Un Grand condamné

C’est un article figurant en première page du numéro du 1er avril 1911 du Bonhomme breton, journal hebdomadaire républicain. Sous le titre « Une exécution capitale à Nantes », il raconte les dernières heures de Jules Grand, guillotiné en exécution d’une condamnation à mort prononcée le 17 décembre 1910 par la cour d’assises1. La scène décrite se déroule place Lafayette, actuellement place Aristide Briand, et n’est pas sans évoquer les meilleurs films noirs. Ainsi, alors que « l’aube grise se lève » sous une pluie fine, le condamné est placé à l’intérieur des « bois de justice »,  sous les huées d’une centaine de personnes venues assister à la scène. A ce moment « le jour vient de poindre, des brumes obscurcissent encore l’air et voilent à demi les objets environnants ». Les derniers moments sont décrits avec un luxe de détails qui ajoutent encore à la noirceur du tableau :

« Mais voici qu’ils ont empoigné Grand, ils le couchent sur la bascule, la tête est engagée dans la lunette. Un coup léger, le coup du bois sur du bois. Le cercle supérieur du collier vient enfermer la tête. En même temps, un rugissement sourd, une sorte de vomissement, quelque chose qui roule avec un bruit mat, un corps inerte qu’on pousse dans le panier. Justice est faite. »

Carte postale. Collection particulière.

Un tel traitement journalistique n’est bien entendu pas sans interroger, surtout que la scène se produit pendant ce que l’on a coutume d’appeler la Belle époque. La description clinique des faits s’apparente bien ici a du sensationnalisme et l’on est frappé du peu de considération pour le condamné. Or, pour bien comprendre ce décalage, il faut non seulement se rappeler que la peine de mort est abolie en France en 1981, mais revenir sur le parcours judiciaire du guillotiné.

Jules Grand est en effet un authentique criminel, ayant commis de multiples forfaits, d’abord dans le sud de la France puis en Bretagne. Après de multiples cambriolages dans la région de La Baule, il assassine au Pouliguen une jeune bergère de 15 ans puis viole une institutrice à Savenay avant d’être finalement arrêté à Nantes en janvier 1910, après plusieurs semaines d’une rocambolesque cavale.

Carte postale. Collection particulière.

Racisme de l’époque oblige, on suspecte d’abord un émigré italien. D’ailleurs, celui que la presse qualifie de satyre du Pouliguen est également surnommé Enrici. Car l’affaire fait rapidement la une des journaux, soucieux d’informer leur lectorat mais aussi d’attirer les acheteurs potentiels avec des histoires sensationnelles. Il est vrai que l’institution judiciaire elle-même ne lésine pas sur les détails croustillants puisque, pour l’occasion, on fait venir à Nantes le célèbre bourreau de Paris, Anatole Deibler, par ailleurs natif de Rennes. Et c’est à ce moment-là que l’on réalise que la couverture de l’exécution de Jules Grand par le Bonhomme breton n’est, au final, que dans les normes dans l’époque. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler que L’Ouest-Eclair publie même une édition spéciale entièrement dévolue aux dernières heures du criminel. D’ailleurs, les deux journaux partagent la même conviction qu’en tranchant la tête du condamné, « justice est faite ».

Erwan LE GALL

 

1 « Une exécution capitale à Nantes », Le Bonhomme breton, journal hebdomadaire républicain, 29e année, n°14, 1er-2 avril 1911, p. 11.