Quand un Président de la République démissionne pour trafic d’influence

On connaît la célèbre phrase prononcée par l’emblématique maire de Lyon Edouard Herriot postulant le parallèle entre la politique et l’andouillette, à savoir que cela « doit sentir un peu la m…, mais pas trop ». Il est vrai que la Troisième République n’est pas avare en scandales divers et variés, comme le rappelle la démission le 2 décembre 1887 du Président de la République Jules Grévy, impliqué dans une sombre affaire de trafic d’influence ayant entraîné sa chute.

Carte publicitaire représentant Jules Grévy. Collection particulière.

Jurassien né le 11 août 1807, Jules Grévy est le fils d’un ancien volontaire de 1792 et un Républicain fervent. Avocat de profession, il débute sa carrière politique en 1848 mais retourne vite au barreau du fait du raidissement amené par le Second Empire. Avec la libéralisation du régime, il redevient député en 1868 puis s’oppose fermement à la Commune de Paris avant de devenir président de l’Assemble nationale dans les années 1870. Il atteint le sommet de sa carrière politique en succédant au maréchal de Mac-Mahon à l’Elysée, le 30 janvier 1879. Réélu à la présidence la République en 1885, il est emporté par le scandale dit des décorations et est contraint à la démission deux ans plus tard.

Chose curieuse, la mémoire de Jules Grévy n’est finalement que peu associée à cette affaire. Il est vrai que le Président de la République est dans ce dossier une sorte de victime collatérale des pratiques frauduleuses de son gendre, Daniel Wilson, individu ayant épousé en 1881, au sein même de l’Elysée, la fille du chef de l’Etat. Député républicain influent, « Monsieur Gendre » comme on l’appelle de manière assez cruelle, négocie des décorations et plus particulièrement des légions d’honneur, en échange de pots de vin lui permettant de renflouer les caisses de ses – nombreuses – entreprises. Eclatant en octobre 1887, l’affaire constitue une aubaine bienvenue pour Georges Clemenceau et Jules Ferry, adversaires politiques résolus de Jules Grévy, qui profitent de l’occasion pour cibler le Président de la République, jusqu’à le conduire à la démission.

Les conditions techniques de l’époque expliquent également pour une large part pourquoi le souvenir de Jules Grévy, s’il n’est certes plus très présent, n’est pas irrémédiablement associé à ce scandale. Dénuée de liaison télégraphique, la presse provinciale peine à suivre les multiples rebondissements de cette tortueuse affaire comme l’expose, le 4 décembre 1887, L’Avenir de la Bretagne : « Les incidents, les événements de la crise gouvernementale dans laquelle se débat notre pauvre pays se sont tellement multipliés depuis notre dernier numéro que nous nous contentons de les énumérer dans leur ordre chronologique, sans pouvoir prétendre en déduire aujourd’hui les conséquences morales et politiques »1. Si à Nantes, L’Union bretonne donne, toujours le 4 décembre 1887, de nombreux détails sur les circonstances ayant conduit à la démission de Jules Grévy, c’est en reproduisant un article d’un journal parisien, Le Petit Journal2.

Jules Grévy, à droite, en compagnie de son fameux gendre, Daniel Wilson. Wikicommons.

Pour autant, en définitive, c’est sans doute les mentalités d’alors qui expliquent le mieux pourquoi le nom de Jules Grévy n’est pas, aujourd’hui, synonyme de scandale politique et de trafic d’influence. Après tout, il reste toujours quelque chose de la calomnie pour faire référence à un célèbre adage, mais encore faut-il que le délit existe. En effet, il convient de remarquer que, autres temps, autres mœurs, Daniel Wilson, bien que traduit en justice dans cette affaire, est acquitté en appel au motif qu’aucune loi de l’époque ne punit le trafic d’influence… Dans ces conditions, il est donc difficile d’y associer le nom de Jules Grévy, même si paradoxalement il aura contribué à faire de la pratique qui entraîne sa chute un délit3.

Erwan LE GALL

 

 

1 « Bulletin politique », L’Avenir de la Bretagne, troisième année, n°295, 4 décembre 1887, p. 1.

2 « Histoire de la démission », L’Union bretonne, 39e année, n°12 178, 4 décembre 1887, p. 1-2.

3 Sur cette question on renverra à LASCOUMES, Pierre et AUDREN, Frédéric, « La justice, le gendre et le scandale des décorations. Aux origines du trafic d’influence », in DUMONS, Bruno et POLLET Gilles (dir.), La fabrique de l’honneur et les décorations en France, XIXe-XXe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 119-141.