Une passionnante kermesse

C’est une information anecdotique en pages locales de L’Ouest-Eclair, quelques jours seulement après l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo. Nous sommes le 3 juillet 1914 et même si « le conflit austro-serbe s’envenime », tout laisse présager un été radieux, à commencer par la météo puisque « juillet débute par un beau coup de soleil ». D’ailleurs, l’heure est légère et les préoccupations sont aux œuvres de charité puisque le quotidien de la rue du Pré-Botté annonce la tenue, au parc du Thabor, d’une kermesse de bienfaisance organisée au profit des enfants tuberculeux de l’Hôtel-Dieu de Rennes1.

Celle-ci est d’ailleurs un succès et L’Ouest-Eclair rapporte que « les comptoirs et les diverses attractions furent visités par un grand nombre de Rennais de 1 heure de l’après-midi à 7 heures du soir », malgré une grosse averse venue interrompre les festivités. Pour autant, ce contretemps ne douche point l’enthousiasme de la population présente en masse au Thabor et c’est ainsi un bénéfice de 3 500 francs que génère cette œuvre philanthropique2.

Carte postale. Collection particulière.

Un détail pourtant intrigue celui qui s’intéresse à la Première Guerre mondiale : la présence de la musique du 41e régiment d’infanterie. En effet, ces fanfares sont très populaires à la Belle époque. Elles témoignent d’ailleurs d’une insertion du militaire qui est sans commune mesure avec ce qui existe aujourd’hui, où notre pays est régi par une armée de métiers. Or L’Ouest-Eclair donne la liste de toutes les personnes tenant bénévolement un des stands de cette kermesse. Ce faisant, c’est une source exceptionnelle qui se dévoile.

En effet, il est très difficile d’attester avec certitude les liens de sociabilité qui unissent les officiers d’une garnison. L’armée étant, comme tout milieu professionnel, un petit monde, on peut se douter que l’on se connaisse, que l’on s’apprécie ou parfois que l’on se déteste et/ou se jalouse. Pourtant, rares sont les documents qui nous permettent de certifier ces liens interpersonnels qui, le plus souvent, passent par une sphère que l'on qualifierait de para-professionnelle.

Lorsque l’on regarde la liste publiée par L’Ouest-Eclair, plusieurs noms interpellent : celui de Mme Saint, femme de Lucien, préfet d’Ille-et-Vilaine, celui de Mme Jenouvrier, femme de Léon, avocat célèbre du barreau de Rennes et sénateur, celui de Mmes Dottin et Bahon, femmes de Georges et Carl, adjoints au Maire de Rennes Jean Janvier…, dont l’épouse Marthe est également présente. Mais on trouve également le nom de Mme Charles Oberthur, patron des célèbres imprimeries du même nom qui partira quelques semaines plus tard au front avec une batterie du 7e régiment d’artillerie de campagne de Rennes.

Au parc du Thabor. Carte postale (détail). Collection particulière.

Plus intéressant encore, il semble que le buffet soit tenu par de nombreuses femmes d’officiers de carrière à commencer par Mme Defforges, épouse du général commandant le 10e corps d’armée, Mme Rogerie, épouse du général commandant la 38e brigade, Mme Passaga, épouse du lieutenant-colonel commandant le 41e régiment d’infanterie. La présence de cette dernière est d’ailleurs particulièrement intéressante puisque son mari n’est affecté à Rennes que depuis quelques semaines seulement, étant nommé en mars en provenance du 164e régiment d’infanterie de Verdun.

Pour faire carrière, on sait que les relations interpersonnelles sont importantes mais que, celles-ci s’opérant le plus souvent dans une sphère para-professionnelle, elles ne sont pas toujours évidentes à établir. C’est en cela que ce buffet tenu « par les femmes des officiers de la garnison » est un élément très intéressant pour quiconque étudie le 10e corps d’armée de Rennes et, plus globalement, l’Armée française de 1914. Pour autant, il est difficile d'en dire plus à la vue de ce seul exemple. Ces femmes se côtoient-elles ou se fréquentent-elles ?Autrement dit, quelle la part de sincérité dans ces relations para-professionnelle et qu’est ce qui relève de la pure stratégie de carrière ? Il est bien entendu impossible de le dire. Pour autant, il n'en demeure pas moins que plus que des relations de travail, des subordonnés et des supérieurs, ce sont des gens qui se connaissent et aussi parfois des amis qui partent, un moins plus tard au front.

Erwan LE GALL

1 « La kermesse de dimanche », L’Ouest-Eclair, 3 juillet 1914, n°5673, p. 4.

2 « La kermesse du Thabor », L’Ouest-Eclair, n°5676, 6 juillet 1914, p. 4.