La communarde du Finistère : Nathalie Lemel

1936 et 1870 sont deux années qui, a priori, n’ont pas grand-chose à voir. Toutes deux ont pourtant en commun d’être très richement fragmentées puisqu’événements militaires (guerre d’Espagne ou franco-prussienne) et politiques (le Front populaire d’une part, la Commune de Paris de l’autre) se répondent en cadence pour d’ailleurs, en ce qui concerne ces derniers, devenir de véritables références, inscrites au cœur de la mythologie des gauches. Aussi, de la même manière que pour Kris, associé à Bertrand Galic et Damien Cuvillier, revenir sur l’affaire du C2 – ce sous-marin républicain espagnol réfugié en rade de Brest – permet de mettre de côté les contradictions du front populaire pour se focaliser sur le devoir d’ingérence vis-à-vis d’une guerre civile voisine, retracer le parcours de la communarde bretonne Nathalie Lemel est assurément le moyen d’insister sur l’importance et l’actualité des questions sociales et féministes1.

L’album retranscrit très bien l’atmosphère des faubourgs populeux de Paris et notamment la misère qui frappe les Bretons qui y migrent. En cela, il constitue un excellent écho aux travaux de Thomas Perrono.

Œuvre de mémoire et album engagé, le roman graphique de Roland Michon et Laëtitia Rouxel frappe d’abord par ses omissions. Certes, le souvenir est indissociable de l’oubli mais il est frappant de constater à la lecture de ce stimulant ouvrage combien la guerre franco-prussienne est en dehors du périmètre mémoriel associé à la Commune de Paris, alors que les deux événements sont intimement liés. Sans doute faut-il y voir les effets d’une réelle polarisation des représentations mentales associées à ce conflit puisque le legs de l’Armée de la Loire et du général De Sonis est, en Eure-et-Loir tout particulièrement, encore l’objet d’un véritable culte, clairement conservateur et inscrit à droite.

De même, il est difficile d’aborder la notion de mémoire sans interroger les déformations qu’elle entraîne. Celles-ci sont clairement apparentes dans l’album de Roland Michon et Laëtitia Rouxel, notamment en ce qui concerne les rapports qu’entretiennent Nathalie Lemel et Armand Guerra, jeune cinéaste venu interroger pour un film, au début de l’année 1914, la vieille militante devenue aveugle, ancienne héroïne des barricades. En effet, si la relation entre ces deux personnes est d’un grand intérêt, et on comprend aisément que ce livre se focalise dessus, celle-ci est exposée d’une manière extrêmement contemporaine. Ainsi il est clairement question du « témoignage » de Nathalie Lemel (p. 7) et il est difficile, à dire vrai, de ne pas percevoir à travers les traits du jeune réalisateur ceux des auteurs.

On aurait néanmoins tort de voir dans cet aspect du récit un anachronisme tant les passerelles avec le temps présent sont évidentes, et assumées. A plusieurs reprises, le langage, comme un clin d’œil, se révèle ainsi moins relever du XIXe siècle que du début du XXIe siècle. De la même manière, le dessin entretient volontairement l’ambiguïté en dissimulant de bien actuels complets veste-cravate dans des cases censées décrire des événements survenus un siècle auparavant (p. 122, lors de la présentation du film d’Armand Guerra). L’intention de Roland Michon et Laëtitia Rouxel est en réalité claire : témoigner de l’actualité de la pensée sociale et féministe de Nathalie Lemel.

L’album joue subtilement de la concordance des temps.

Là est d’ailleurs sans doute le plus grand mérite de cet album : ressortir de l’oubli relatif dans lequel est plongée cette Bretonne au destin extraordinaire. Née à Brest en 1826, elle émigre à Paris après avoir vécu quelques années à Quimper. Militante socialiste de premier plan, elle devient une figure de la Commune de Paris et meurt, après plusieurs années de déportation en Nouvelle-Calédonie, à Ivry-sur-Seine, dans le plus grand dénuement.  A travers ce destin tragique, c’est dès lors toute une galaxie de grandes figures qui s’offrent au lecteur, d’Eugène Varlin à Louise Michel en passant par Gustave Courbet et Jules Vallès.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 MICHON, Roland et ROUXEL, Laëtitia, Des Graines sous la neige. Nathalie Lemel, Communarde & visionnaire, Lopérec, Locus Solus, 2017. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.