François-Marie Luzel et l’âge d’or du folklore breton

De nos jours, le terme folklore est souvent perçu de manière péjorative : ringard, arriéré, voire soupçonné de replis identitaire. Pourtant, au XIXe siècle, il en est tout autre. Les folkloristes sont des érudits qui s’intéressent aux traditions du peuple, autrement dit à la culture populaire à une époque où la seule culture qui vaille est celle des élites. La Bretagne est ainsi un terrain d’enquête et de collecte fécond pour ces folkloristes. Nombreux sont ceux passés à la postérité : Anatole le Braz, Paul Sébillot, Théodore Hersart de La Villemarqué… François-Marie Luzel semble, quant à lui, être aujourd’hui plus largement sorti des mémoires. Pourtant, son travail de collecte et les méthodes qu’il emploie méritent que l’on s’intéresse à son cas.

Le folklore : une vision archétypale ? Carte postale, collection particulière.

François-Marie Luzel naît en 1821 dans une famille de paysans aisés, qui vit au manoir de Keramborgne en Plouaret (aujourd’hui au Vieux-Marché). Sa jeunesse est marquée par son goût pour les traditions populaires rurales. Son oncle, Julien-Marie Le Huerou, qui est professeur d’histoire, l’initie à la collecte et lui permet d’intégrer le collège royal de Rennes – nom de l’actuel lycée Emile-Zola sous la Monarchie de Juillet – où il obtient son baccalauréat. Par la suite, il alterne entre une carrière précaire d’enseignant et des missions de collecte de chants populaires et de vieux manuscrits en Basse-Bretagne.

Sa rencontre avec Ernest Renan, à la fin des années 1850, par l’intermédiaire du folkloriste Adolphe Orain, permet à Luzel d’obtenir plusieurs missions de collecte de contes populaires commanditées par le ministre de l’Instruction. C’est à cette époque qu’il rencontre la Trégoroise Marguerite Philippe – plus connue sous la forme bretonne de son nom Marc’harid Fulup – dont il  collecte la mémoire pléthorique en matière de chansons en breton. Dans le même temps, il se détache peu à peu de l’influence du Barzaz Breiz, la somme publiée par La Villemarqué à partir de 1839. Il devient critique face aux méthodes employées pour la collecte et l’édition de l’ouvrage. En 1872, lors du congrès de la société savante L’Association bretonne qui se tient  à Saint-Brieuc, Luzel lance la « querelle du Barzaz Breiz » en mettant en doute l’authenticité d’un certain nombre de textes. Il assimile le travail de La Villemarqué avec celui de l’Ecossais James MacPherson, qui avait été accusé un siècle plus tôt d’avoir fabriqué le cycle de poèmes d’Ossian. En cela, François-Marie Luzel semble être influencé par la structuration progressive de l’histoire en tant  que science sous l’égide de l’école méthodique. Les chants populaires deviennent alors des sources qu’il convient de recueillir avec un œil critique.

A partir des années 1880, vient le temps de la consécration pour Luzel. Il est nommé conservateur des archives départementales du Finistère à Quimper. En 1883, il devient  vice-président de la Société archéologique du Finistère. Il publie également ses différents travaux de collecte : Légendes chrétiennes de la Basse-Bretagne en 1882, Contes populaires de la Basse-Bretagne en 1887, Sonioù Breiz-Izel en 1890 avec l’aide d’Anatole Le Braz. En 1890, Luzel est décoré de la Légion d’Honneur. Une décoration remise par… La Villemarqué. La « querelle du Barzaz Breiz » semble alors n’être que de l’histoire ancienne. Luzel décède cinq ans plus tard à Quimper.

Carte postale, collection particulière.

Au final, avec François-Marie Luzel et ses confrères folkloristes, on assiste à la construction de la vision d’une Bretagne déjà menacée par la disparition de sa civilisation rurale. Les activités économiques traditionnelles périclitent dans les campagnes, l’agriculture connaît une première modernisation et l’exode rural pousse nombre de ruraux vers le monde urbain. Il devient alors urgent d’amasser la mémoire de ce monde en voie de disparition. L’attention portée à la langue bretonne semble même être prémonitoire, alors qu’elle est encore la langue maternelle de la quasi-totalité des natifs de Basse-Bretagne… pour une ou deux générations seulement.

Thomas PERRONO