Les pardons: une forme originale d’expression populaire de la foi

Si le 19 mai est devenu, depuis quelques années, le jour de la Fête de la Bretagne, ce n’est pas par hasard. En effet, c’est le jour de la saint Yves, saint patron de la Bretagne aux côtés de sainte Anne. A Tréguier – cité où la religion n’est jamais très loin – la célébration d’Yves Hélory de Kermartin (1253-1303) prend la forme d’un grand pardon.

Ce pardon est une forme originale d’expression populaire de la foi en Bretagne. A partir du XIVe siècle, cette fête religieuse a pour but d’obtenir des indulgences, et ainsi éviter le Purgatoire après la mort.1 A l’époque contemporaine, les formes du pardon ont évolué. C’est désormais une fête patronale célébrée par une communauté paroissiale, voire un quartier autour de sa chapelle.

Début de procession à la sortie de la cathédrale de Tréguier, lors d’un pardon de la Saint-Yves. Carte postale, collection particulière.

Dans ses mémoires, Ernest Renan présente ainsi la célébration de Saint Yves à Tréguier :

« Saint Yves était l'objet d'un culte encore plus populaire. Le digne patron des avocats est né dans le minihi [lieu consacré par la résidence d'un saint] de Tréguier, et sa petite église y est entourée d'une grande vénération. Ce défenseur des pauvres, des veuves, des orphelins, est devenu dans le pays le grand justicier, le redresseur de torts. En l'adjurant avec certaines formules, dans sa mystérieuse chapelle de Saint-Yves de la vérité, contre un ennemi dont on est victime, en lui disant : "tu étais juste de ton vivant, montre que tu l'es encore", on est sûr que l'ennemi mourra dans l'année. […] Le mois de mai, où tombait la fête de ce saint excellent, n'était qu'une suite de processions au minihi ; les paroisses, précédées de leurs croix processionnelles, se rencontraient sur les chemins ; on faisait alors embrasser les croix en signe d'alliance. La veille de la fête, le peuple se réunissait le soir dans l'église, et, à minuit, le saint étendait le bras pour bénir l'assistance prosternée. Mais, s'il y avait dans la foule un seul incrédule qui levât les yeux pour voir si le miracle était réel, le saint, justement blessé de ce soupçon, ne bougeait pas, et, par la faute du mécréant, personne n'était béni. »2

Le pardon comporte d’abord un certain nombre d’offices religieux : une veillée pénitentielle la veille, la grand-messe et les vêpres solennelles. Lors de ces offices de nombreux cantiques locaux sont chantés par les fidèles. A Tréguier, c’est le Kantik sant Erwan (Cantique à Saint Yves) qui résonne en breton :

« Nan eus ket e Breizh, nan eus ket unan
Nan eus ket ur sant, evel sant Erwan,
Nan eus ket ur sant, evel sant Erwan […] »3

Une procession se déroule ensuite dans les rues de Tréguier. Les reliques du saint – son crâne dans une châsse en vermeil – sont alors portées par une délégation d’avocat, puisque Saint Yves est également le saint patron des hommes de loi. La foule des pèlerins déambulent sous les bannières, comme nous le montre cette vidéo des Actualités françaises en 1947 :

La procession se poursuit jusqu’au lieu du manoir natal du saint – brûlé au XIXe siècle – à Minihy-Tréguier. Là, les pèlerins accomplissent un rite original en passant agenouillés sous le tombeau de Saint Yves.

Plus généralement, les pardons sont également un moment de réjouissance collective. La fête religieuse se complète d’une fête paroissiale avec repas, danses (fest noz), jeux comme les tournois de soule (sorte de lutte bretonne). Il ne faut pas sous-estimer non plus le rôle de « moment de rencontre » pour la jeunesse, tout comme peuvent l’être les moissons en campagne. D’ailleurs, l’expression courante de « coureur de pardon » caractérise les jeunes hommes friands de fêtes et de boissons.

Passage sous le tombeau de Saint Yves lors de la procession à Minihy-Tréguier. Carte postale, collection particulière.

Si la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle voient une sorte « d’âge d’or » des pardons, qui se retrouve notamment dans des œuvres littéraires comme Au pays des pardons par Anatole Le Braz4, cette forme originale de vie collective et religieuse reste vivante au XXIe siècle. Malgré la disparition de nombreux petits pardons de chapelles, de nouveaux pardons sont « créés », comme celui de Porcaro dans le Morbihan où plusieurs milliers de motards viennent faire bénir leurs motos tous les ans lors de la célébration de la « Madone des motards ».

Thomas PERRONO

 

1 Sur ces questions de foi populaire bretonne à l’époque moderne, voir les travaux d’Alain Croix, notamment sa thèse d’Etat : CROIX Alain, La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles : la vie, la mort, la foi, Paris, éditions Maloine, 1980. Sur la question plus précise des pardons, ceux de PROVOST Georges, La fête et le sacré. Pardons et pèlerinages en Bretagne aux 17e et 18e siècles, Paris, Le Cerf, 1998.

2 RENAN Ernest, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, Paris, Garnier-Flammarion, 1973, p. 52-53.

3 Traduction : « Il n'y a pas en Bretagne, Il n'y en a pas un / Il n'y a pas un saint comme saint Yves, / Il n'y a pas un saint comme saint Yves. »

4 LE BRAZ Anatole, Au pays des pardons, 1894, rééd. Rennes, La Découvrance, 1994.