Deux mois de Front populaire

Il n’y a pas de trêve estivale pour L’Ouest-Eclair. La une de l’édition du 2 août 1936 est ainsi marquée par une actualité placée sous le sceau de l’anxiété. Crainte suscitée par la recherche de disparus à la suite du crash en Manche d’un hydravion anglais effectuant la liaison entre Jersey et Guernesey. Tensions engendrées par le contexte international et plus particulièrement par les débuts de la guerre d’Espagne et, à Berlin, par la démonstration de force d’Hitler à l’occasion de l’ouverture des XIe jeux olympiques d’été. Et, enfin, expectative huit semaines après la victoire du Front populaire aux élections législatives. C’est d’ailleurs un bilan de ces « deux mois d’expérience » que se propose de dresser Paul Simon dans l’éditorial qu’il publie en une de L’Ouest-Eclair en ce 2 août 19361.

Carte postale éditée à l'occasion du 50e anniversaire du Front populaire. Collection particulière.

Or, là encore, ce texte témoigne d’un état d’esprit qui sied peu à l’habituelle torpeur régnant au début du mois d’août. Sous couvert d’objectivité – « Reconnaissons en toute justice qu’on ne saurait apprécier définitivement une expérience de cette nature au bout d’un laps de temps aussi restreint » – la plume de Paul Simon dit bien combien la victoire de la coalition de Front populaire est source de crispations.

D’ailleurs, l’éditorialiste n’hésite pas à revenir sur le résultat de ce scrutin en en donnant une interprétation pour le moins particulière. Pour lui, ce n’est pas tant la politique de rigueur menée par le gouvernement de Pierre Laval qui était impopulaire, le bon sens en reconnaissant la nécessité, que ses effets, particulièrement douloureux :

« Ce qui a été condamné dans la politique de déflation, c’est moins cette politique elle-même que les sacrifices qu’elle imposait. Dans leur immense majorité, les électeurs français, gens de bon sens, restent convaincus que pour l’Etat comme pour les individus, le meilleur moyen d’assainir des finances est encore d’équilibrer recettes et dépenses. Seulement, il y avait tant de souffrances parmi les travailleurs et les classes moyennes, certains démagogues se sont révélés si habiles à exploiter ces souffrances, que le corps électoral a fini par croire inutile l’effort qu’on demandait au pays. »

En d’autres termes, ce sont les communistes qui selon Paul Simon ont trompé le pays en faisant miroiter à l’électorat maints chimères. Et c’est sur cette base que l’éditorialiste entreprend une démolition en règle du bilan du Front populaire après ces deux premiers mois d’exercice du pouvoir. Tout d’abord, il avance que Léon Blum bénéficie d’une importante majorité au parlement et qu’il « a pu faire ce qu’il a voulu ». Autrement dit, si le Front populaire a pu prendre quelques bonnes mesures, cela était facile puisque la majorité lui était acquise. C’est là une manière classique de dénigrer les mérites de l’adversaire et la mise en place des Congés payés, mesure emblématique, est sur ce point particulièrement révélatrice puisque selon Paul Simon ils « avaient l’assentiment quasi unanime des deux assemblées ». Pour l’éditorialiste, Léon Blum et le Front populaire ne sont que des marionnettes aux mains des communistes. Et c’est justement ce qui autorise toutes les outrances en affirmant qu’aux yeux du Président du Conseil, « l’ordre [….], c’est le droit de propriété impunément violé, c’est le drapeau rouge sur les usines et les chantiers, c’est la rue livrée par privilège aux seuls éléments du Front populaire ». De la même manière, la loi sur les 40 heures va mettre « en péril le petit et le moyen commerce, ainsi que la petite industrie » tandis que la création de l’Office national interprofessionnel du blé – institution destinée à réguler les prix pour garantir les revenus des producteurs – ouvrira le voie à la « nationalisation de l’agriculture ».

Carte postale. Collection particulière.

En définitive, il apparait manifeste que ces lignes trahissent une réelle anxiété et une véritable crainte de l’avenir. Pour autant, il convient de ne pas tomber dans le piège que peut constituer l’effet loupe d’un tel éditorial. Pour cela, il faut se demander si cette nervosité est également ressentie par le lectorat de L’Ouest-Eclair. Et sur ce point, faute d’archives, il est bien évidemment difficile d’être catégorique.

Erwan LE GALL

 

1 SIMON, Paul, « Après deux mois d’expérience », L’Ouest-Eclair, n°14514, 2 août 1936, p. 1.