Jules Simon ou la République avant tout

Jules Simon est, sans conteste, l’une des personnalités politiques majeures du XIXe siècle. Originaire du Morbihan, département largement acquis aux idées monarchistes, il n’a pourtant cessé de défendre les idéaux républicains, accompagnant activement l’installation – certes difficile – de la IIIe République.

Jules Simon. Portrait publié dans L'Illustration. Bibliothèque universitaire Paris Descartes: CIPC0135.

Jules Simon, de son vrai nom Jules-François Suisse, naît à Lorient le 31 décembre 1814. Après y avoir commencé sa scolarité, il poursuit ses études au collège de Vannes puis intègre l’Ecole normale. C’est d’ailleurs au sein de cette même institution qu’il commence à enseigner la philosophie avant de rejoindre, quelques années plus tard, la prestigieuse université de la Sorbonne. La révolution qui bouleverse la France en 1848 l’incite à se lancer dans une carrière politique. Elu député, il s’oppose très rapidement aux orientations impulsées le président de la IIe République, Louis-Napoléon Bonaparte. Sans surprise, à la fin de l’année 1851, il rejette également les projets impériaux du futur Napoléon III. Sa désillusion le conduit à déclarer, le 9 décembre, devant ses étudiants :

« Messieurs, je suis ici professeur de morale. Je vous dois la leçon et l'exemple. Le droit vient d'être publiquement violé par celui qui avait charge de le défendre, et la France doit dire demain, dans ses comices, si elle approuve cette violation du droit ou si elle la condamne. N'y eût-il dans les urnes qu'un seul bulletin pour prononcer la condamnation, je le revendique d'avance : il sera de moi! »1

Immédiatement révoqué de la prestigieuse université, son opposition à l’Empereur n’en est que renforcée. Sa réélection à l’Assemblée nationale, en 1863, lui permet de reprendre le cours de son engagement politique, s’affirmant au passage comme l’un des principaux meneurs républicains. C’est donc assez logiquement qu’il intègre – au côté d’un autre Morbihannais, Louis-Jules Trochu – le Gouvernement de Défense nationale qui est mis en place le jour de la proclamation de la IIIe République, le 4 septembre 1870. En dépit de la virulence des attaques que formule l’opposition à son encontre, il n’abandonne son portefeuille de ministre de l’Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts que le 18 mai 1873.

Trois ans plus tard, le 12 décembre 1876, Jules Simon revient au gouvernement par la grande porte en étant nommé président du Conseil et ministre de l'Intérieur. Le maréchal de Mac Mahon lui confie la lourde charge de gérer un pays en pleine transformation politique. Il doit concilier les exigences d’un président monarchiste avec celles d’un Sénat où les conservateurs demeurent faiblement majoritaires, et celles d’une Assemblée nationale largement acquise à la cause républicaine. L’expérience tourne court. Faisant état de son incapacité à « réunir dans la Chambre des députés une majorité solide », il est contraint de démissionner le 16 mai 18772.

A près de 67 ans, et bien qu’ayant été élu à l’Académie française deux ans plus tôt, Jules Simon ne quitte pas la scène politique. Il continue de prôner la modération, contestant aussi bien l’intransigeance des radicaux que celle des monarchistes3. Pourtant, à sa mort, ces mêmes adversaires saluent sa mémoire avec beaucoup de respect. De côté républicain, on loue la force de ses convictions. L’Avenir du Morbihan, journal républicain modéré, propose d’ailleurs de résumer « sa vie entière » en quelques lignes : « Convaincu que la France est un pays essentiellement conservateur, [il] conforma tous ses actes politiques à cette sorte de credo et demeura fidèle aux principes du centre, alors que la majorité évoluait vers la gauche »4.

Carte postale. Collection particulière.

Quant à la presse conservatrice, si elle avoue que Jules Simon a « contribué à savonner la planche sur laquelle, depuis lors, la France a tant glissé », elle admet qu’il en était bien moins responsable que « Thiers et Gambetta » 5. Mais, et peut-être surtout, les conservateurs ne manquent pas de préciser que le Lorientais serait « mort chrétiennement » renouant, dans son dernier souffle, « aux principes de son enfance »6. Alors que les républicains affirment de plus en plus ouvertement leur anticléricalisme, ce revirement apparaît, pour les conservateurs, comme une belle victoire qu’il convient de médiatiser…

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

1 « Simon, Jules », in Robert, Adolphe et Cougny, Gaston, Dictionnaire des Parlementaires, Paris, Bourloton,tome 5, p. 323.

2 « Partie politique », Journal du Morbihan, 20 mai 1877, p. 1.

3 « Simon, Jules », in Jolly, Jean (dir.), Dictionnaire des Parlementaires français, Paris, PUF, 1960-1977.

4 « Mort de Jules Simon », L’Avenir du Morbihan, 10 juin 1896, p. 1-2.

5 « Mort de M. Jules Simon », L’Arvor, 9 juin 1896, p. 3.

6 Ibid. Ce même argument est réutilisé, « La mort chrétienne de M. Jules Simon », L’Arvor, 11 juin  1896, p. 2 ; ou encore « Un trait d’enfance de Jules Simon », L’Arvor, 13 juin 1896, p. 3.