Enfermés vivants ? Une catastrophe minière en Bretagne

En novembre 1884, le quotidien parisien Gil Blas publie les premières lignes du nouveau roman d’Emile Zola, Germinal. En mettant en évidence la pénibilité du travail des mineurs du Nord de la France, ce chef-d’œuvre de la littérature française est une formidable source pour l’historien. Mais, dans la mémoire collective, l’exploitation des mines semble être réservée aux départements situés au nord-est de la région parisienne. Pourtant, loin des corons, dans les montagnes noires bretonnes, de nombreux mineurs s’attellent à l’extraction des ardoises. Un métier extrêmement périlleux, comme en témoigne la catastrophe du 10 février 1911 qui provoque, à Gourin, la disparition de six ouvriers.

Carte postale. Collection particulière.

Au début du XXe siècle, le voyageur qui traverse les montagnes noires ne peut qu’admirer les gigantesques puits qui y ont été creusés par les mineurs. Un article publié dans Le Nouvelliste du Morbihan, en 1911, nous offre une description saisissante de ce que pouvait représenter ce paysage :

« Du petit train de Gourin à Carhaix, on peut voir […] les ‘‘attraits’’ des schistes ardoisiers qui couvrent le sol. Mais des trous béants se cachent aussi dans la montagne, et au fond de ces puits, creusés à même le roc, des ouvriers qui, d’en haut, presque à pic, paraissent des fourmis, travaillent à creuser les filons de schistes, à détacher les blocs qui, montés à l’aide d’un treuil, sont ensuite coupés, séparés par des ouvriers d’en haut. De longues échelles en bois, fixées le long des parois, et presque verticales, descendent jusqu’au fond, et il ne faut pas être sujet au vertige pour pouvoir s’en servir. »1

Face à ces conditions de travail rudimentaires, la vie des mineurs ne tient qu’à un fil. Le 10 février 1911, à 2 heures du matin, l’éboulement de la voûte d’une galerie provoque ainsi la mort d’un ouvrier, père de sept enfants. D’après les informations obtenues par un journaliste du Nouvelliste du Morbihan, son corps « était broyé et mêlé à des débris d’ardoises » si bien qu’on « dût mettre ces débris sanglants dans un sac avant de les déposer dans un cercueil ». Ce détail sordide laisse supposer la violence du choc. Un autre de ses camarades semble avoir plus de chance. Quelques minutes après le drame, il est dégagé vivant des décombres. Malheureusement, l’ampleur de ces blessures ne lui permet pas de survivre, il décède le lendemain.

Très vite, les secours s’aperçoivent qu’il manque également quatre autres mineurs. Sont-ils morts ou sont-ils prisonniers sous les « amas de blocs et de déblais » ?  Malgré de nombreux jours d’efforts, les recherches sont finalement abandonnées pour ne pas mettre en péril d’autres vies. Les corps des malheureux ouvriers sont finalement découverts plus d’un an après la catastrophe2.

La carrière d'ardoises de Gourin. Carte postale. Collection particulière (détail).

La catastrophe de Gourin provoque une vive émotion en France, jusque sur les bancs de l’Assemblée nationale3. Les réactions sont unanimes et la presse se déchaine contre Corentin Conan, le propriétaire de la carrière, qui aurait négligé la sécurité de ses ouvriers. Dans une tribune intitulée « La lutte pour la vie », le quotidien rennais L’Ouest-Eclair lance un appel en guise de menace aux autres propriétaires :

« Nous assurons MM. Corentin Conan et Canivet [le directeur des travaux] que nous ne laisserons point les anthropophages se tailler des beefsteaks dans leurs personnes. »4

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

 

1 « La catastrophe de Guernanic », Le Nouvelliste du Morbihan, 14 février 1911, p. 3.

2 « Lugube découverte », Le Radical, 23 mai 1912, p. 3.

3 Journal officiel de la république française, 20 avril 1911, p. 3161-3163.

4 « La lutte pour la vie », L’Ouest-Eclair, 5 avril 1911, p. 1.