Félix Le Dantec : la religion de la science

Il est courant de juger de la valeur d’un « grand homme » aux hommages qui lui sont rendus à sa mort. Décédé le 6 juin 1917 à seulement 48 ans, Félix Le Dantec fait clairement partie de cette catégorie d’hommes qui laissent derrière eux une œuvre qui impose le respect aux contemporains. Ainsi le quotidien catholique rennais L’Ouest Eclair n’hésite pas à consacrer sa une du 19 juin 1917 à sa nécrologie, dans laquelle son ami et homme de presse Jean des Cognets affirme que « la Bretagne a perdu l’un de ses fils illustres ». Une reconnaissance qui émane également de ses pairs, puisque le numéro 1918-1919 de l’illustre revue des Annales de Bretagne, s’ouvre sur  un hommage à sa riche, bien que relativement courte, carrière.

Carte postale. Collection particulière.

Félix Le Dantec naît le 16 janvier 1869 à Plougastel-Daoulas, dans le Finistère, en plein pays de fraises. Il passe une grande partie de son enfance dans la région de Lannion, dans le département voisin des Côtes-du-Nord, où son père Jean-Marie, ancien médecin de Marine, a ouvert un cabinet médical. Après avoir fréquenté le collège local, il poursuit ses études secondaires au lycée de Brest. Au bout d’une scolarité brillante, il décroche son baccalauréat en 1884 et intègre la prestigieuse école préparatoire aux concours scientifiques du lycée parisien Janson-de-Sailly. L’année suivante, en 1885, il devient élève de l’Ecole normale supérieure, en position de major.

A partir de 1888, il entame sa carrière scientifique en tant que préparateur au sein du tout récent Institut Pasteur, dans l’équipe du bactériologiste russe Élie Metchnikoff. Mais un an plus tard, il quitte le confort des labos parisiens pour se confronter au terrain, lors de son service militaire au Tonkin, engagé dans les troupes de la Marine. En Indochine, il rencontre un autre Breton, Auguste Pavie. Entre février et avril 1890, Félix Le Dantec prend  part à la mission scientifique de l’explorateur colonial le long du Fleuve rouge et de la Rivière noire. Malade, il est toutefois rapatrié en France. De retour à Paris, il entreprend de se spécialiser en micro-biologie et soutient sa thèse de doctorat en 1891. Les deux années suivantes, il part de nouveau vers de lointains horizons. Cette fois-ci, il est chargé par l’Institut Pasteur de fonder un laboratoire d’études bactériologiques à São Paulo au Brésil. Il y étudie l’endémie amarile, plus connue sous le nom de fièvre jaune. Il contracte d’ailleurs la maladie, ce qui l’oblige à rentrer en France. En 1893, il est nommé maître de conférences de zoologie à la faculté des sciences de Lyon. Puis en 1899, il est chargé du cours complémentaire d’embryologie générale de la Sorbonne.

Scientifique de carrière, Félix Le Dantec l’est aussi dans sa philosophie. Il devient même l’un des principaux promoteurs du scientisme. En 1911, il exprime ainsi clairement sa vision du monde dans la Grande revue : « Je crois à l'avenir de la Science : je crois que la Science et la Science seule résoudra toutes les questions qui ont un sens ». Une pensée qu’il a déjà eu l’occasion d’expliciter dans plusieurs ouvrages : « De l'homme à la science : Philosophie du XXe siècle » en 1907, ou bien « Science et conscience : Philosophie du XXe siècle » en 1908. Le monde étant compris dans une rationalité scientifique, Le Dantec ne peut admettre l’existence de Dieu. Il se définit donc volontiers athée. De cette conviction, il en tire notamment deux ouvrages. Le premier écrit en 1901, « Le conflit », issu de longues conversations avec un prêtre sur la religion et l’athéisme. Le second, publié en 1907, porte un titre on ne peut plus explicite : « L’athéisme ». Jean des Cognets, catholique proche du Sillon, explique ainsi l’athéisme de son ami : « il s’était fait une règle essentielle de l’homme aux choses susceptibles de mesure et [...] Dieu  ne s’exprime pas en langage mathématique ». Pour autant, nulle idée chez Le Dantec de remplacer Dieu par la Science. Celle-ci n’a selon lui que « deux fins : l’une purement utilitaire de perfectionnement matériel, l’autre purement abstraite : satisfaire la curiosité de l’homme […] »

A Lannion, vue du lycée qui porte le nom de Félix Le Dantec. Carte postale. Collection particulière.

Au final, si importante que parait aux yeux de ses contemporains la personnalité de Félix Le Dantec, il faut admettre qu’il est aujourd’hui largement tombé dans l’oubli. Seules quelques rues à Paris, Saint-Brieuc, Brest, Rennes ou Quimper et surtout le lycée de Lannion semblent encore porter sa mémoire. Comme si le scientisme n’avait définitivement plus cours en cette période de vif retour du fait religieux.

Thomas PERRONO