La Bretagne et l’affaire Caillaux

La nouvelle fait l’effet d’une véritable bombe et se trouve immédiatement en une des gazettes, en Bretagne comme ailleurs : madame Caillaux, épouse du ministre des Finances vient de tirer plusieurs coups de revolver sur le directeur du Figaro, Gaston Calmette. L’affaire est connue et il n’est sans doute point nécessaire d’y revenir amplement dans ces colonnes. Estimant son mari injustement attaqué par le quotidien pour qui « sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur », Henriette Caillaux décide d’abattre son directeur.

L'assassinat de Gaston Calmette par Henriette Caillaux en une du suplément illustré du dimanche du Petit journal daté du 29 mars 1914. Wikicommons.

Il y a bien évidement dans cette affaire tous les ingrédients du best-seller journalistique : le pouvoir, un crime passionnel… D’ailleurs, c’est bien le procès de madame Caillaux qui, jusqu’aux alentours du 25 juillet 1914, tient les lecteurs français en haleine, et non pas la situation internationale, pourtant gravissime. L’anecdote est célèbre mais néanmoins révélatrice : c’est bien « une cause sensationnelle » qui fait la une du supplément du dimanche du Petit journal daté du 2 août 1914, le procès devant les assises de la Seine d’Henriette Caillaux.

Manifestement pris de vitesse par les évènements, L’Ouest-Eclair ne publie le lendemain du drame, le 17 mars 1914, qu’un article assez neutre, probablement écrit par une agence parisienne, rappelant les faits. Il faut attendre le lendemain, 18 mars 1914, alors que Gaston Calmette a succombé à ses blessures, pour avoir des éléments propres au quotidien rennais et notamment un éditorial d’Emmanuel Desgrées du Lou, directeur politique. Sans surprise, le propos est très favorable à la victime, présentée comme un « journaliste intrépide », un « bon et loyal Français »1. Il est vrai que la ligne politique de Joseph Caillaux n’est pas franchement celle de L’Ouest-Eclair et, si ce n’est la virulence qui frappe tant les mœurs sont aujourd’hui plus mesurés, il n’est au final pas étonnant de voir l’époux de la meurtrière présenté comme un « homme politique néfaste » doublé d’un « ambitieux sans idéal et sans moralité ».

En 1925, de nouveau ministre des Finances (il le sera encore dix ans plus tard!), Joseph Caillaux (à droite). Bundesarchiv: Bild 102-01311 .

A Brest, Louis Coudurier, rédacteur en chef de La Dépêche, n’est pas en reste et emploie lui aussi dans son éditorial des termes dont la vigueur ne manque pas de surprendre :

« L’assassinat de notre bon confrère Gaston Calmette, directeur du Figaro, par la femme de M. Caillaux, ministre des Finances de la Sociale, est une pure abomination. Les mots manquent pour flétrir un pareil crime ; mais ils n’ont point manqué à la triste pécore au moment où sa victime, râlant déjà, s’affaissait devant elle. Elle en a eu de cyniques, de ceux qui dénotent l’absence complète de pudeur rudimentaire et montrent aussi en quel mépris les mœurs démocratiques sont tenues dans certains intérieurs soi-disant républicains et même radicaux et radicaux-socialistes. Les réparties de cette misérable en disent long sur la façon dont les prétendus amis du peuple entendent s’identifier avec la foule prolétarienne. »2

Puis l’attaque se fait encore plus ciblée lorsque Louis Coudurier fustige – cette fois-ci en des paroles très contemporaines – certaines manœuvres de Joseph Caillaux qui aurait intenté à l’indépendance de la justice.

Sans surprise, les réactions des deux quotidiens emblématiques de la presse bretonne sont donc viscéralement en faveur de la victime. Mais, là où on pouvait s’attendre à une défense assez corporatiste du métier de journaliste, on observe au contraire que c’est bien la détestation de Joseph Caillaux, et de la classe politique en général, qui semble être le véritable moteur de cette ligne éditoriale. Louis Coudurier a d’ailleurs à l’égard du ministre des Finances des paroles d’une rare violence, Joseph Caillaux étant dépeint comme « un homme que l’on peut placer dès maintenant dans la galerie des fléaux nationaux , où figurent déjà pas mal de politiciens modernes ! »3 A quelques semaines du déclenchement de la Première Guerre mondiale, de tels propos ne manquent pas d’interroger. En effet, ne peut-on pas aussi voir dans ce rejet massif de la classe politique une des causes de l’Union sacrée et, plus encore, de la mise en retrait du pouvoir politique face aux militaires, et plus particulièrement le général Joffre, dans les premiers mois du conflit ?

Erwan LE GALL

 

1 DESGREES DU LOU, Emmanuel, L’assassinat de M. Calmette par Mme Caillaux, L’Ouest-Eclair, n°5561, 18 mars 1914, p. 1.

3 COUDURIER, Louis, « L’assasinat de M. Calmette », La Dépêche de Brest, n°10 460, 18 mars 1914, p. 1.

3 Ibid.