Ernest Renan : un enfant de Tréguier devenu un géant intellectuel

A Tréguier, une trinité de personnages illustres veille sur la ville : Tugdual, tout d’abord, l’un des sept saints fondateurs des évêchés de Bretagne, dont la cathédrale de l’évêché du Trégor rappelle le souvenir et renferme les reliques ; Yves Hélory de Kermartin, ensuite, homme de justice devenu défenseur des pauvres, vénéré sous le nom de Saint Yves notamment lors de l’un des plus importants pardons de Bretagne ; Ernest Renan, enfin, le grand penseur né le 28 février 1823 dans une maison de la Grand’Rue (aujourd’hui rue Renan) et dont la statue accompagnée d’Athéna trône sur la place du Martray en face de la cathédrale.

Carte postale. Collection particulière.

A la mort de son père marin en 1828, la voie du petit Ernest semble toute tracée et se diriger vers la vocation ecclésiastique. Sa mère, issue d’une petite bourgeoisie commerçante catholique et légitimiste, inscrit son fils à l’école des Frères de Lannion, puis à l’école ecclésiastique de Tréguier, tenue par des prêtres séculiers qui fréquentent l’épicerie familiale. En 1838, à la fin de sa troisième, il en sort après avoir glané de très nombreux prix d’excellence. Sa sœur, Henriette, professeur à Paris dans une école pour jeunes filles, attire Ernest à la capitale où il est inscrit en seconde au séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet, avant de rejoindre celui d’Issy. Il y apprend notamment l’allemand et l’hébreu. En 1843, alors qu’il fréquente le séminaire Saint-Sulpice pour étudier la théologie, il commence à émettre des doutes sur la Bible en tant que livre révélé. Malgré tout, il reçoit la tonsure le 23 décembre de la même année. Passionné des langues anciennes, il apprend le syriaque au Collège de France.

Entre 1845 et 1848 il quitte progressivement le séminaire et sa vocation d’ecclésiastique. En 1848, il est reçu premier sur 20 à l’agrégation de philosophie et débute une brillante carrière d’enseignant et d’intellectuel. En 1852, il soutient une thèse sur le philosophe musulman Averroès. Au début des années 1850, il est chargé de mission en Italie pour y étudier des manuscrits grecs et orientaux. En 1856, sa carrière prend une nouvelle dimension avec son élection à l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Il n’a alors que 33 ans ! Quelque mois auparavant, il a épousé Cornélie Scheffer, issue d’une famille d’artistes protestants. De cette union naissent trois enfants : Ary (1857-1900) peintre symboliste, Ernestine (1859-1860) et Noémi (1862-1943) qui épouse en 1882 l’universitaire franco-grec Jean Psichari. En 1862, Renan est nommé au Collège de France à la chaire d’hébreu. Il y assure un cours sur le « personnage » Jésus. Ses propos font scandale et le cours est rapidement suspendu par le ministre de l’Instruction public. En 1869, il tente même l’aventure électorale en se présentant aux élections du Corps législatif sous l’étiquette du Tiers Parti, qui accepte la dynastie des Bonaparte tout en rejetant le caractère autoritaire du régime impérial. Mais cette aventure politique est un échec pour Renan. Plus tard, en 1878, sa carrière culmine avec son élection à l’Académie française et en 1888 avec son élévation au rang de grand officier de la Légion d’honneur.

Portrait d'A'Ernest Renan par Anders Zorn. New York Public Library: 2003670.

Sa production intellectuelle est si foisonnante, que c’est impossible de la saisir dans son intégralité en quelques lignes. Toutefois, retenons trois ouvrages qui symbolisent trois aspects de la pensée de Renan. Tout d’abord, la Vie de Jésus1, écrit entre 1860 et 1863, se conçoit comme une biographie de l’homme Jésus, dépourvu de son statut de Messie. Renan, en intellectuel positiviste, y porte un regard critique et contextualisé sur la vie publique de Jésus et de l’écriture des Evangiles. Le livre fait scandale dans une société encore très largement cléricale, mais connaît en même temps un succès d’édition, jusqu’en Allemagne où l’on dénombre 15 tirages. On recense 18 traductions différentes de l’ouvrage en 1864. Ensuite, Qu’est-ce qu’une nation ?2 est le texte publié de l’une de ses conférences donné en Sorbonne en 1882. Il y développe l’idée d’une nation fondée hors de l’essentialisme, vu comme allemand à l’époque :

« L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. »

Enfin, la publication en 1883 de ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse3 rappelle que Renan n’a jamais oublié Tréguier, la cité de son enfance. Il conserve tout au long de sa vie une passion pour la culture populaire bretonne. Il parle d’ailleurs le breton depuis son enfance. Il porte une oreille attentive aux intellectuels bretons celtisants qui cherchent le monde celte sous le vernis chrétien de la Bretagne. C’est ainsi qu’il participe à la fondation du Dîner celtique en 1878, aux côtés de Paul Sébillot, Narcisse Quellien, François-Marie Luzel et Joseph Loth.

Thomas PERRONO

 

1 RENAN Ernest, Vie de Jésus, Paris, Folio, 1974.

2 RENAN Ernest, Qu’est-ce qu’une nation ? suivi de Le judaïsme comme race et comme religion, Paris, Flammarion, 2011.

3 RENAN Ernest, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, Paris, Garnier-Flammarion, 1973.