L’Ouest-Eclair : l’incontournable de la presse bretonne

Créé en 1899 à Rennes, le quotidien L’Ouest-Eclair est un reflet fidèle de son époque. Celle qui voit les catholiques se rallier à la République sous l’action de la doctrine sociale de l’Eglise initiée par le pape Léon XIII.1 En effet, l’abbé Félix Trochu – vicaire du diocèse de Rennes – se décide à créer, en compagnie de l’avocat brestois Emmanuel Desgrées du Loû, un journal de tendance démocrate-chrétienne, s’intercalant ainsi entre la presse monarchiste et celle prônant l’anticléricalisme. En cela, L’Ouest-Eclair constitue une avant-garde, dans une Bretagne encore largement perçue comme un bastion catholique conservateur.2

Carte postale. Collection particulière.

Le premier numéro est lancé cinq jours avant le procès en révision d’Alfred Dreyfus qui s’ouvre à Rennes le 7 août 1899.3 Pour capter son lectorat, le nouveau quotidien régional vante sa parution « dès le matin […] partout en même temps que les journaux de Paris ». L’Ouest-Eclair, présenté sous la forme d’une feuille de quatre pages et publié à 1 800 exemplaires pour sa première édition, se vante de posséder un net avantage sur la presse parisienne, puisqu’elle collecte jusqu’à minuit les dernières dépêches et télégrammes. L’édition du matin comporte ainsi « toutes les nouvelles de la soirée, alors que les journaux de Paris ne peuvent aller plus loin que quatre heures ».

Malgré les difficultés des débuts, le quotidien rennais grandit vite : il tire à 60 000 exemplaires en 1904, 250 000 au milieu des années 1920 et jusqu’à 400 000 en 1940. Il devient ainsi rapidement l’un des principaux quotidiens du pays. Son siège social historique, sis au numéro 38 de la rue du Pré-Botté, se modernise pour suivre l’augmentation du tirage : en 1913, des rotatives y sont installées. Le journal élargit également sa zone de diffusion sur l’Ouest de la France en créant progressivement de nouvelles éditions : par exemple à Caen le 10 mars 19124, ou à Nantes le 1er octobre 19155. En tout, il couvre 12 départements en 1925. Pour y arriver, L’Ouest-Eclair s’appuie sur un vaste réseau de 192 correspondants et 71 rédacteurs. Peu à peu, le contenu se développe : outre les dépêches d’actualités, les informations agricoles y trouvent une large place et le sport fait son entrée en 1910. Le journal se targue de traiter l’information de l’échelle internationale, jusqu’à la plus locale.

La réussite de L’Ouest-Eclair tient également à la qualité des « plumes » qui écrivent régulièrement dans le journal. La plus éminente d’entre elles est sans conteste l’écrivain Roger Vercel, qui obtient le prix Goncourt en 1934, ce qui fait  la fierté du quotidien rennais. Jean des Cognets en est une autre, lui qui signe bon nombre d’articles en une, comme le 19 juin 1917, pour saluer la disparition de son ami Félix Le Dantec, pourtant notoirement athée… Des Cognets devient également le président du conseil de surveillance de la Presse régionale de l’Ouest, la société éditrice du journal, en 1930 après l’éviction de l’abbé Trochu. Pierre Artur, quant à lui, succède à Desgrées du Loû en 1933, à la mort de ce dernier.

Carte postale. Collection particulière.

Pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de la Bretagne, la fréquentation des archives de L’Ouest-Eclair est un incontournable tant il constitue une mine d’informations, de la Belle-Epoque jusqu’à la Libération. Mais aussi, et peut-être surtout, parce qu’il incarne la démocratie-chrétienne qui connaît un fort développement en Bretagne – et dans l’Ouest de la France – à cette époque. Un courant politique qui s’inquiète du gouvernement du Front populaire en 1936, mais capable de développer un discours « féministe » original qui oscille entre modernisme et patriarcat, qu’il s’agisse de la place des jeunes filles dans la société des années 1920, ou bien de la question du suffrage féminin en 1925.

Au final, si L’Ouest-Eclair disparaît à la Libération, à cause du maintien de sa parution sous l’occupation allemande, son successeur Ouest-France continue de creuser le même sillon de la démocratie-chrétienne dans la seconde moitié du XXe siècle, avec une inclinaison européenne – européiste même – très affirmée.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

1 Notons la présence d’une formidable synthèse sur ce quotidien, parue en 2000 : LAGREE Michel, HARISMENDY Patrick , DENIS Michel (dir.), L’Ouest-Eclair, naissance et essor d'un grand quotidien régional, Rennes, PUR, 2000.

2 L’édition rennaise du quotidien L’Ouest-Eclair est intégralement disponible sur le portail Gallica de la BNF de son n°1 du 2 août 1899 jusqu’au n° 17 216 du 1er août 1944.

3 BNF-Gallica – L’Ouest-Eclair, 2 août 1899, en ligne.

4 L’édition caennaise est également intégralement en ligne sur le portail Gallica de la BNF.

5 Il en est de même pour l’édition nantaise.