La crise d’Agadir ou – pour L’Ouest-Eclair – l’impossible guerre

Au début du XXe siècle, l’Allemagne et la France lorgnent sur le Maroc, l’un des derniers territoires africains à ne pas être encore colonisé. Si une première crise diplomatique éprouve les nerfs des deux nations rivales en 1905 (crise de Tanger), une seconde menace de plonger l’Europe dans la guerre en 1911 lorsque la France intervient, à la demande du sultan Moulay Abd al-Hafid, pour stopper une révolte naissante. A Berlin, les autorités estiment que l’ingérence des Français dans les affaires marocaines est contraire au principe de neutralité établi lors des accords d'Algésiras en 1906. En conséquence, l’Allemagne décide d’envoyer une canonnière, le SMS Panther, dans la Baie d’Agadir le 1er juillet 1911.

La canonnière Panther, en 1902. Wikicommons.

Vue cette fois de Bretagne, l’évènement est annoncé dans la plus grande confusion. D’un côté, la presse bretonne retranscrit tant bien que mal les quelques informations berlinoises qu’elle a pu se procurer. Ces dernières justifient l’opération militaire par l’impérieuse nécessité de protéger les ressortissants du Reich suite aux « plaintes renouvelées de maisons allemandes », et assurent qu’il est « peu probable » que la canonnière fasse feu1. Mais ce témoignage n’est très certainement pas de nature à rassurer le lecteur. En effet, dans la confusion des communiqués, le grand quotidien rennais L’Ouest-Eclair relaye une dépêche de Madrid – favorable aux Allemands – qui annonce le probable débarquement de troupes allemandes au Maroc, soit près de « 4 000 hommes ». Le lendemain, ce journal donne encore un peu plus de crédit à l’opération militaire en relayant un autre article inquiétant, publié cette fois dans La Liberté de Berlin. Ce dernier révèlerait en effet les véritables intentions du Reich :

« L'intervention de la Panther n'est que le début d'une intervention beaucoup plus nette, à supposer qu'elle reste localisée. Il est ouvertement question de relever la Panther par un croiseur qui serait accompagné d'un paquebot amenant un premier lot de soi-disant commerçants chargés de créer des intérêts allemands. Mais l’énormité de cette prétention a paru exiger quelques mesures préparatoires. On veut savoir comment l'envoi de la Panther sera accueilli à Paris et à Londres […]. »2

Quelques lignes plus loin, le quotidien rapporte les propos – non moins inquiétants –  du général allemand Karl Litzmann qui « précise les moyens d'action indiqués par la situation nouvelle : alliance avec l'Espagne, débarquement  brusque sur la côte du Maroc et, pour la France, la guerre sur deux fronts ou la défaite diplomatique »3.

Si Berlin conteste ces informations, il n’empêche que, dans l’immédiat, l’Europe entière retient son souffle face à la menace d’une guerre qui pourrait s’étendre au continent. L’Ouest-Eclair tient malgré tout à rassurer ses lecteurs en garantissant

« [qu’] aujourd'hui la guerre ne se ferait plus ainsi sur une querelle d'Allemands. Même dans les pays monarchiques, les peuples sont souverains et ils ne provoqueraient pas des conflits pour des motifs qui ne seraient pas basés sur un impérieux intérêt national. »

Carte postale. Collection particulière.

A cela le quotidien ajoute que

« l'Allemagne […] ne souhaite pas la guerre parce que la guerre jetterait dans la bataille tous ses enfants, parce qu'elle la surprendrait en pleine activité industrielle et financière et par suite de l’ébranlement donné à l'Europe et au monde, ferait une ruine de sa prospérité. »

Enfin, – et peut-être surtout, – L’Ouest-Eclair est convaincu que l'Allemagne « ne veut pas la guerre parce qu'elle en mesure la terrible incertitude ». Finalement l’appui des Britanniques et la souplesse du gouvernement Caillaux donnent raison au journal breton : l’Allemagne abandonne ses prétentions marocaines en échange de territoires en Afrique équatoriale. Mais s’il est indéniable que les arguments fournis par L’Ouest-Eclair jouent en faveur de la paix, ils ne suffisent malheureusement pas à raisonner les Etats trois ans plus tard, en 1914.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 « Les Allemands ont-ils débarqué des troupes ? », L’Ouest-Eclair, 2 juillet 1911, p. 2.

2 « L’intervention de l’Allemagne au Maroc provoque dans le monde une vive émotion », L’Ouest-Eclair, 3 juillet 1911, p. 1.

3 « Les convoitises de l’Allemagne », L’Ouest-Eclair, 3 juillet 1911, p. 2.