour de cette ville, saisie ici dans les années 1960-1970, à faire mieux… ou autrement.

Couverture du Quitter Brest publié par Sixto (détail).

Reste qu’après le Brest de la reconstruction décrit par Kris et Davodeau, cet album apporte une pierre intéressante à un édifice bien plus riche ici qu’en de nombreuses villes bretonnes : celui de la représentation de pans de l’histoire de la cité en BD, de tranches de vies du passé bien plus parlantes souvent que la plupart  des albums à prétention historique.

Yann LAGADEC

 

BRIAC, Avel reter, Brest, Nadoz-Vor Embannadurioù, 2015.

BRIAC, Quitter Brest (Et deux nouvelles de COQUIL, Yvon), Nantes, Sixto, 2015.

 

 

1 BRIAC, Quitter Brest (Et deux nouvelles de COQUIL, Yvon), Nantes, Sixto, 2015 et BRIAC, Avel reter, Brest, Nadoz Vor Embannadurioù, 2015.