L’Insurrection irlandaise de Pâques 1916 vue par la presse bretonne

A la fin du mois d’avril 1916, alors qu’en France la bataille de Verdun fait rage et que les combats sont rudes pour les soldats bretons de la 22e DI dans le secteur du bois Nawé ; les Îles britanniques ne sont pas, elles non plus, à l’abri de la guerre. L’armée allemande lance une nouvelle offensive aérienne sur Londres le 25 avril. La Dépêche de Brest rapporte un communiqué officiel qui indique que « trois zeppelins, venant de la mer, ont pénétré, cette nuit, sur les comtés orientaux […] A l’heure de la publication de ce communiqué, quelques bombes incendiaires ont été lancées ». Mais plus inquiétant encore pour le Premier ministre libéral Herbert Henry Asquith, l’Irlande est secouée au même moment par une insurrection nationaliste dans sa capitale, Dublin. Alors qu’il pensait avoir réglé la question irlandaise en faisant voter et ratifier le Home Rule – acte visant à donner une autonomie politique interne à l’Irlande – par le roi George V au début de la guerre ; le fait que son application soit repoussée à la fin du conflit mécontente profondément les franges les plus radicales du mouvement nationaliste irlandais.

Carte postale. Collection particulière.

C’est ainsi que l’organisation révolutionnaire républicaine secrète Irish Republican Brotherhood décide de préparer une insurrection générale pour le courant  de l’année 1916. Afin de mener à bien cette opération, le Conseil suprême de l’IRB a besoin de se fournir en armes. Pour cela, il pense avoir trouvé le bon intermédiaire avec le diplomate britannique, né à Dublin en 1864, Sir Roger Casement qui soutient cette lutte pour l’indépendance de l’Irlande et qui possède de solides appuis à Berlin. D’après La Dépêche de Brest, il a même été chargé par le gouvernement allemand « de persuader [les] prisonniers de guerre irlandais de se tourner contre la Grande-Bretagne et de constituer un corps destiné à coopérer avec l’Allemagne ». Entre les journées des 20 et 21 avril 1916, Casement tente de faire « débarquer des armes et des munitions en Irlande ». Citant des communiqués officiels, L’Ouest-Eclair relate qu’il se trouvait à bord d’un « navire marchand, soi-disant neutre, mais qui était en réalité un navire auxiliaire allemand, accompagné par un sous-marin allemand ». Mais la tentative est un fiasco, le navire Aud est arraisonné par un patrouilleur britannique, avant d’être sabordé par l’équipage, et « qu’un certain nombre de prisonniers [soient] faits parmi lesquels Sir Roger Casement ».

Pour autant, l’insurrection prévue pour le jour de Pâques – le dimanche 23 avril – n’est repoussée qu’au lendemain par les leaders nationalistes dont Patrick Pearse, James Connolly et Éamon de Valera. Le lundi de Pâques, plus d’un millier de membres de l’Irish Citizen Army  et de l’Irish Volunteers Force défilent dans O’Connell Street, l’une des avenues principales de la ville, avant d’investir la Poste centrale. C’est alors que Patrick Pearse y proclame la République d’Irlande. Le surlendemain, le quotidien rennais évoque très brièvement les événements ainsi qu’une « violente émeute » qui a éclatée en Irlande. L’Insurrection dublinoise est ici traitée via les débats parlementaires à la Chambre des Communes à Londres. Le secrétaire d’Etat à l’Irlande déclare que « la populace s’est emparée du bureau de postes et a coupé les communications télégraphiques ». Pour rassurer les Britanniques, il précise que « le Parlement peut toutefois être certain que les autorités contrôlent maintenant parfaitement la situation ». Quand un parlementaire fait part de son scepticisme à propos de la fin de l’Insurrection, dès la soirée du 24 avril, le secrétaire d’Etat répond que « les rebelles possédaient [alors] quatre ou cinq quartiers de la cité, mais non pas la ville entière ».

Pourtant, il faut cinq jours aux soldats britanniques, venus en renfort de toute l’île, pour venir à bout des rebelles irlandais. Ce n’est que le 29 avril que Patrick Pearse, président du gouvernement provisoire proclamé, décrète la fin de combats qui ont vu la mort de plusieurs centaines de civils, soldats et insurgés. Le 2 mai, L’Ouest-Eclair peut ainsi d’affirmer que « la capitulation des rebelles irlandais est maintenant chose faite ». Le journal rapporte que le commandant en chef des troupes d’Irlande trouve que

« la situation est plus satisfaisante à Dublin. [Même s’il] y a encore beaucoup à faire dans tout le pays, […] la résistance des rebelles est brisée. »

Dans l’article qui relaie un reportage du journal britannique The Observer, les rebelles irlandais – dont les leaders ont tous été faits prisonniers – sont totalement décrédibilisés par leur « emploi de munitions allemandes » au cours des combats, pour avoir « fusillé femmes et enfants », ainsi que pour avoir incendié le bureau de postes de Sackville-Street. Le quotidien breton concède tout de même aux rebelles que « la révolte fut particulièrement caractérisée par l’ordre, la précision avec lesquelles elle fut préparée et exécutée ».

Nationalistes irlandais posant devant une banderole « Nous ne servons ni le Roi ni le Kaiser mais l’Irlande ». Wikicommons.

En fait, si l’on observe la façon dont sont relatés les événements dublinois de Pâques 1916 par la presse bretonne, il est flagrant que seule la parole officielle britannique est relayée. L’écriture des événements dublinois est pleinement inscrite dans le contexte de la Première Guerre mondiale et des alliances étatiques. C’est ainsi qu’à la une de l’édition du 2 mai 1916 de L’Ouest-Eclair, le parti politique Sinn-Féin est accusé – à tort – d’être l’instigateur de cette insurrection. Le quotidien rennais parle même d’une « trahison qui nous attei[nt] autant que l’Angleterre ». Un sentiment renforcé par la présence « trois cent milles volontaires irlandais [qui se sont] librement enrôlés dans l’armée britannique ». On ne trouve donc dans la presse bretonne aucune solidarité interceltique, aucune trace de sympathie envers ces nationalistes irlandais qui demeurent pourtant une source d’inspiration pour de nombreux leaders du mouvement breton. L’Ouest-Eclair achève même son propos en affirmant que « le Sinn-Féin n’est pas l’Irlande. […] Ne confondons pas en France nos amis les Irlandais avec les Sinn-Féiners qui ont accepté les rôles odieux que leur avait distribués l’Allemagne. […] L’Irlande reste et restera inébranlablement fidèle ».

Thomas PERRONO