La Libération comme « entrée en paix » ?

Dans un excellent ouvrage collectif sur la guerre d’Algérie, Patrick Harismendy invitait récemment à réfléchir sur les outils permettant non plus la sortie de conflit mais « l’entrée en paix », démarche qui parmi de nombreux outils s’appuie sur les dispositifs en faveur des anciens combattants et victimes de guerre1. On ne sait si Hubert Béasse et les équipes de la société de production Vivement Lundi ! ont lu cet ouvrage mais il est frappant de voir combien la représentation de la Libération de la Bretagne, et tout particulièrement de Rennes, qu’ils donnent dans leur dernier film, intitulé Après la guerre, Reconstruire la République, est en complet décalage avec la vision souvent lénifiante véhiculée par les différentes commémorations telles que celles qui ont pu essaimer lors du 70e anniversaire. On peut y voir là un énième marqueur de la différence entre histoire et mémoire mais aussi la trace de dispositifs permettant justement cette « entrée en paix ».

Les FFI montent à l'assaut. Image extraite du film Après la guerre, Reconstruire la République d'Hubert Béasse produit par Vivement Lundi!

Car à n’en pas douter, et c’est d’ailleurs ce que montre parfaitement ce documentaire qui sera diffusé le 27 avril prochain sur France 3, l’histoire dont il est question ici laisse des traces d’autant plus profondes qu’elle se déroule au village, dans les quartiers, parfois entre voisins, amis ou membres d’une même famille. En effet, et c’est là un aspect complètement gommé lors des cérémonies patriotiques, si l’été 1944 est le moment de la Libération de la Bretagne face à l’occupant allemand, cette période est aussi celle où se jouent les conditions de « l’entrée en paix », dimension qui, on a trop souvent tendance à l’oublier, n’était pas nécessairement gagnée d’avance. Et en l’occurrence, ce n’est plus contre les Allemands que se livre le combat mais entre Français et, parfois, entre Bretons.

En effet, en 1944, c’est déjà la stratégie des blocs qui se dessine et si l’on sait le général De Gaulle farouchement attaché à la défense de l’indépendance de la France, attitude qui n’est pas sans influer sur ses relations avec la Grande-Bretagne et les USA, tout aussi importante est sa volonté d’empêcher la prise du pouvoir par les communistes. Or, auréolé de sa large contribution à la Résistance intérieure, le parti de Maurice Thorez dispose de réels arguments avec ses milliers de Francs-Tireurs et Partisans prêts à déclencher l’insurrection.

L’un des grands intérêts de ce passionnant documentaire  réalisé par Hubert Béasse est justement de revenir sur cette libération de Rennes dont les points stratégiques sont bien entendu la Préfecture et l’Hôtel de Ville mais aussi, et peut-être même surtout, les rotatives de L’Ouest-Eclair. Car c’est bien d’une stratégie, notamment médiatique, pour assoir l’autorité naturelle du général De Gaulle contre les communistes, dont il est question ici. La preuve en est que le Rennais Pierre-Henri Teitgen, nommé ministre de l’information en septembre 1944, siège, depuis le début, au Conseil d’administration du quotidien Ouest-France2. Ce faisant, cette libération apparait bien plus politique que militaire – la fameuse « bataille de la maison blanche » n’étant qu’une escarmouche à l’échelle de la Seconde Guerre mondiale – et, surtout, elle est loin de s’achever en août 1944. En effet, et le film le montre parfaitement en s’appuyant notamment sur de nombreux rapports du Commissaire de la République, Victor Le Gorgeu, le climat des semaines qui suivent les flonflons de la Libération n’incitent pas réellement à « l’entrée en paix ».

Le film permet de revenir sur la figure méconnue de Pierre Herbart alias Le Vigan. Image extraite du film Après la guerre, Reconstruire la République d'Hubert Béasse produit par Vivement Lundi!

Alternant efficacement images d’archives et entretiens avec des historiens et spécialistes de la question – Christian Bougeard, Philippe Buton, Olivier Wieviorka, Georges Guitton… – et des témoins, ce film dispose d’une indéniable portée pédagogique. Et on ne peut à ce propos que se féliciter qu’il soit diffusé, quoique tardivement, sur une chaîne du service public à l’occasion d’une soirée spéciale.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 JOLY, Vincent et HARISMENDY, Patrick (Dir.), Algérie sortie(s)s de guerre 1962-1965, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

2 BOUGEARD, Christian, La Bretagne de l’occupation à la Libération, 1940-1945, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 202.