Le vote des femmes en 1925

Quotidien catholique, L’Ouest-Eclair est habituellement présenté comme un journal à la ligne éditoriale conservatrice, même si elle l’est probablement moins que celle du Nouvelliste de Bretagne. Pour autant, sans remettre en cause cette grille de lecture, force est de constater que certains articles étonnent en ce qu’ils se révèlent étonnement progressistes. Tel est ainsi le cas de l’éditorial que signe le 4 mars 1925, en première page, Eugène Le Breton à propos du suffrage féminin.

Carte postale. Collection particulière.

Intitulé « Oui, donnez le droit de vote aux femmes », ce texte est un vibrant appel pour que soit abattue ce qui apparaît à l’auteur comme l’une des « dernières barrières » de l’inégalité entres les hommes et les femmes. Bien entendu, de telles démarches ne sont pas totalement neuves et nous ne sommes pas sans ignorer les mouvements suffragistes de la Belle époque. Pour autant, il convient de ne pas s’y tromper car le contexte n’est ici plus le même. Ce vibrant plaidoyer ne s’impose à Eugène Le Breton que du fait des circonstances exceptionnelles héritées de la Première Guerre mondiale. En effet, c’est bien la « carence des épouseurs », c’est-à-dire le trou démographique résultant des immenses pertes – essentiellement masculines – du conflit qui est à l’origine de cet appel.

Pour Eugène Le Breton, le vote est conçu comme un instrument venant parfaire la libération de la femme, déjà largement émancipée par son arrivée massive sur le marché du travail. Mieux, il explique qu’il faut qu’à l’avenir « la jeune Française soit mise en état de se passer, le cas échéant, du mariage [sacrement dont on se doit de rappeler l’importance aux yeux d’un journal catholique NDA] ; il faut que la femme puisse vivre, non plus seulement comme une ménagère et mère mais, au besoin, tout simplement comme un homme » ce qui implique donc le droit de vote. Le plus étonnant sans doute est que cette mesure est présentée par l’auteur de cette tribune comme étant conservatrice et, tout particulièrement, comme contribuant « au développement de l’ordre », celui-ci étant mis à mal par le déséquilibre démographique hommes-femmes né de l’hécatombe de 1914-1918.

Néanmoins, il convient de ne pas s’y tromper. La « mission naturelle » de la femme reste bien « de mettre des enfants au monde et de s’enfermer dans le domaine tranquille du ménage ». C’est donc l’arrivée dans une ère nouvelle née de la Grande Guerre – et non des qualités intrinsèques enfin reconnues aux femmes – qui justifie un tel appel. De même, on ne peut s’empêcher de souligner que l’argumentation d’Eugène Le Breton résulte d’un pragmatisme qui non seulement parait bien discutable mais, de surcroît, est révélatrice de représentations mentales pour le coup peu progressistes : « plus dociles que les hommes, de caractère plus souple, et en raison de leur état d’esprit essentiellement pratique, les femmes sont tout à fait aptes à jouer le rôle d’excellents fonctionnaires, attentifs et disciplinés ».

Carte postale. Collection particulière.

On le voit, ce texte est particulièrement ambigu. Mais il n’en demeure pas moins qu’appeler de la sorte au suffrage féminin, quand bien même l’argumentation déployée à cette occasion est plus que discutable, relève d’une certaine avant-garde. Ainsi, faut-il rappeler que cet éditorial est publié 20 ans avant l’accession effective des femmes au droit de vote, lors des élections municipales d’avril 1945 ? De même, comment ne pas garder en mémoire les propos d’Eugène Le Breton sur l’égalité salariale entre les hommes et les femmes ? Mais il est vrai qu’il s’agit là d’une autre histoire, particulièrement contemporaine d’ailleurs…

Erwan LE GALL