Eugène Le Coupanec ou l’impossible compromis

La fin du XIXe siècle donne lieu à de vives tensions politiques entre, d’un côté, les partisans de la République, et de l’autre, ceux qui demeurent fidèles au régime monarchique. Les seconds dominent parfois assez nettement en Bretagne, à l’image de l’assise d’Alain de Rohan-Chabot dans le Morbihan, même si les républicains commencent progressivement à gagner du terrain. Mais dans une période de profonds changements et de querelles multiples, comment concilier les intérêts divergents des Français ? Le compromis peut-il véritablement avoir sa place ? La brève carrière politique d’Eugène Le Coupanec nous offre quelques éléments de réponse.

Carte postale. Collection particulière.

Eugène Le Coupanec naît le 1er novembre 1857 à Plœmeur1. Fils d’un paysan aisé, riche propriétaire terrien, il s’engage dans de longues études qui le mènent sur les bancs de la faculté de droit à Rennes où il devient avoué. Mais c’est bien dans sa région natale, à Lorient plus précisément, qu’il décide finalement d’ouvrir son étude et de s’installer avec sa famille.

A 35 ans, ce fervent républicain décide de tenter une expérience dans la politique. En mai 1892, il organise avec Paul Guieysse, qui est alors le seul député républicain du Morbihan, le meeting d’Alexandre Millerand à Lorient. A cette occasion, il lève un toast et clame « à l’union de tous les républicains et à leurs succès aux élections de 1893 » 2. Mais, avant de s’attaquer à la campagne des législatives, Eugène Le Coupanec part à la conquête d’un siège au conseil général qu’il obtient à la fin de l’été 1892. Auréolé de sa victoire, il se lance dans un rude combat pour conquérir la circonscription solidement tenue par Gustave de Lamarzelle. Ce redoutable orateur, professeur à l'université catholique de Paris, s’est progressivement imposé comme l’une des figures les plus emblématiques du camp conservateur. Eugène Le Coupanec est naturellement conspué par la presse de droite à l’image de cette mise en garde parue dans les colonnes de La Croix du Morbihan :

« Electeurs ! Quelques-uns vous diront que M. Le Coupanec est un catholique. Est-il catholique celui qui adopte sans y rien changer le programme de la Franc-Maçonnerie ? Est-il catholique, celui qui, à Lorient, l’année dernière, s’écriait dans une réunion que jamais le fameux mot le cléricalisme, voilà l’ennemi n’avait été plus vrai, et buvait à la république anticléricale ? »3

Mais le jeune candidat ne se laisse pas abattre. Il se révèle au contraire être un habile stratège. Durant la campagne il joue la carte familiale en se présentant comme un « fils et petit-fils de paysans » plus à même de comprendre les électeurs que son adversaire. Au second tour, il remporte d’ailleurs, de justesse, le scrutin. Avec Paul Guieysse, il est le deuxième député républicain morbihannais à siéger à l’Assemblée nationale.

Pourtant, son aventure au Palais Bourbon manque de s’arrêter brusquement après quelques semaines de mandat. Le 9 décembre 1893, l’anarchiste Auguste Vaillant lance une bombe en pleine séance. Eugène Le Coupanec est blessé mais s’en sort avec quelques blessures superficielles. De manière significative, il ne tient pas rigueur à l’activisme des anarchistes puisqu’il s’oppose « aux lois scélérates », craignant que celles-ci ne portent atteinte aux libertés4. Cette attitude n’est pas surprenante. Eugène Le Coupanec croit aux vertus du compromis. En souhaitant défendre les libertés de tous ses concitoyens, il se rend très populaire dans sa circonscription. Mais la modération n’a pas forcément sa place dans le paysage politique de cette fin de siècle, alors que les débats sur la laïcité gagnent du terrain. Ses anciens camarades radicaux le délaissent. Lui-même désabusé, il décide de ne pas se représenter en 1898.

Couverture du numéro du 23 décembre 1893 du Petit journal revenant sur l'attentat dont est victime Eugène Le Coupanec. Gallica / BNF.

Eugène Le Coupanec se recentre alors sur ses activités professionnelles et sur la mairie de Plœmeur dont il devient maire en 1899 à la suite du décès de Raymond Raime. A la tête d’un conseil municipal conservateur qui dénigre en permanence les élus du quartier ouvrier de Keryado – dont les élus sont proches de Paul Guieysse – Eugène Le Coupanec est définitivement accusé d’appartenir au « grand parti nationaliste »5. Un journaliste du Rappel du Morbihan ironise au moment de son élection :

« On avait cru un instant que le ministère Waldeck-Rousseau ne démissionnât, à la suite de cette élection capitale, qui prouve que la République est battue en brèche dans la commune de Plœmeur. »6

Malade, Eugène Le Coupanec décède le 5 janvier 1905. Alors que les Bretons se déchirent au sujet de la fermeture des congrégations et du projet de loi sur la laïcité, c’est paradoxalement l’éloge funèbre publié dans un journal catholique qui résume le mieux la carrière de l’ancien député républicain. La Croix du Morbihan reconnait avoir « combattu autrefois avec franchise, clarté et entrain la candidature de M. Le Coupanec contre M. de Lamarzelle » tout en ayant su « plus tard apprécier son esprit libéral »7.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 Pour aller plus loin, voir Desplanches, Geneviève, « Eugène Le Coupanec, un député de la IIIe République », Les cahiers du pays de Plœmeur, no 4,‎  1994, p. 25-31.

2 Ibid.

3 « Elections législatives du 3 septembre 1893 », La Croix du Morbihan, 2 septembre 1893, p. 1.

4 Ibid.

5 « Coups de baguettes », Le Rappel du Morbihan, 9 novembre 1899, p. 1.

6 Ibid.

7 « Nécrologie », La Croix du Morbihan, 11 juin 1905, p. 2.