A l’heure bretonne !

Quiconque est habitué des Etats-Unis n’est pas étonné de voir coexister plusieurs heures différentes. A la télévision par exemple, les programmes sont annoncés à l’heure de New-York ou à celle du Pacifique. Immense, le pays sait jongler avec ses kilomètres et ses fuseaux horaires. Aussi est-ce la surprise qui prédomine lorsqu’on découvre dans L’Avenir de la Bretagne du 17 mars 1891 un article annonçant que « la loi adoptant l’heure de Paris comme heure légale pour la France et l’Algérie est promulguée au Journal officiel à la date du 14 mars ».

L'horloge de l'église permet bien souvent de connaître l'heure locale. Carte postale. Collection particulière.

Le lecteur du XXIe siècle est d’ailleurs encore plus incrédule lorsqu’il lit la suite de cet article :

« Nous allons donc voir disparaître enfin et pour toujours cette fameuse troisième aiguille de nos cadrans. La plupart des villes de France se réglaient d’ailleurs depuis longtemps sur l’heure de Paris. La nouvelle loi ne fait donc que régulariser une mesure adoptée presque partout. »

Pourtant, la réalité est que, comme aux Etats-Unis de nos jours, la France a longtemps été traversée par de multiples horaires sans qu’il soit réellement possible de parler ici de fuseaux. Ceux-ci résultent en effet de conventions et la pratique en vigueur à l’époque est plus celle de l’habitude qui stipule qu’il est midi lorsque le soleil est à son zénith. Mais, même si la France est, en termes de superficie, un petit pays, cette manière de faire conduit à des décalages. Ainsi, lorsqu’il est midi à Paris, il n’est que 11 heures 42 à Brest !

Mais, bien évidemment, une telle multiplicité des temps n’est pas sans poser de nombreux problèmes, notamment pour des populations de plus en plus mobiles. Ainsi, comment, avec ces nombreuses heures locales, fixer l’horaire d’un train ? Par sa ville d’arrivée ou de départ ? Et quid des éventuels arrêts ? On comprend donc aisément que L’Avenir de Bretagne se réjouisse de cette loi du 14 mars 1891 qui, d’ailleurs, dans les faits, ne fait qu’entériner la norme de plus en plus en usage de l’heure de Paris.

Le temps de la modernité: celui de la gare. Carte postale. Collection particulière.

Ainsi, si l’heure est une réalité astronomique, avec l’orientation de la terre par rapport au soleil, elle n’est pas sans relever aussi d’une dimension culturelle. Car à n’en pas douter, ce sont bien les impératifs d’une population de plus en plus mobile qui imposent cette uniformisation chronométrique même si, çà et là, existent quelques résistances. Que l’on se rappelle pour s’en convaincre des réactions des habitants de l’île de Molène par rapport au changement d’heure en 1976 ! Pour autant, il est difficile de ne pas voir dans cette loi du 14 mars 1891 une certaine entrée dans le temps de la modernité.

Erwan LE GALL