Nantes, le soleil et ses crues

La une de l’édition du 2 décembre 1910 du quotidien breton L’Ouest-Eclair s’ouvre sur un titre où se mêlent sensationnalisme (« Les inondations dévastent des régions entières ») et réelle crainte (« ou s’arrêtera le désastre »)1. Il est vrai que la situation est particulièrement préoccupante et que cette nouvelle crue intervient après celle qui, au début de cette même année, frappe Paris.

Carte postale. Collection particulière.

La Bretagne est particulièrement touchée par ces inondations, conséquences des fortes pluies tombées sans discontinuer ou presque depuis le mois de novembre 1910. Dans le secteur du Mont-Dol, L’Ouest-Eclair rapporte que « quantité de fermes sont entourées d’eau et [que] les fermiers voyagent en bateau ». A Guingamp, la crue du Trieux amène parfois un mètre d’eau dans certaines maisons du faubourg Sainte-Croix et le quotidien breton de préciser que « le sol est détrempé et ressemble à de la vase ». A Rennes,  les dégâts causés par la crue sont « d’autant plus grave que ceux qui devront en supporter les conséquences, avance L’Ouest-Eclair, sont de pauvres gens, des ouvriers, des petits commerçants, ou des cultivateurs que l’inondation a empêché de faire leur semailles ». Dans l’arrondissement de Redon, particulièrement vulnérable aux crues de la Vilaine, le niveau de l’eau est mesuré à plus de 5,70 mètres !2

Mais c’est véritablement sur la Loire et notamment à Nantes que la situation est la plus critique. Outre des précipitations particulièrement importantes ayant amené un débit anormalement élevé du « fleuve royal », la raison en est la rupture de plusieurs « levées », sortes de grandes digues prévues pour contenir le débit des eaux. Annonçant celle de Montjean-sur-Loire dans son édition du 3 décembre 1910, L’Ouest-Eclair donne une estimation du volume des inondations qui dit bien l’ampleur de la catastrophe : 45 millions de mètres cubes d’eau sur une surface de 1 500 hectares3. Impressionnants, ces chiffres ne tiennent toutefois pas compte de la rupture, à seulement une douzaine de kilomètres de Nantes, de la levée de la Divatte.

On comprend dès lors que la situation dans le chef-lieu du département qui s’appelait à l’époque la Loire-Inférieure soit particulièrement dramatique. Impressionnantes, les statistiques donnent là encore le tournis : plus de 26 kilomètres de voies (rues, boulevards, avenues….) de la ville sont sous les eaux et, pour permettre la circulation des riverains, plus de 10 kilomètres d’appontements et passerelles en tous genres sont posés ! On comprend dès lors pourquoi tant de cartes postales immortalisent les scènes incongrues qu’entraînent ces inondations et fournissent par la même occasion d’excellentes sources aux historiens : fortes, ces images font vendre et attisent l’appétit des éditeurs.

Carte postale. Collection particulière.

Pour autant, là n’est pas ce qui frappe le plus en lisant la presse de l’époque. L’histoire de ces inondations est en effet connue de même que leur cause : outre une pluviométrie exceptionnelle c’est également une fonte des neiges plus importante qu’à la normale qui explique le débit aussi fort de la Loire. De plus, la crue de décembre 1910 est loin d’être la première de l’année, accentuant d’autant « l’effet catastrophe » de ces inondations. Outre celles de janvier 1910 qui frappent – on l’a dit – violemment Paris mais également Besançon, on en recense également d’importantes dans la région de Nantes – déjà ! – en mars 1910.

Mais à l’époque on cherche d’autres causes et c’est donc vers l’abbé Théophile Moreux, astronome berrichon et vulgarisateur scientifique tenant régulièrement chronique dans les colonnes de L’Ouest-Eclair, que se tourne le quotidien breton pour tenter d’expliquer cette annus horribilis. Pour le vénérable ecclésiastique, par ailleurs membre de la prestigieuse Société astronomique de France, c’est dans les cycles du soleil qu’il faut chercher la raison de ces fortes précipitations, la fréquence des pluies étant liées à l’intensité de l’astre. Une explication qui n’est pas sans faire penser aux arguments avancés à l’heure actuelle par certains « climato sceptiques »…

Erwan LE GALL

 

 

1 L’Ouest-Eclair, n°4332, 2 décembre 1910, p. 1.

2 « La Colère des eaux s’apaise », L’Ouest-Eclair, n°4333, 3 décembre 1910, p. 1.

3 « La rupture de la digue de Montjean », L’Ouest-Eclair, n°4333, 3 décembre 1910, p. 2.