Inventeur ou imposteur ? Coza Institute, Tryphon Tournesol et les pilules contre l’alcoolisme

En janvier 2013, des chercheurs chiliens annoncent être sur le point de commercialiser un vaccin contre l’alcoolisme1. Le remède promet de rendre le consommateur intolérant à tout type de boisson alcoolisée et ce, pendant plusieurs mois. De tels effets rappellent inévitablement ceux subis par les soldats du général Alcazar après qu’ils aient ingéré les pilules conçues par le professeur Tournesol. C’est donc en dessinant l’album Tintin et les Picaros, près de quarante ans avant les chercheurs sud-américains, que Georges Rémi, dit Hergé, matérialise pour la première fois un remède miracle contre l’alcoolisme2. Pour autant, peut-on qualifier Hergé de visionnaire ?

Carte postale. Collection particulière.

Le professeur Tournesol est probablement l’un des personnages les plus loufoques de l’univers créé par Hergé. La dernière invention dont il aura l’idée – avant la mort de son dessinateur – est, selon ses propres dires, un produit « à base de plantes médicinales » qui n’a « aucune saveur, aucune odeur et n’est absolument pas toxique », et dont l’absorption « d’un seul de [ses] comprimés, dissous dans une boisson ou dans des aliments, donne un goût abominable à tout alcool absorbé par la suite »3.

La promesse de Tournesol est identique à celle faite, quelques décennies plus tôt, par l’énigmatique laboratoire britannique Coza Institute. Ce dernier commercialise la « poudre Coza » dont une publicité fait l’éloge dans les colonnes du Phare de Bretagne le 28 août 19074. Les résultats sont « merveilleux » puisqu’ils permettent « de dégouter l’ivrogne de l’alcool (bière, vin, absinthe, etc.) ». Comme pour l’invention de Tournesol, une seule absorption est suffisante pour rendre sobre n’importe quel « homme » – l’ivrognerie étant bien entendu réservée aux individus de sexe masculin selon le laboratoire – et ce, même sans son consentement. En effet, le produit « opère si silencieusement et si sûrement que la femme, la sœur ou la fille peuvent la lui donner à son insu et sans qu’il ait jamais besoin de savoir ce qui a causé le changement ».

Pour y parvenir, les femmes peuvent incorporer discrètement la « poudre Coza » dans « du café, du thé, du lait, de la liqueur, de l’absinthe, de la bière, de l’eau ou de la nourriture ». Aussi discrets que les comprimés de Tournesol, ils offrent des résultats comparables. Le laboratoire certifie que « la poudre Coza a réconcilié des milliers de familles, sauvé des milliers d’hommes de la honte et du déshonneur, et en a fait des citoyens vigoureux et des hommes d’affaires capables ». En somme, « l’ivrognerie n’existe plus » grâce à cette poudre magique, une formule qui ne peut que laisser rêveurs les préfets bretons dont la lutte contre l’alcool est l’une des priorités.

Carte postale. Collection particulière.

Cette publicité, très largement relayée dans la presse francophone au début du siècle, n’a certainement jamais été lue par Georges Rémi qui, rappelons-le, naît le 22 mai 1907. Tournesol n’aurait donc pas volé la recette de la « poudre Colza ». Qu’importe finalement de le savoir, tant l’ami de Tintin reste le brillant inventeur qui, par son génie, continue de faire rêver des milliers de jeunes – et de moins jeunes – lecteurs.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

1 GREINDL, Sybille, « Un vaccin contre l'alcoolisme : peut-on vraiment parler de ‘‘vaccin’’? », lalibre.be, 6 février 2013, en ligne.

2 HERGE, Tintin et les Picaros, Tournai, Casterman, 1976.

3 Ibid., p. 42.

4 « L’ivrognerie n’existe plus », Le Phare de Bretagne, 28 août 1907, p. 3.