Une catastrophe touristique

Les pratiques touristiques ont ceci de particulier qu’elles engendrent des déplacements de population dont il est parfois difficile d’apprécier l’impact. Est-ce parce que les personnes peuvent voyager qu’elles partent en villégiature ou, à l’inverse, est-ce parce qu’elles ont ce désir que des infrastructures sont créées. Dans le cadre de la catastrophe ferroviaire du 28 juillet 1912, la réponse apportée par la presse, est sans équivoque : c’est pour pouvoir acheminer les Morlaisiens qui chaque dimanche se promènent sur la plage du Dourduff, distante de moins de dix kilomètres, que des wagons supplémentaires sont arrimés au train de 2 h121.

Carte postale. Collection particulière.

Est-ce là la cause du drame ? Difficile de le dire. Une rupture du ballast est vraisemblablement à l’origine de l’accident dont le bilan est particulièrement lourd : cinq morts dont une fillette de quatre ans et une quinzaine de blessés. La Dépêche et L’Eclaireur du Finistère insistent sur le fait que cette portion de voie est en travaux au moment des faits et qu’elle a pu être fragilisée par de récentes et fortes pluies. C’est près de Ploujean, là où un officier général du nom de Ferdinand Foch dispose d’une belle résidence secondaire, que survient la catastrophe. Abusant des détails les plus sordides, La Dépêche de Brest n’épargne rien à ses lecteurs : « Un triste spectacle s’offrit à leur vue : une jeune fille d’une quinzaine d’années se trouvait engagée sous les roues d’un wagon. La mâchoire, les bras et les jambes broyés, elle gisait, coincée entre le rail et la voiture ; le sang s’échappait à flots de ses blessures. »

La presse régionale n’hésite donc pas à user de l’arme du sensationnalisme pour évoquer ce fait divers dramatique. Pourtant, le traitement dont cet évènement fait l’objet dans les journaux ne manque pas d’étonner puisque ce n’est qu’en pages intérieures que le déraillement est évoqué. Si La Dépêche évoque les cartes postales tirées à l’occasion de la catastrophe, seul L’Ouest-Eclair publie des photos du train couché sur la voie. De même, seul L’Eclaireur du Finistère consacre sa une à l’évènement. Mais là n’est sans doute pas ce qui attire le plus l’attention de l’historien.

Nombreux sont en effet ceux à souligner l’impact de la loi sur les 35 heures, à la fin des années 1990, sur les pratiques touristiques et notamment sur l’émergence, à la faveur des RTT, de séjours plus courts mais plus fréquents. Sans vouloir revenir sur ce propos, force est néanmoins de constater que ce type de pratique n’est pas totalement nouveau. C’est d’ailleurs, malheureusement, ce que rappelle la catastrophe ferroviaire du 28 juillet 1912 puisqu’en ce dimanche ce ne sont pas moins de 500 personnes qui se trouvent dans le train au départ de Morlaix. Ce chiffre dit donc bien l’ampleur d’une pratique qui, si elle n’est sans doute pas à la portée de toutes les bourses, est néanmoins assez largement ancrée dans les mœurs de celles et ceux qui, encore une fois, peuvent se le permettre.

Photographie publiée dans L'Ouest-Eclair le 30 juillet 1912 ainsi que dans L'Eclaireur du Finistère.

Ce sont d’ailleurs ces déplacements réguliers, sur de petites échelles, qui expliquent en grande partie la complexité du réseau ferroviaire français à la veille de la Première Guerre mondiale. Il est en effet d’usage de dire que le train arrive en Bretagne avec Napoléon III. Si cette assertion n’est pas fausse, cette attention aux grandes lignes du Chemin de fer de l’Ouest masque la densité du vaste réseau secondaire qui parcoure le territoire. Le train qui déraille le 28 juillet 1912 est ainsi celui qui relie Morlaix à Trégastel2. Mais reste à savoir encore une fois si c’est le transport qui favorise le tourisme où le désir de villégiature qui créé les infrastructures. Sans doute un peu des deux…

Erwan LE GALL

 

1 « La catastrophe de la roche aux corbeaux, La Dépêche de Brest, n°9837, 30 juillet 1912, p. 2.

2 Pour une bonne appréciation de la densité de ces réseaux secondaires, on consultera le hors-série « Le train à la conquête de l’Ouest » publié en avril 2013 par Ouest-France.