« Il ne reste plus rien des 4e et 12e compagnies » : le front de la 22e DI cède au bois Nawé (17-18 avril 1916)

 « Dans le secteur de la 22e DI, le front a cédé entre la carrière d’Haudromont et la ferme de Thiaumont » : tel est le compte-rendu que fait, le 18 avril, le chef d’état-major du groupement Descoings – l’ancien 12e corps d’armée – au soir de deux journées de combats particulièrement meurtriers pour les Bretons des 116e, 62e, 118e et 19e RI de Lorient, Vannes, Quimper et Brest1.

Vue aérienne des abords ouest du fort de Douaumont, le 9 avril 1916. BDIC: VAL 195/028.

Les Allemands viennent en effet de lancer une nouvelle attaque dans le secteur situé à l’ouest du fort de Douaumont. Les régiments de la 22e DI ont encaissé le gros de l’effort ennemi.

En ligne depuis près de 20 jours

C’est fin mars que les troupes de la 22e DI sont arrivées à Verdun. Les différents régiments ont été successivement engagés en première ligne. Le 62e RI relève le 162e RI dans le secteur du Bois Nawé et sur les pentes de la Côte du Poivre dans la nuit du 29 au 30 mars, le 116e remplaçant le 151e dans le sous-secteur d’Haudroumont. La nuit suivante, ce sont les 118e et 19e RI qui rejoignent leurs secteurs respectifs à la place des 8e et 16e BCP pour le premier, du 94e RI pour le second2.

Durant les 15 premiers jours en ligne, les différentes compagnies subissent un intense bombardement allemand : c’est ce bombardement qui est à l’origine de l’essentiel des pertes, qui restent « limitées » cependant au regard de l’intensité du feu ennemi. Ainsi, selon les JMO du 116e RI, quelques 6 000 obus sont tombés dans le secteur du régiment entre le 2 avril 10h et le 3 à la même heure ; ces milliers de projectiles n’ont entraîné la mort « que » deux soldats, 21 autres étant blessés. Dans la journée du 4 au 5 avril, ce sont 2 000 projectiles qui provoquent la mort d’un soldat, les blessures de trois autres3. L’artillerie allemande a ainsi des effets sans proportion avec la masse d’obus déversés sur les lignes de la 22e DI au cours de cette première période qui, sans être calme, n’est sans doute pas la pire qu’ait eu à vivre les soldats bretons. « Aucune manifestation de l’infanterie ennemie » signalent d’ailleurs les journaux de marches à plusieurs reprises5.

Les poilus n’en sont pas moins épuisés par le fracas assourdissant – et permanent – du bombardement, la vie dans la boue, dans les trous d’obus qui font office de tranchées, les boyaux réaménagés chaque nuit entre autres étant chaque jour bouleversés par les obus.

L’attaque du 17 avril

Les choses semblent changer à partir du 16 avril. Alors que 2 à 3 000 obus tombaient chaque jour jusqu’alors sur le secteur tenu par le 116e RI par exemple, l’on passe à 10 000, les JMO signalant un « bombardement violent »5 – ce qui ne manque pas de laisser songeur au regard de ce que déjà peut représenter la masse de projectiles des jours précédent. Les journaux insistent surtout sur les « obus de gros calibre ».

Collection d'obus français et allemands exposée à la mairie de Nancy en 1916. Carte postale. Collection particulière.

Le 17 au matin, « la canonnade redouble de violence » à partir de 5h, puis à nouveau à partir de 9h306. Craignant une attaque allemande, le chef de corps du 116e RI demande d’ailleurs à plusieurs reprises le déclenchement d’un tir de barrage en avant de ses lignes, sans résultat : « le secteur est rempli d’une fumée si intense qu’on ne saurait plus voir les fusées » tirées afin de demander un tel tir aux canons français.

La préparation d’artillerie allemande atteint en revanche son objectif. Au 116e RI par exemple, « les tranchées des 2e et 3e compagnies sont comblées et démolies », tandis que « la plus grande partie » de la 1e compagnie « est sous les décombres ». En fin de matinée, les Allemands peuvent donc se lancer à l’assaut, profitant « de l’épaisse fumée ».

La situation devient vite critique pour la division bretonne.  

Une situation critique

Se défendre face à une telle attaque aurait nécessité un tir de barrage efficace, des tranchées intactes, des boyaux permettant de faire venir de l’arrière des troupes en renfort. Rien de cela ce 17 avril : les pertes dues aux heures passées sous le bombardement allemand ont entrainé la création de véritable brèches dans les défenses de la 22e DI ; les boyaux de communication ont été nivelés par les tirs de l’artillerie allemande, ce qui imposerait aux renforts de gagner les premières lignes sur « la plaine », s’exposant au feu de l’artillerie et des mitrailleuses allemandes. Il faut donc, au mieux, résister sur place et, de fait, céder du terrain à l’ennemi.

A la 4e compagnie du 116e RI, en fin d’après-midi, il n’y a « plus dans les tranchées que 10 combattants valides, qui se replient en entraînant les défenseurs des tranchées voisines ». Si « les troupes se replient vers la carrière [d’Haudroumont] en combattant et en bousculant l’ennemi qui les attaques sur leurs derrières », c’est bien que les Allemands se sont infiltrés dans les lignes françaises7. Plutôt que d’un assaut au sens strict du terme, c’est en effet par infiltration que procèdent les soldats allemands, contournant les défenses, se saisissant de plusieurs tranchées et boyaux de première ligne, capturant des dizaines de combattants des différents régiments de la 22e DI. Au 19e RI, on perd ainsi rapidement tout contact avec le bataillon Lesdos (1er bataillon), de même qu’avec le bataillon Moisan au 62e RI, tous deux encerclés.

Ce qu'il reste du terrain près de la ferme de Thiaumont en mai 1916. BDIC: VAL 210/013.

Ailleurs, les troupes encore valides se défendent pied à pied, limitant la progression de l’ennemi, au prix de pertes importantes. Mais il faut reculer malgré tout. Des contre-attaques sont organisées, localement par les commandants de compagnie dans leurs secteurs respectifs – l’on a d’ailleurs pu décrire la bataille de Verdun comme une « guerre de capitaines », du fait de la difficulté des liaisons vers les échelons supérieurs –, puis au niveau de la division. Si les « contre-attaques immédiates permettent de limiter l’avance ennemie » – tout juste « limiter l’avance ennemie »8… –, elles ne peuvent guère plus. Quant à celle organisée par le général Bouyssou, commandant la 22e DI, à minuit le 17 avril, avec l’appui de l’artillerie, elle échoue elle aussi.

Ainsi, le 17 au soir, il faut constater que « le front [de la 22e DI] a cédé entre la carrière d’Haudroumont et la ferme de Thiaumont. Les unités qui tenaient la position, fortement éprouvées, sont refoulées au sud de la tranchée de Dixmude et à l’extrême droite de la division au-delà de la tranchée de soutien » 9.  

La lutte se poursuit…

Il ne peut s’agir cependant de laisser entre les mains de l’ennemi ce secteur important, dont la perte permettrait aux Allemands d’envisager de nouvelles opérations en direction de Verdun dans une position favorable. Toute la journée du 18, une nouvelle contre-attaque est donc organisée, tandis que les nouvelles lignes françaises subissent un bombardement toujours aussi intense.

Ces attaques ne permettent que des progrès limités. On réoccupe parfois, à coups de grenades, une portion de tranchée, tranchée dans laquelle on ne peut souvent se maintenir. Il faut donc, les 19 et 20 avril, penser avant tout à organiser le secteur tel qu’il se dessine désormais, en tenant compte de la perte de quelque 7 à 800 m de front, sur une profondeur de  500 m parfois. C’est ce à quoi s’emploient les survivants des différents régiments. Quant aux nouvelles contre-attaques planifiées par la 22e DI, elles sont menées par des régiments prélevés dans d’autres divisions.

Quelque part sur le champ de bataille de Verdun en février 1916, tranchées françaises et allemandes (détail). BDIC : VAL 179/087.

Le 19 avril, le général Descoings, commandant le groupement éponyme, considère d’ailleurs que la 22e DI « ne peut plus fournir d’efforts sérieux et qu’elle a besoin de se reconstituer ». Elle est progressivement relevée dans les jours qui suivent.

Une division décimée

Le 18 encore, le chef d’état-major du groupement Descoings ne peut en dire beaucoup sur les pertes subies par la 22e DI : elles « sont très élevées » précise-t-il seulement, indiquant que leur nombre ne dépasse pas une cinquantaine au total pour les deux autres divisions sous sa responsabilité10. C’est donc bien la division bretonne qui a subi l’essentiel du choc de l’attaque allemande.

Le chef d’état-major de la 22e DI est plus précis dans son propre rapport qui confirme l’ampleur des pertes consenties les 17 et 18 avril. Au 116e RI (Vannes), si de l’ordre de 150 hommes manquent à l’appel au 2e et au 3e bataillons, le 1er « a perdu la moitié de ses hommes tués ou blessés »11 ; la 4e compagnie ne compte plus que 6 combattants au soir du 17. Au 62e RI (Lorient), « le 1er bataillon a subi de très lourdes pertes. Sa 3e compagnie a été très éprouvée et il ne reste plus rien des 4e et 12e compagnies ». Le 2e bataillon du 62e « a éprouvé des pertes sérieuses », tandis que qu’au 3e « restent seulement 150 hommes » sur les 1 000 environ que compte une telle unité en temps normal. Du seul bataillon engagé du 118e RI (Quimper), « il reste 250 hommes », un quart de son effectif donc. Au 19e RI (Brest), on ne compte plus que 400 hommes sur les 2 500 à 3 000 arrivés à Verdun 20 jours plus tôt.

Carte postale. Collection particulière.

Certes, dans les heures et les jours qui suivent, ce bilan sera partiellement réévalué. Il n’en reste pas moins que, dès le 19 avril, le général Pétain, commandant la 2e armée, signale que parmi les 24 divisions dépendant de la région fortifiée de Verdun, trois doivent être relevées immédiatement ou très rapidement. Il en dresse la liste « par ordre d’urgence ». La première d’entre elles est la 22e DI, « très éprouvée par un long séjour en première ligne et les combats des 17 et 18 avril »12.

La division quitte ainsi le secteur du Ravin de la Mort. Elle reviendra fin octobre 1916 à Verdun.

Yann LAGADEC

 

 

 

1 AFGG, IV-2, Annexes vol. 2, p. 548.

2 Notons que de nombreux Bretons combattent aux 94e et 151e RI, le dépôt de ces deux régiments ayant été évacués vers Coëtquidan et Quimper en août 1914.

3 SHD/DAT, 26 N 682/2, JMO du 116e RI, 2-5 avril 1916.

4 SHD/DAT, 26 N 682/2, JMO du 116e RI, avril 1916.

5 SHD/DAT, 26 N 682/2, JMO du 116e RI, 16 avril 1916.

6 SHD/DAT, 26 N 682/2, JMO du 116e RI, 17 avril 1916.

7 SHD/DAT, 26 N 682/2, JMO du 116e RI, 17 avril 1916.

8 AFGG, IV-2, Annexes vol. 2, p. 548.

9 AFGG, IV-2, Annexes vol. 2, p. 548.

10 AFGG, IV-2, Annexes vol. 2, p. 548.

11 AFGG, IV-2, Annexes vol. 2, p. 561.

12 AFGG, IV-2, Annexes vol. 2, p. 578.