Le deuxième procès de Rennes : trois officiers du 47e régiment d’infanterie devant le Conseil de guerre

 

Le 19 mars 1906, trois officiers du 47e régiment d’infanterie sont jugés par le conseil de guerre de la 10e région militaire de Rennes suite à l’inventaire des biens de l’église de Saint-Servan. Bien que moins connu que celui d’Alfred Dreyfus, ce procès met en lumière toutes les zones d’ombres d’une justice militaire qui, au final, se révèle éminemment politique. Se déroulant dans les lieux mêmes où est jugé Dreyfus, ce « deuxième procès de Rennes » rappelle la place prépondérante de l’Armée au cours du long divorce entre l’Eglise et l’Etat. Par ailleurs, se déroulant moins de dix ans avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, cette affaire amène à s’interroger sur les contours du XXe siècle naissant.

 

 

Les hasards qui régissent, parfois, la conservation des documents anciens, amènent les papiers du Conseil de guerre permanent de la 10e région militaire siégeant à Rennes à pouvoir être consultés aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, et non au département de l’Armée de terre du Service historique de la Défense, à Vincennes1. Bien entendu, les chercheurs bretons ou intéressés par l’histoire de la Bretagne, ne peuvent que se réjouir d’une telle situation qui contribue à rapprocher grandement ces archives de ceux qui, a priori, sont le plus amenés à travailler dessus.

Pour autant, ces documents doivent être maniés avec précaution tant l’impression qui peut en résulter peut constituer un prisme déformant. Ainsi, les affaires jugées par le Conseil de guerre laissent le plus souvent entrevoir le portrait d’une certaine marginalité qui ne saurait être tenue pour représentative de la société militaire dans son ensemble. Nombreux sont par exemple les dossiers impliquant des personnes évoluant dans un environnement social assez lourd : un est décrit par sa femme comme « alcoolique invétéré », un autre a « mauvaise réputation », quelques-uns ont un casier judiciaire qui est loin d’être vierge… Certains, enfin, sont jugés irresponsables et déclarés « aliénés » ou encore « dégénérés inférieurs d’un niveau intellectuel très au-dessous de la moyenne »2. Partir de ces archives pour dresser un portrait du soldat de la 10e région militaire à la Belle-Epoque et de la contrainte institutionnelle qui s’exerce sur celui-ci serait donc une double erreur méthodologique. Outre le fait qu’une telle argumentation reviendrait à assimiler à la masse des militaires – tant de carrière qu’appelés sous les drapeaux – des profils dont a vu plus haut qu’ils sont éminemment marginaux, une telle démarche reviendrait à oublier que si la justice aux armées peut avoir une influence sur l’obéissance du soldat, le Conseil de guerre est précisément le lieu où est jugée la désobéissance, c’est-à-dire la relation d’autorité rompue3.

Ce n’est donc pas dans leur ensemble que sont intéressantes ces archives du Conseil de guerre permanent de la 10e région militaire – sauf précisément à étudier une certaine marginalité – mais bien dans quelques cas exceptionnels. C’est ce que montre l’étude détaillée de M. Bourlet d’une collision ferroviaire survenue le 4 août 1914 à Bricquebec, accident qui entraîne la mort de 13 personnes et la comparution devant le Conseil de guerre de la 10e région militaire de deux mobilisés, inculpés pour homicides et blessures involontaires. Le dossier, lié à la procédure dont ces deux individus font l’objet, est intéressant dans la mesure où il permet de mettre en évidence les tensions logistiques nées de la mobilisation générale sur le réseau français de chemin de fer4. Hors du commun est également le jugement n°5670 rendu le 19 mars 1906 par le Conseil de guerre siégeant à Rennes5, décision venant clore un procès à bien des égards exceptionnel, tant par la qualité des prévenus – trois officiers du 47e régiment d’infanterie jugés suite à leur conduite lors de l’inventaire des biens de l’Eglise de Saint-Servan – que par sa médiatisation et sa finalité. Ce qui pourrait n’être considéré que comme un simple « fait divers » se révèle alors être au contraire, suivant les mots de F. Chauvaud, un objet de recherche complexe permettant de dresser le portrait d’une époque6.

La révision du procès Dreyfus en août 1899: à jamais le premier procès de Rennes. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, PETFOL-QE-168.

Mais pour bien comprendre pourquoi le passage de ces trois officiers devant le Conseil de guerre peut être érigé en « deuxième procès de Rennes »7, le premier demeurant à jamais celui d’Alfred Dreyfus, il convient de rappeler en quoi l’inventaire de Saint-Servan relève du long divorce entre l’Eglise et de l’Etat, procédure où l’Armée tient une place prépondérante. On remarquera d’ailleurs que si le qualificatif de « querelle » est régulièrement employé pour désigner ces inventaires, celui de Saint-Servan semble bien dépasser ce stade tant ses conséquences sont graves. C’est bien en cela que ce jugement du Conseil de guerre est important. En effet, ce qui se joue au cours de ce procès est, de la même manière que pendant l’Affaire, l’honneur de l’Armée, défendu par certains au nom du refus de participer à de « basses besognes », résidant pour d’autres dans sa soumission à l’autorité civile. Aussi, après avoir examiné les faits, il conviendra de voir en quoi la réponse judiciaire qui y est apportée participe elle aussi d’une logique politique.

 

Les inventaires : procédure finale d’un long divorce

Fille ainée de l’Eglise, la France n’en est pas pour autant à l’abri des paradoxes. En effet, c’est précisément Marianne qui met un terme à une relation difficile en entérinant le divorce entre l’Eglise et l’Etat. Mais, si elle est aujourd’hui considérée comme un élément quasi constitutif de l’identité française – comme en témoignent de récents débats politiques ou encore le centenaire de 2005 – la loi de 1905 n’est pas adoptée sans maints débats particulièrement vifs.

Un contexte lourd

Il n’appartient bien entendu pas à ces quelques lignes de résumer les nombreuses crises qui aboutissent à la loi du 9 décembre 1905. L’histoire de la laïcité est en effet un sujet à part entière, comme en témoigne la bibliographie particulièrement riche consacrée à ce sujet.8 Pour notre propos, nous nous limiterons à rappeler que ce texte est l’aboutissement d’un long processus, transition d’une monarchie absolue dotée d’une véritable religion d’Etat à un régime de séparation, en passant par un épisode concordataire durant un siècle. Or, c’est un fait sans doute insuffisamment rappelé que l’Armée est régulièrement impliquée dans ces relations tumultueuses entre Eglises et Etat, et ce à plusieurs titres9.

Depuis une loi de 1791, la troupe peut en effet être amenée, au gré de certaines circonstances particulières, à assurer le maintien de l’ordre sur le territoire, charge qui habituellement incombe à l’autorité civile. C’est à ce titre que tout au long du XIXe siècle, l’Armée est opposée par le pouvoir en place aux émeutes politiques et sociales10. Les mesures prises par Freycinet et Ferry en 1880 marquent ainsi le début d’une première vague d’expulsion de congrégations qui, ça et là, placent certains militaires en porte-à-faux vis-à-vis de leurs consciences professionnelles et religieuses. En Bretagne-sud, le général Zents commandant le XIe corps rapporte que le rôle de la troupe se borne à cette occasion à un rôle strictement passif « consistant à occuper les alentours des maisons religieuses […] et à interdire les abords de manière à préserver l’ordre et la tranquillité publique »11. Mais à Rennes, l’expulsion de la congrégation du couvent de Franciscains dit des Récollets est, dans la nuit du 28 au 29 octobre 1880, l’occasion de refus d’obéissance de la part d’officiers du 14e bataillon de chasseurs à pied. Pourtant, tout aussi magnanime qu’habile politiquement, le général Davout – duc d’Auerstedt, prince d’Eckmühl – commandant alors la 10e région militaire étouffe l’affaire en refusant de la mettre en jugement12.

Chronologie simplifiée de l'affaire de Saint-Servan.

Une vingtaine d’années plus tard, les lois sur le droit d’association puis sur l’enseignement des congrégations donnent le coup d’envoi d’une seconde vague d’expulsions, synonyme de nouveaux dilemmes pour certains officiers. Pour ne citer qu’un célèbre exemple breton, le commandant Barthélémy-Emmanuel Le Roy-Ladurie, grand-père du célèbre historien, est destitué le 26 septembre 1902 par le Conseil de guerre de Nantes pour avoir refusé de participer, le 15 août précédent, à la fermeture des écoles des congrégations catholiques de Douarnenez13.

Le pape Léon XIII a beau, en 1892, dans son encyclique Inter Sollicitudines (Au milieu des sollicitudes), appeler les catholiques à accepter la République, « une forme de gouvernement aussi légitime que les autres »14, les heurts ne cessent pas et, une fois encore, l’Armée se trouve au cœur des tensions qui traversent le pays. Le procès, en mai 1903, au tribunal correctionnel de Saint-Malo, des frères capucins de Saint-François d’Assises de Dinard pour infraction à la législation sur les congrégations est ainsi l’occasion d’une grande manifestation cléricale de soutien aux prévenus. Le service d’ordre établi pour assurer la sécurité de la foule – 2 à 3000 personnes selon les chiffres- mêmes donnés par le commissariat de police – est alors assuré par deux brigades de gendarmerie à pied, venues de Saint-Malo, et une brigade de gendarmerie à cheval, dépêchée de Saint-Servan15.

Le pape Léon XIII. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, FOL-LI-59 (9).

Certes il ne s’agit là que de gendarmes, et nom de fantassins ou d’artilleurs, mais leur emploi dit bien le niveau de tension qui règne à l’occasion de ce procès à Saint-Malo.

Quelques mois plus tard, le 12 février 1904, des incidents encore plus graves ont lieu à Ploërmel à l’occasion de l’expulsion des Frères de l’instruction chrétienne, congrégation interdite l’année précédente. Requis par l’autorité civile, la troupe – composée d’éléments en provenance des 19e et 116e régiments d’infanterie – prend possession des bâtiments sous les huées – et quelques jets de pierre – de la population rassemblée en grand nombre – le sous-préfet évoque 1000 personnes environ réunies par la noblesse locale. La situation est telle que, jusqu’en novembre 1904, les bâtiments sont occupés par des troupes du 19e RI, afin de prévenir tout retour des frères. Mais si l’affaire de Ploërmel est si importante, c’est que plusieurs officiers du 116e RI – les capitaines de Beaudrap et Morel ainsi que les lieutenants Boux de Casson, de Torquat et Boulay de la Meurthe – refusent d’obéir aux ordres et d’investir les bâtiments de la congrégation. Passés devant le Conseil de guerre de la XIe région militaire à Nantes qui les acquitte, ils sont jugés une seconde fois en appel, à la demande du ministre de la Guerre, par le Conseil de guerre siégeant à Tours qui, une nouvelle fois, les acquitte. Placés en disponibilité de l’armée par retrait d’emploi, certains de ces officiers quittent cette France devenue laïque et partent s’établir au Canada16.

Charles de Freycinet. Wiki commons.
Mais dans d’autres cas, la troupe n’est plus le bras armé du pouvoir politique en place permettant de réprimer les troubles mais bel et bien l’objet de manœuvres visant à faire progresser le curseur marquant le conflit entre laïcs et cléricaux. En 1883, le nouveau règlement sur le service intérieur supprime la participation des troupes aux fêtes religieuses alors que, dans le même temps, les fanfares militaires constituent une attraction régulière des cérémonies officielles et des fêtes de bienfaisance, érigeant ainsi l’armée en un puissant vecteur d’éducation musicale. Dans le détail, les textes stipulent que toute demande de participation d’une musique militaire à une « cérémonie officielle » ou une « fête de bienfaisance » doit être formulée par le maire de la commune où doit avoir lieu la manifestation et être adressée au général commandant le corps d’armée par l’intermédiaire du préfet, appelé à donner son avis17.

En d’autres termes, la troupe peut jouer lors d’une fête laïque mais pas lors d’un pardon, sauf avis contraire. De même, à partir de la loi Freycinet votée le 15 juillet 1889, les clercs sont astreints au service militaire, ce que la mémoire collective retient sous la formule des « curés sac au dos ». Là encore, cette décision n’est pas sans provoquer maints remous18

Par ailleurs, un certain nombre de mesures visent à soustraire l’Armée à l’influence des milieux religieux. En 1903, le général André, alors ministre de la Guerre, prohibe la fréquentation des cercles catholiques aux militaires. Rapportant l’interdiction faite aux cavaliers des 24e Dragons et 13e Hussards de fréquenter l’œuvre fondée en 1895 par l’abbé Dupré à Dinan, le Nouvelliste de Bretagne y voit le résultat de la « rancune des loges ». La situation est d’autant plus conflictuelle que dans le même numéro, le journal conservateur rennais ironise sur les conséquences de cette mesure à Saint-Servan où « les militaires seront autorisés, peut-être même y seront-ils contraints, à assister aux conférences révolutionnaires et antimilitaristes, faites par un Béranger quelconque à l’Université populaire ».19

Les militaires sont donc, au tournant du siècle, l’enjeu d’une véritable lutte d’influence que se livrent partis cléricaux et laïcs. On pourrait bien entendu citer à ce titre le scandale des fiches, véritable entreprise de régénération des cadres de l’Armée par des éléments jugés comme fidèles au régime. Mais bien d’autres manœuvres, moins célèbres et plus ponctuelles, existent et visent elles aussi à épurer l’institution militaire. C’est ainsi qu’en novembre 1903 le sous-préfet de Saint-Malo interpelle le préfet d’Ille-et-Vilaine pour que celui-ci saisisse l’autorité militaire du cas du « sieur Lafont », sous-officier de réserve au 24e Dragons, afin que l’intéressé ne puisse non seulement pas recevoir son galon d’officier mais soit, de plus, cassé de son grade. La raison en est la part prise par l’intéressé à la manifestation qui a lieu à Cancale lors de la fermeture de l’école des frères de Ploërmel, rôle qui lui vaut d’ailleurs d’être condamné pour outrage au commissaire de police20. Les relations entre l’Eglise et l’Etat sont donc à l’époque telles qu’il ne semble pas excessif de parler – à la suite de Clemenceau – de véritable régime de discordat, situation à laquelle l’Armée est loin d’être étrangère.

Une loi clivante

Le Concordat prend d’ailleurs officiellement fin le 9 décembre 1905, jour où est votée une loi dite de séparation de l’Eglise et de l’Etat21.

Estampe figurant la signature du Concordat en 1801. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, RESERVE QB-370 (55)-FT 4.
Les réactions suscitées par la loi dans les milieux cléricaux sont bien entendues vives mais ne sont pas pour autant dénuées d’un certain fatalisme. Il est vrai que la Séparation est inscrite à l’ordre du jour parlementaire depuis 1903 et que son principe figure en tête de nombreuses professions de foi républicaines lors des élections législatives de 190222. Aussi est-ce sans doute pourquoi l’adoption de ce texte parait ne pas constituer une grande surprise pour les milieux catholiques, comme en témoignent plusieurs tracts distribués en Ille-et-Vilaine au cours de l’année 1905. En effet, chacun de ces libelles convoque une mémoire victimaire qui, pour être douloureuse, n’en marque pas moins autant d’étapes du recul de l’influence de l’Eglise en France : ainsi de la Révolution et plus particulièrement de la Terreur, de la législation sur les congrégations…23

Sans surprise, la Semaine religieuse du diocèse de Rennes considère donc la loi adoptée comme étant « la plus grosse iniquité dont se soit rendue coupable la France depuis longtemps », le texte étant présenté comme une « œuvre de destruction que la haine envers les catholiques a préparée et réalisée »24. En cela la Semaine religieuse ne précède que de quelques semaines l’encyclique Vehementer nos publiée par le pape le 11 février 1906, texte dans lequel Pie X condamne sans retenue la loi de 1905, accusée de créer « à l’Eglise catholique en France une situation indigne d’elle et lamentable à jamais », et appelle les croyants à l’union et à la résistance25.

C’est précisément dans cette optique que se situent les deux grands titres de la presse malouine. Ainsi, au début du mois de février 1906, René Pierre évoque dans un de ses éditoriaux de l’Union malouine et dinannaise une « loi impie, vexatoire et spoliatrice »26. Quelques jours après, Le Salut emboite le pas de son concurrent dans un vigoureux article signé de la plume de François Bazin où il est question d’une « guerre civile déclenchée par le pouvoir » et d’un véritable appel à la résistance:

« Pendant vingt-cinq ans, les catholiques s’étaient laissé molester par la secte maçonnique et par ses auxiliaires plus ou moins conscients, les Surcouf complaisants qui votent les lois antireligieuses sous prétexte d’affranchir les consciences et, en réalité, pour s’assurer les bouts de ruban dont ils ont besoin pour se faire réélire. Pendant vingt-cinq ans, sous le fouet d’incessantes provocations, les catholiques avaient rongé leur frein, ne laissant éclater que de loin en loin et de-ci de-là leur colère, lorsqu’on fermait arbitrairement leurs écoles, lorsqu’on en expulsait brutalement des instituteurs exemplaires ou d’inoffensives religieuses. Et la secte s’était dit sans doute qu’elle pourrait continuer indéfiniment à se rire de braves gens aussi résignés. La secte se trompait : la coupe était pleine […] »27

Plus complexe est en revanche la position de L’Ouest-Eclair, quotidien chrétien-démocrate et républicain dont la position « semble s’équilibrer autour d’une critique nuancée de la loi » portant séparation de l’Eglise et de l’Etat afin d’en tenter « une application franche et loyale », même si la question des inventaires parait, elle, beaucoup plus sensible28.

Pie X. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, EST EI-13 (388).

Malheureusement, il est beaucoup plus difficile d’analyser les positions de la presse laïque, celle-ci n’ayant été que très peu conservée. Le Progrès malouin n’est ainsi consultable aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine que jusqu’en septembre 190529. De même, les collections du Républicain, « l’organe de défense républicaine de l’arrondissement de Saint-Malo », présentent quelques lacunes, notamment pour la période qui, présentement, nous intéresse. Pour autant, le numéro daté du 12-13 décembre 1905 ayant été conservé, il est sans doute possible d’imaginer que celui-ci corrobore peu ou prou les positions bleues de la région. Dans un éditorial sobrement intitulé « La séparation », Charles Vié – rédacteur en chef du Républicain – présente le jour du vote de cette loi comme une « date historique » synonyme de « l’abolition des derniers privilèges d’antan »30.

Pour autant, si la documentation présente des lacunes, il ne semble pas inutile de rappeler qu’en Bretagne, et plus particulièrement en Ille-et-Vilaine et dans la région de Saint-Malo, la question religieuse revêt une acuité particulière, tant la foi est profondément ancrée. Plus de 90% des habitants du département sont ainsi répertoriés comme croyants, certains cantons ruraux affichant même à la fin du XIXe siècle des taux de pascalisants supérieurs à 95%31. Conséquence logique, en Bretagne, le nombre de curés pour 1 000 habitants compte parmi les plus importants de France. Ce, sans même parler des religieuses32.

Les inventaires

Aussi n’y a-t-il au final rien d’étonnant à ce que l’application de la loi du 9 décembre 1905 nécessite une logistique particulièrement importante. Il est vrai que pour ne prendre que le seul cas de l’Ille-et-Vilaine, les inventaires concernent 383 églises curiales et succursales, 20 chapelles, 373 presbytères… et un temple protestant33. Il s’agit donc d’une opération d’ampleur, particulièrement lourde et mobilisant des moyens exceptionnels. A Rennes, le préfet34 arrête ainsi que pendant les inventaires, la circulation des tramways est interrompue35. Autre exemple, dans son arrondissement, le sous-préfet de Saint-Malo concède qu’inventorier les biens des églises requière une « force armée en nombre considérable »36.

Carte postale de l'nventaire de l'église de Gourin, Morbihan. Collection privée E. Le Gall.

Pourtant, malgré une débauche impressionnante de moyens, des incidents sont relevés partout dans la région. Sans rentrer dans le détail de cette crise qui mériterait à elle seule une étude particulière37, certains événements ne manquent toutefois pas d’interpeller. A Quessoy, dans l’arrondissement de Lamballe (Côtes-du-Nord), deux mille personnes se réunissent dans le cimetière ceinturant l’église, barricadée pour l’occasion. Malgré la présence des forces de l’ordre, la foule agglutinée empêche le déroulement de l’inventaire. Un manifestant – visiblement particulièrement « exalté » – est arrêté, interpellation qui semble-t-il déclenche une vive bagarre où « les gendarmes reçurent une grêle de pierres et de coups de bâton » et libérèrent le prisonnier. La situation est telle qu’à cette occasion les observateurs n’hésitent pas à parler « d’émeutes », voire de retour à la chouannerie38. Il est vrai que certains rapports de fonctionnaires ne sont pas sans évoquer une violence quasi insurrectionnelle, digne des jacqueries. A Balazé, près de Vitré, l’agent des domaines doit renoncer à procéder à l’inventaire de l’église du fait des manifestants armés de perches, de gourdins, de pavés… et de ruches d’abeilles ! L’hostilité est telle que les forces de l’ordre sont dans l’incapacité d’installer les barrages qui permettraient le déroulement des opérations dans des conditions de sécurité acceptables39. A Lescouët, près  de Montauban-de-Bretagne, l’église est défendue contre les inventaires à l’aide « de herses, de tonneaux pleins de matière fécale, de ruches d’abeilles »40. A Irodouer, près de Montfort-sur-Meu, 400 personnes entourent l’église barricadée – dont la porte est certifiée « blindée » ! – et attendent de pied ferme les forces de l’ordre, composées d’éléments provenant de la gendarmerie mais également du 41e régiment d’infanterie41.

 

L’inventaire de Paramé

En pays malouin, la situation est tout aussi tendue. Le 20 février 1906, les inventaires de la cathédrale de Saint-Malo et de Notre-Dame Auxiliatrice à Rocabey se déroulent dans une ambiance lourde, sous l’œil d’une foule réprobatrice. A chaque fois, devant le refus des curés d’ouvrir les portes, les détachements du 47e RI envoyés sur place sont obligés d’employer la force pour que la loi du 9 décembre 1905 puisse être appliquée. A Dinard, la situation est en revanche telle que devant l’hostilité de la foule, le receveur des contributions chargé de l’inventaire préfère reculer. Semblable scène se déroule d’ailleurs le lendemain à Cancale42.

Le commandant Dublaix. Portrait publié dans l'ouvrage de Louis Héry.
A Paramé, le 22, les affaires prennent un tour nouveau par le biais du commandant Dublaix, chef du IV/47e RI dépêché sur place dans le cadre de l’inventaire de l’église. Recevant une réquisition en son nom propre suite au refus répété du curé d’ouvrir les portes de l’édifice, l’officier refuse dans un premier temps de faire « défoncer la porte de la maison de [son] Dieu ». Ce n’est qu’après en avoir personnellement reçu l’ordre du général Davignon, commandant la place d’armes de Saint-Malo et la 20e division, que le commandant Dublaix décide d’obtempérer. Ce qui ne pourrait après tout relever que du fait divers a au contraire un retentissement immédiat puisque la presse catholique n’hésite pas à s’en emparer.

Forcissant volontiers le trait, l’Ouest-Eclair barre ainsi sa une du 23 février d’un explicite « Incident militaire à Paramé »43. C’est donc après une succession d’incidents de plus en plus graves et dépassant le cadre de la simple « querelle » qu’est sensé se dérouler, à huit heures dans la matinée du 23 février 1906, l’inventaire de l’église de Saint-Servan, opération d’ailleurs initialement prévue le 1544.

Veillée d’armes

L’arrêté du préfet d’Ille-et-Vilaine relatif à cet inventaire est particulièrement explicite puisqu’il exige l’ouverture de l’édifice et de ses dépendances pour 9h30, faute de quoi « il sera procédé par nos soins et avec le concours de la force armée, dûment requise pour l’ouverture de ces portes »45. Une intervention militaire étant alors assez probable, des instructions sont transmises préventivement au 47e régiment d’infanterie46, unité casernée à Saint-Malo. Celles-ci sont signées du général de division commandant la place d’armes et paraissent par bien des aspects disposer de l’imprimatur des services préfectoraux. Le 17 février 1906, le général Davignon, qui commande également la 20e division, diffuse donc un « ordre général relatif au concours à prêter par la troupe à l’exécution des inventaires des biens des églises »47, document adressé aux quatre bataillons du 47e régiment d’infanterie et qui résulte de la réquisition de l’armée par le sous-préfet de Saint-Malo. De prime abord, la lecture de ce document ne laisse que peu de doute quant au degré de fermeté des autorités dans cette affaire. Il est ainsi précisé que lors de chaque inventaire, la troupe sera constituée d’un bataillon du 47e régiment d’infanterie renforcé d’un détachement de huit canonniers et d’un sous-officier prélevé sur la 5e batterie du 15e bataillon d’artillerie à pied, unité à l’époque casernée à Saint-Malo.

Mais deux dispositions de cet ordre général doivent être examinées plus attentivement en ce qu’elles trahissent certaines craintes des autorités. Ainsi, l’association des pouvoirs civils et militaires, dont on sait les relations parfois tumultueuses, est l’objet de plusieurs développements. En effet, il est prévu que le 47e RI n’intervienne qu’en appui de « l’action de la police civile et de la Gendarmerie pour assurer le maintien de l’ordre et l’exécution des inventaires prescrits par la loi », disposition qui induit de fait une subordination de l’Armée aux fonctionnaires de la sous-préfecture ce qui, on le verra plus loin, n’est pas sans poser certains problèmes chez quelques officiers. Aussi le général Davignon prend-il soin de donner le premier l’exemple d’une bonne entente avec les autorités civiles en précisant que les emplacements dévolus à la troupe seront décidés d’un commun accord entre lui-même et le représentant de l’Etat à Saint-Malo, c’est-à-dire le sous-préfet Ottenheimer. L’action de l’armée est d’ailleurs particulièrement encadrée puisque le commandant d’armes de la place de Saint-Malo précise que tant le 47e RI que les détachements du 15e BAP ne pourront procéder à l’ouverture des portes des églises qu’en dernier recours, c’est-à-dire «  à défaut d’ouvriers civils » pouvant endosser cette tâche. Ce n’est qu’à cette condition que les militaires pourront être employés, « sur une réquisition spéciale écrite48 remise au commandant du bataillon par l’autorité civile présente sur les lieux »49.

La seconde crainte des autorités concerne les conditions même du maintien de l’ordre, dimension qui tend à limiter l’intervention du 47e régiment d’infanterie à la démonstration de force… sans doute pour mieux en prévenir l’usage. En effet, on a vu plus haut qu’en de nombreux endroits les inventaires sont l’occasion de véritables batailles rangées. Sachant la question religieuse particulièrement sensible en Bretagne et ayant probablement à l’esprit l’exemple de certaines répressions sanglantes de grèves, les autorités – gageons ici que le général Davignon et le sous-préfet Ottenheimer sont sur la même longueur d’onde – paraissent redouter une possible bavure et ses répercussions sur l’opinion publique. Cette crainte n’est d’ailleurs pas infondée puisque la mort d’un manifestant lors d’un inventaire à Boeschepe, près de Hazebrouck, est à l’origine de la chute du gouvernement Rouvier, le 8 mars 190650.
18 mars 1906: les inventaires sont en "une" du supplément illustré du Petit journal. Bibliothèque nationale de France.

Aussi est-ce sans doute pourquoi, probablement en accord avec le sous-préfet Ottenheimer, l’ordre général du 17 février 1906 prescrit qu’à Saint-Malo, lors des inventaires des biens des églises

« les troupes seront en capote, sac vide. Elles ne prendront ni cartouches, ni campement, ni outil à l’exception de la cisaille à main qui entre dans la dotation de chaque compagnie. »51

En cela, les instructions du général Davignon sont en conformité avec celles du gouvernement qui, derrière un masque de fermeté, enjoint à la prudence52. Mais, de son côté, le curé de Saint-Servan ne reste pas sans agir, bien au contraire, et mobilise lui-aussi ses troupes. C’est ainsi qu’il publie un tract daté du 16 février 1906, jour où il prétend avoir « été officiellement informé que l’inventaire de notre église aurait lieu le vendredi 23 février, à 8 heures du matin ». S’il est difficile d’estimer l’audience de ce genre de libelles – plus que le nombre d’exemplaires, par combien de personnes sont-ils réellement lus et compris ?53 – ce document est particulièrement intéressant en ce qu’il révèle la stratégie de la paroisse de Saint-Servan face à l’inventaire. Prétextant une « autre circonstance » dont il ne prend pas la peine de préciser la nature, le chanoine Desrées diffuse à ses paroissiens un relevé des dépenses effectuées depuis 1853 « pour l’Eglise, les Chapelles et certaines œuvres paroissiales de la ville de Saint-Servan », le tout pour un montant total de 471 177 francs. Or c’est précisément cette somme qui se trouve au cœur de l’argumentaire du curé, dans le but évident de mobiliser les paroissiens contre l’inventaire tout en jouant la carte d’une certaine transparence :

« Et cette somme, qui l’a fournie ? L’Etat sans doute puisque, par son inventaire, il prétend mettre la main sur tous ces biens et en disposer à son gré ?
Pendant 55 ans et pour tous ces travaux, l’Etat ne nous a pas donné un sou, pas plus que le Département, pas plus que la Commune.
La commune ni le Département ne nous réclament rien. Que l’Etat nous laisse tranquilles ! »
54

Ajoutant qu’une « maison appartient à qui l’a construite ou payée », le chanoine Desrées entend donc présenter l’inventaire comme une sorte de vol opéré par l’Etat au préjudice des paroissiens. En cela il est en phase avec les autorités diocésaines qui n’hésitent pas à avancer que « l’Etat pénètre dans ces églises que les catholiques ont construites pour inventorier des biens qui sont à eux »55. Bien entendu, il est difficile de dire si ce message parvient à mobiliser les fidèles. Pour autant, il est indéniable que c’est devant une foule particulièrement compacte que se déroule, le 23 février 1906, l’inventaire de l’Eglise de Saint-Servan.

La foule lors de l'inventaire de Saint-Servan. Carte postale. Arch. Dép. I&V.: 5 V 326. 17.

Le déroulement de l’inventaire

De multiples sources nous permettent d’avoir une idée assez précise de la manière dont se déroule cet inventaire ; ce d’autant plus que, contre toute attente, les discours sont assez peu contradictoires quant aux faits. La presse locale se révèle en effet être une source assez fiable – seules quelques exagérations aisément repérables, notamment dans les dialogues, sont à déplorer – puisque les correspondant de l’Ouest-Eclair et du Nouvelliste de Bretagne ainsi que le directeur du Salut, couvrent l’événement et se trouvent aux premières loges. Le correspondant du Républicain est également présent sur les lieux56. Ceci, au passage, dit bien combien le caractère explosif de la situation était prévisible, seule la nature de l’incident à venir étant difficile à anticiper57. La pièce qui se joue en ce 23 février 1906 se déroule donc sur une scène d’autant plus restreinte que les acteurs se connaissent tous plus ou moins. Le commandant Héry révèle ainsi dans ses mémoires que le fils du directeur du Salut effectue quelques années auparavant son service militaire… au sein du bataillon qu’il commande58.

Il est donc possible d’établir que le 23 février, dès quatre heure et demi du matin, le II/47e RI cerne la place de l’église de Saint-Servan et les rues adjacentes, alors désertes. C’est une nuit froide et humide, comme la côte d’Emeraude en connait tant en hiver. Pourtant, alors que point le jour, la température ambiante monte. En effet, au bout de trois heures d’une attente qu’on imagine bien longue pour les fantassins, une foule compacte commence à s’agglomérer autour des barrages formés par la troupe59.

Il est indéniable qu’une partie de la population est choquée par ces inventaires. Ainsi, à Saint-Servan, certaines devantures de magasin restent closes en ce 23 février, quelques-unes étant même rehaussées d’une pancarte encadrée de noir sur laquelle figure l’inscription « Fermé pour cause de deuil paroissial »60. Des affiches sont également apposées sur les murs. On peut y lire des slogans explicites tels que « Nous voulons Dieu ! Nous voulons la liberté pour nos églises »61. Ainsi l’inventaire de Saint-Servan est à l’origine d’un important rassemblement de population, que le Nouvelliste de Bretagne n’hésite pas à évaluer à 5 000 personnes62. L’Ouest-Eclair évoque pour sa part 3 000 personnes, dont 500 hommes formant la tête d’un cortège placé à bonne distance de l’église par les barrages installés par la troupe du 47e régiment d’infanterie.

Paroles de cantique chantées lors de l'inventaire des biens de l'église de Saint-Servan. Arch. Dép. I&V.: 5 V 326. 17.

 

Au milieu de cette masse, la presse croit reconnaitre plusieurs nobles dont M. de Tonquédec, Rafron de Val, Du Bois Fresnay ou encore Avice de Bellevue63. S’il est difficile d’attester un chiffre exact – L’Union malouine et dinannaise parle de 2 000 personnes, le commandant Héry de 1 50064 – force est néanmoins d’admettre qu’une photographie prise ce jour montre bien une foule importante mais dont il est au demeurant impossible d’évaluer précisément le nombre65. A en croire la presse, le rassemblement est tout sauf passif. Brandissant un « étendard français cravaté de deuil », les manifestants crient des slogans hostiles : « Conspuez Gérard ! Conspuez Surcouf ! A bas les assassins ! »66 et chantent des cantiques dont les paroles sont aménagées pour la circonstance :

« Nous voulons Dieu dans nos paroisses
Pour respecter les donateurs
Qui voient voler avec angoisse
Leurs biens : Dehors les malfaiteurs »67

La situation est d’autant plus tendue qu’un professeur du collège de Saint-Malo conduit une contre-manifestation, semble-t-il rapidement dispersée. Les esprits commencent certainement à s’échauffer. L’Union malouine et Dinannaise mentionne d’ailleurs la « brutalité spéciale » dont la gendarmerie fait preuve à l’occasion, menaçant « d’arrestation, avec menottes, de nombreuses personnes »68.

A vrai dire, rien là que de très classique puisque les inventaires des biens des églises en application de la loi de 1905 se déroulent à peu près tous suivant le même modèle, auquel ne déroge pas celui de Saint-Servan. Conformément aux instructions, l’inventaire débute à huit heures69. Deux groupes s’affrontent. Une délégation composée du sous-préfet de Saint-Malo, du commissaire spécial adjoint Gérard et du sous-inspecteur des domaines Morin – faisant office de receveur de l’enregistrement – s’avance vers la grande porte de l’église de Saint-Servan. Elle y est accueillie par le chanoine Desrées, curé de Saint-Servan, entouré de ses vicaires. Chargé de procéder à l’inventaire, Morin « fait connaître la mission qu’il a à remplir » et demande qu’on lui ouvre les portes70. Sans surprise, le curé refuse et lit une protestation qu’il termine en requérant « l’inspecteur d’insérer [sa] protestation au procès-verbal en vue des réparations à poursuivre judiciairement » en cas d’inventaire71.

Le chanoine Desrées lit sa protestation. Carte postale. Arch. Dép. I&V.: 5 V 326. 17.

Il est difficile d’estimer les réactions des protagonistes à la protestation du chanoine Desrées. L’Ouest-Eclair indique que « la stupeur règne parmi le cortège officiel » tandis que pour L’Union malouine et dinannaise « la surprise de M. le sous-préfet est grande »72. On ne peut néanmoins qu’être circonspect devant cet étonnement puisque, précisément, la lecture de la protestation par le curé est un acte « classique » du « rituel » des inventaires et que, de surcroît, celui de Saint-Servan n’est pas le premier à se dérouler dans la région, ni même à Saint-Malo. Plusieurs journaux indiquent que le sous-préfet Ottenheimer réfère immédiatement de la situation pour instruction au préfet d’Ille-et-Vilaine, ce qui serait le signe d’une certaine fébrilité. Or, non seulement nous n’avons pas trouvé dans les archives de pièce attestant ce fait – fort probable au demeurant – mais, de surcroit, celui-ci parait plus être le signe d’une conformité à une certaine procédure qu’une marque de stupeur.

En tout état de cause, un délai d’une grande heure est accordé au curé de Saint-Servan pour qu’il ouvre la porte de son église. On se rappelle en effet que l’arrêté du préfet d’Ille-et-Vilaine demande que les portes soient ouvertes pour 9h30. Mais sans surprise, celui-ci persiste dans son refus73. Le commissaire Gérard se tourne alors vers le commandant Héry, chef du II/47e RI pour que celui-ci procède à l’ouverture de la porte74. Il reçoit alors une réquisition écrite de la main du sous-préfet de Saint-Malo :

« République française
Saint-Servan le 23 février 1906
Au nom du peuple français,
Nous, sous-préfet de Saint-Malo, requérons en vertu de la loi, Monsieur le chef de bataillon Héry commandant les forces militaires de prêter le secours des troupes nécessaires pour procéder – à défaut d’ouvriers civils – à l’ouverture des portes de l’Eglise de Saint-Servan et pour permettre aux agents du Gouvernement de remplir leur mission.
Et pour la garantie dudit commandant nous apposons notre signature
Fait à Saint-Servan, le 23 février 1906

Signé : Le sous-préfet »75

A la demande du chef de bataillon, les sommations légales sont renouvelées, deux fois, sans plus de succès. Le commandant Héry interpelle alors le chanoine Desrées et lui demande si, « en son âme et conscience », il considère toujours ne pas devoir ouvrir la porte de son église.

Le commandant Héry pendant l'inventaire de l'église de Saint-Servan, détail d'une carte postale. Arch. Dép. I&V.: 5 V 326. 17.

Devant le nouveau refus du curé, l’officier commandant le II/47e RI se retourne vers les autorités civiles, lit les articles 114 et 234 d’un code de justice militaire qu’il sort de sa poche et déclare refuser d’obéir à cette réquisition, la considérant comme illégale76. Aux dires du commissaire Gérard, le dialogue suivant se serait engagé :


« – Votre réquisition est illégale, je refuse d’y obtempérer.
– Vous avez bien réfléchi mon commandant à ce que vous faites ?
– J’ai trente-deux ans de services, je sais ce que je fais et si vous le désirez, je vous signerai mon refus. »77 

Devant le refus du commandant Héry, le commissaire Gérard part prévenir le sous-préfet Ottenheimer, demeuré en retrait de la scène, à « une centaine de mètres ». Immédiatement, celui-ci fait avertir le général Davignon commandant la place d’armes par un capitaine de gendarmerie78. Lorsque celui-ci arrive, environ une vingtaine de minutes plus tard, se noue alors un dialogue dont la teneur doit être sensiblement la suivante :

Mot autographe du commandant Héry inscrit sur une carte postale le figurant lors de l'inventaire de l'église de Saint-Servan. Arch. Dép. I&V.: 5 V 326. 17.

« – Commandant, vous avez refusé d’obéir à une réquisition du sous-préfet établie sur votre demande à votre nom ?
– Oui mon général, parce que je considère cette réquisition comme illégale.
– S’il y a illégalité, elle engage la responsabilité du sous-préfet, la réquisition vous couvre, vous n’avez qu’à obéir.
– Est-ce un ordre que vous me donnez ?
– Je n’ai pas d’ordre à vous donner, vous avez reçu une réquisition personnelle, c’est à elle que vous devez obéir.
– Dans ces conditions je refuse.
– Remettez le commandement du bataillon au plus ancien capitaine et rentrez chez vous où vous garderez les arrêts de rigueur. »79

Le général Davignon appelle alors l’officier le plus ancien dans le plus haut grade afin que celui-ci accède à la réquisition et face procéder à l’ouverture de la porte de l’église de Saint-Servan.

C’est au capitaine Cléret de Langavant d’avancer et de recevoir, à sa demande, une réquisition en son nom, des mains du sous-préfet, ce qui nécessite un petit quart d’heure supplémentaire. Il la lit, fait procéder une nouvelle fois aux sommations réglementaires puis, distinctement, déclare refuser d’obéir80.

Relevé immédiatement de son commandement et placé aux arrêts de rigueur par le Général Davignon81, Joseph Cléret de Langavant est remplacé à la tête du II/47e RI par le capitaine Charles Spiral. Lui aussi demande une réquisition en son nom propre – ce qui entraîne un nouveau délai d’une quinzaine de minutes. Alors que celle-ci lui est remise en mains propres par le commissaire Gérard, l’officier l’interpelle82 :

« – Puisque je dois vous prêter le concours des ouvriers d’artillerie à défaut des ouvriers civils, vous êtes-vous préoccupé de chercher ces derniers ?
– Oui mon capitaine, j’ai fait ce que j’ai pu et malgré mes recherches je n’en ai pas trouvé.
– Pouvez-vous me donner des noms ?
– Non mon capitaine, car si le fait d’être en relation avec moi pour me prêter leur concours était connu, ils seraient chassés de leurs ateliers, je vous tairai leur nom, des pères de famille, mais je vous donne ma parole d’honneur de magistrat que j’ai fait tout pour en trouver. »83

Après le renouvellement des trois sommations légales, le capitaines Charles Spiral se retourne vers le commissaire Gérard et dit refuser, « pour les mêmes raisons que le commandant Héry »84. Au final, ce n’est qu’à onze heure trente, une fois les portes forcées, que, ce 23 février 1906, le sous-inspecteur des domaines Morin parvient à procéder à l’inventaire des biens de l’église de Saint-Servan, en présence du chanoine Desrées et du trésorier de la Fabrique85. Mis aux « arrêts de rigueur » sur ordre du général Davignon sitôt après avoir refusé de prêter leur concours à l’inventaire, Louis Héry, Joseph Cléret de Langavant et Charles Spiral sont pour leur part écroués dès le lendemain à la prison militaire de Rennes, située rue Duhamel86.

Un retentissement médiatique immédiat

Les réactions sont aussi immédiates que vives, tant à droite qu’à gauche de l’échiquier politique, ce dont rend parfaitement compte la presse.

A Saint-Malo, L’Union malouine et dinannaise et le Salut accordent une large place à l’événement, en retraçant toutes les péripéties et produisant des dialogues plus ou moins fantaisistes entre chacun des acteurs. Sans surprise, les deux titres prennent fait et cause pour les trois officiers du 47e régiment d’infanterie87.

Dès le lendemain de l’affaire de Saint-Servan, après avoir titré la veille sur de « sanglantes bagarres » survenues lors d’inventaires à Nantes88, Le Nouvelliste de Bretagne barre sa une d’un titre qui ne laisse que peu de doute quant à la ligne éditoriale du journal : « Conduite héroïque de trois officiers ». Traitant l’événement en deuxième page sur plusieurs colonnes, le quotidien conservateur évoque une « attaque de l’Eglise » ainsi qu’une « grandiose manifestation catholique ». Sans surprise, il prend énergiquement la défense des trois officiers du 47e RI et concentre ses attaques sur le « très peu populaire » député Robert Surcouf coupable d’avoir voté la loi de séparation. Son absence lors de l’inventaire de l’église de Saint-Servan est d’ailleurs perçue comme la preuve de sa « peur qu’on lui prouvât son impopularité, qu’il sera cependant bien obligé de reconnaître », lors des prochaines élections législatives89. Preuve de son importance aux yeux des milieux catholiques et conservateurs, l’affaire de Saint-Servan ne disparait pas des colonnes du Nouvelliste puisqu’au contraire, tout au long de la fin du mois de février et du début de mars 1906, sont publiés un certain nombre d’articles où la défense des trois officiers s’accorde avec une sévère dénonciation de la franc-maçonnerie, non dénuée d’ailleurs d’antisémitisme90.

 

L'Ouest-Eclair du 24 février 1906. Bibliothèque nationale de France.

L’Ouest-Eclair réagit pour sa part aussi rapidement que promptement en barrant sa une du 24 février d’un dramatique « Nouveaux incidents militaires à Saint-Servan », en référence aux états d’âmes du commandant Dublaix la veille, lors de l’inventaire de l’Eglise de Paramé. Ce qui commence à devenir « l’affaire de Saint-Servan » est ensuite traité sur plusieurs colonnes, en pages intérieures91. Sans doute sous l’influence plus ou moins inconsciente des catholiques les plus intransigeants, le quotidien rennais opte pour un vocabulaire plus dur, un champ lexical plus connoté, signe d’un émoi certain92.

Mais outre sa grande diffusion en haute-Bretagne et dans la région de Saint-Malo, L’Ouest-Eclair se révèle être une source d’autant plus utile pour comprendre l’écho de ce qui se passe à Saint-Servan que le quotidien rennais reproduit certains des échanges les plus vifs, ou les plus intéressants, de l’Assemblée nationale.

Or il se trouve que dès le soir du 23 février, un « très vif incident » implique à la Chambre Adolphe Messimy et le député de Saint-Malo Robert Surcouf. Elu de la Seine, Messimy est un ancien saint-cyrien qui s’intéresse de très près aux affaires militaires. Faisant explicitement référence au 47e régiment d’infanterie, il interroge le gouvernement à propos de ces « actes d’indiscipline commis par des officiers au cours des inventaires en Bretagne et qui sont de nature à porter atteinte à la dignité et à l’honneur de l’armée », proclamation nourrie d’applaudissements en provenance de la gauche de l’hémicycle. Faisant front commun avec son collègue qui, comme lui vote la loi du 9 décembre 1905, Robert Surcouf  profite de l’occasion qui lui est donnée pour accuser « le parti réactionnaire et le clergé », responsables de ces « tristes faits » rapportés à la tribune de l’Assemblée. Ne souhaitant sans doute pas demeurer en reste, Messimy surenchère et demande que « le régiment soit déplacé ». Mis devant le fait accompli, le ministre de la guerre Eugène Etienne cherche tout d’abord à temporiser et réclame que la question soit ajournée au lundi suivant – la séance a lieu un vendredi – puisqu’il a « demandé au corps d’armée des rapports circonstanciés sur les faits signalés ». Cherchant néanmoins à faire montre d’une certaine fermeté, il achève sa brève intervention en déclarant être « résolu à ne pas laisser les officiers dans le pays où ils sont mariés » et vouloir appliquer « le code de justice militaire avec toute la sévérité que la situation comporte »93.

Adolphe Messimy. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, EI-13(2511).
Eugène Etienne. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, EI-13(2463).

Dès le soir du 23 mars 1906, soit quelques heures seulement après les événements, l’affaire de Saint-Servan se double donc d’un volet politique en étant l’objet de vifs débats à l’Assemblée Nationale. Il n’est dès lors pas étonnant que la presse parisienne s’empare du sujet. C’est dans son édition du 25 février que Le Temps relate l’affaire, en se basant sur des articles de la presse d’Ille-et-Vilaine. Sur une colonne, en seconde page, les moindres détails de la journée du 23 sont exposés, les dialogues entre les différents protagonistes reproduits94. Le Figaro n’est pas en reste puisque l’affaire de Saint-Servan est traitée par le correspondant particulier du journal à Rennes et placée en tête de la rubrique « L’Inventaire dans les départements ». Le quotidien pour qui « sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur » opte d’ailleurs à cette occasion pour un traitement tout aussi sobre de cette information que celui opéré par Le Temps95. Tel n’est en revanche pas le cas de La Croix puisque le quotidien catholique présente les trois officiers du 47e RI comme les « victimes d’une infâme politique intérieure, politique maçonne, jacobine et sectaire jusqu’à la cruauté barbare »96.

L’écho médiatique de l’inventaire de Saint-Servan est d’autant plus immédiat qu’il bénéficie incontestablement de la présence de photographes97 qui, dépêchés sur place, immortalisent l’événement. Il existe à notre connaissance six clichés qui permettent de mieux se représenter ce qui, effectivement, se passe ce 23 février 1906. Le premier est le plus célèbre et représente, en plongée, la lecture d’une protestation par le chanoine Desrées au moment de la première réquisition. Le second montre également cette même scène mais vue, cette fois-ci, au ras-du-sol, telle que l’aperçoivent les manifestants ou les soldats du 47e régiment d’infanterie. A ces deux photographies viennent s’en ajouter trois autres figurant l’ouverture de la porte par la troupe. La dernière image disponible de cette journée est une vue de la foule venue assister à l’inventaire98.

Certaines de ces photographies sont immédiatement publiées dans la presse. C’est notamment le cas de deux clichés représentant le chanoine Desrées lisant sa protestation, publiés notamment dans l’Illustration. Mais à la presse illustrée, s’ajoutent les éditeurs de cartes postales qui, eux-aussi, s’emparent de l’événement. On sait en effet que la Belle Epoque correspond à un certain âge d’or de la carte postale puisque ce support de communication est aussi bon marché que rapide à mettre en œuvre. Si en 1900 les éditeurs peuvent mettre trois jours pour sortir une nouvelle carte, le délai de publication n’est plus, aux alentours de 1909, que de seulement quelques heures99. Or sur les six clichés mentionnés plus haut, cinq font l’objet d’une édition en carte postale – seule la photographie figurant la foule ne semble pas bénéficier d’un tel tirage100. Assurément, ces cartes participent de la médiatisation de l’événement et paraissent témoigner de son retentissement dans l’opinion. En effet, les maisons d’édition sont des entreprises qui visent à faire du bénéfice et, pour ce faire, ne publient que des photographies sensées recueillir les faveurs du public. Pour autant, si les légendes ajoutées ne laissent que peu de doute quant à la clientèle visée – il y est question de « crochetage », de « cambriolage » – les archives ne nous permettent pas de savoir à combien d’exemplaires ces cartes sont diffusées, si elles sont conservées en guise de souvenir ou envoyées et, dans ce cas, comment elles sont reçues par les destinataires. Il est néanmoins indéniable que les éditeurs de cartes postales participent, en publiant des clichés de cet inventaire, à la médiatisation de cet événement et à la promotion d’un certain discours politique.

Cliché de l'inventaire de Saint-Servan paru dans L'Illustration. Arch. Dép. I&V.: 5 V 326. 17.

Inversement, les Bleus de Saint-Malo ne semblent pas profiter de l’occasion pour verser dans l’affrontement direct avec leurs ennemis jurés, les cléricaux. Conformément aux instructions de leur président – qui sait les élections législatives proches puisqu’elles se tiennent en mai 1906 – ces militants républicains et laïcs feignent l’indifférence en se retranchant derrière la souveraineté de la loi101. Aussi, les journaux républicains font-ils de manière générale bonne figure et ne paraissent pas exalter outrageusement les tensions existantes. Au lendemain de l’inventaire de Saint-Servan, Charles Vié signe un éditorial dans Le Républicain où il fustige « les deux grandes préoccupations du parti monarchiste clérical » qui sont « organiser l’agitation, créer le désordre ». Point de référence explicite aux officiers du 47e régiment d’infanterie ni même aux inventaires de la région de Saint-Malo mais juste quelques propos généraux et, pour tout dire, assez modérés102. En revanche, le journal publie une lettre du « dévoué député de la deuxième circonscription », Robert Surcouf, qui se targue d’avoir intercédé auprès du ministre de la Guerre, Eugène Etienne, afin d’éviter le déménagement du 47e RI. Une telle décision, au caractère politique certain, aurait en effet de grandes conséquences pour la vie économique locale et aurait rendu « des innocents responsables des actes blâmables qui ont attristé notre pays ». Le message est donc particulièrement clair. Non seulement c’est l’action politique cléricale qui est source de désordre et de sanctions éventuelles pour le pays de Saint-Malo, mais, de surcroît, ce sont bien les élus républicains qui œuvrent pour faire en sorte que le régiment ne soit pas déplacé. Charles Vie ne manque en effet pas de commenter cette lettre en indiquant qu’en Robert Surcouf, « les jeunes gens de sa circonscription ont près de M. le ministre de la Guerre, un avocat aussi influent qu’éloquent, avocat qui, étant capitaine de réserve, connaît les besoins du sous-officier et du soldat » 103.

L'Aurore du 24 février 1906. Bibliothèque nationale de France.

Bien entendu, cette dimension locale est absente de la presse républicaine nationale. Toutefois, le ton demeure le même. Si L’Aurore, dont le rédacteur en chef est pour quelques jours encore Georges Clemenceau, traite l’inventaire de Saint-Servan en première page, ce n’est pas sur une colonne entière – comme pour minorer la portée de cette actualité – mais  avec un ton qui frise la condescendance. Il est vrai que pour le journaliste chargé de traiter l’événement, « force finit par rester à la loi »104. Semblable tonalité est de mise pour L’Humanité qui ne couvre l’incident qu’en seconde page, évoquant des « officiers rebelles », et ne manquant pas de dresser un parallèle avec « la presse nationaliste et cléricale [qui] n’aurait sans doute pas d’expressions assez dures pour condamner la  révolte de simples soldats refusant de marcher en temps de grève contre une manifestation de la classe ouvrière »105.

L’inventaire de l’église de Saint-Servan – et plus globalement la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat – est incontestablement un événement qui, ponctuellement, exalte les passions partisanes. Or celles-ci ne se cantonnent pas qu’aux pages des gazettes. Pour ne citer qu’un exemple, Xavier Ruellan – frère de Charles, élu en 1919 député sous l’étiquette de l’Action française – est condamné à six jours de prison pour avoir exprimé « bien haut son mépris » au commissaire spécial de Saint-Malo, peine qu’il purge à la maison d’arrêt de la ville106. Toutefois il convient de rester prudent quant à la représentativité d’un tel comportement puisque Y. Forestier démontre à la fin des années 1990 que, pour l’essentiel, les manifestations de résistance aux inventaires dans l’arrondissement de Lannion relèvent de manœuvres de l’aristocratie et de propriétaires fonciers sans réel relai dans l’opinion publique, plus ou moins indifférente107. Il serait dès lors intéressant de voir en quoi ce modèle peut ou non être projeté sur l’exemple malouin et, plus spécifiquement, sur le cas servannais, ce à quoi pourrait s’atteler une étude spécifique.

 

Une revanche judiciaire ?

Mais l’analogie entre l’inventaire de Saint-Servan et le cadre trégorrois ne peut être complète. En effet, l’affaire de Saint-Servan prend un tour nouveau dès le soir du 23 février puisque – signe d’une communication de crise – le  ministère de la Guerre adresse à l’agence de presse Havas un communiqué indiquant que « le général commandant le 10e corps d’armée a infligé au commandant Héry et aux capitaines Cléret de Langavant et Spiral les arrêts de forteresse [et] a prescrit d’établir contre eux une plainte en Conseil de guerre »108. Celle-ci est déposée trois jours plus tard, le 26 février 1906109. Ordre est ensuite donné d’informer cette plainte le 2 mars 1906, décision qui est renvoyée à l’Etat-major le 9 mars et notifiée le 15 aux prévenus, la séance du Conseil de guerre ayant pour sa part lieu quatre jours plus tard110. C’est donc devant cette juridiction qu’une nouvelle étape de l’affaire de l’inventaire de Saint-Servan se joue, cette fois-ci à Rennes, là-même où quelques années auparavant est examinée la révision du procès du capitaine Dreyfus.

Les acteurs de ce nouveau film

C’est dans une sorte de huis clos judiciaire que se développe désormais l’affaire, ce qui rend d’autant plus nécessaire l’examen scrupuleux des parcours des protagonistes. En effet, pour en saisir la réelle portée, la conduite de chacun  doit être appréhendée non sur le temps resserré de cette procédure mais bien sur celui, beaucoup plus long, de leurs carrières.

Personnages centraux du procès qui s’ouvre à Rennes le 19 mars 1906 devant le Conseil de guerre de la 10e région militaire, les trois accusés sont Louis Héry, Joseph Cléret de Langavant et Charles Spiral. Ces trois hommes ont de nombreux points en commun et semblent correspondre en tous points au portrait classique de l’officier en garnison de province. Tous trois sont saint-cyriens, mais aucun ne sort dans la « botte », c’est-à-dire aux premières places du classement de fin de scolarité de l’école spéciale militaire. Il en résulte des carrières classiques, presque banales. Louis Héry, Joseph Cléret de Langavant et Charles Spiral obtiennent ainsi chacun leur galon de capitaine après une dizaine d’années de service. De même, tous trois complètent leur formation initiale en suivant les cours de l’école de tir du camp du Ruchard, établissement dont ils sortent avec un rang honorable, et présentent des états de service sans accroc notoire, à l’exception de quelques chutes de cheval111.
Le commandant Héry. Portrait publié dans l'ouvrage de Louis Héry.

Ces officiers disposent, au moment de leur procès devant le Conseil de guerre de Rennes, d’une solide expérience professionnelle puisque le plus jeune des trois inculpés comptabilise vingt années de service (Charles Spiral), le plus ancien trente (Louis Héry). Tous sont d’ailleurs affectés depuis au moins 1899 au 47e régiment d’infanterie . En conséquence, ils sont parfaitement connus, tant de l’institution que de leurs supérieurs. Leurs notes sont d’ailleurs excellentes. En effet, en plus du rapport qu’il dresse le 26 février 1906 sur les faits reprochés à ses subordonnés, le colonel Sauzède commandant le 47e régiment d’infanterie joint les « feuillets du personnel » de Louis Héry, Joseph Cléret de Langavant et Charles Spiral. Ces documents sont particulièrement intéressants car non seulement ils retracent la carrière des trois officiers incriminés mais ils permettent de surcroît d’appréhender leur valeur professionnelle puisqu’y sont mentionnés leurs « notes particulières et successives » obtenues au cours des premiers et seconds semestres des années 1903 à 1905. Or les appréciations mentionnées sont, si ce n’est de la main-même du colonel Sauzède, au moins signées par lui, et le moins que l’on puisse dire est qu’il ne tarit pas d’éloges sur ses subordonnés. Le commandant Héry est ainsi présenté comme étant « un très bon chef de bataillon, intelligent, actif, très dévoué à ses devoirs militaires ». De même, il loue le professionnalisme des capitaines Spiral et Cléret de Langavant, le premier étant perçu comme un « bon commandant de compagnie, s’occupant beaucoup de tous les détails du service » tandis que le second est lui considéré comme étant « un bon adjudant-major, zélé, dévoué et faisant son service avec conscience et régularité ». En d’autres termes, ce sont bien des « employés modèles » du 47e régiment d’infanterie qui, en ce 19 mars 1906, sont traduits devant le Conseil de guerre. D’ailleurs, tous trois se voient attribuer lors du 2e semestre 1905 des notes particulièrement élogieuses, comprises entre 17 et 19, et des appréciations indiquant combien ils pourraient légitimement aspirer au grade supérieur113. Certes, les questions du mérite et de la compétence sont éminemment complexes tant il s’agit-là de notions floues et par ailleurs, difficiles à objectiver au moyen des archives dont on dispose114. Néanmoins, rappelons que ce point ne constitue pas l’apanage de la seule Armée française puisque dans une excellente étude portant sur les chefs de bataillon du corps expéditionnaire canadien pendant la Première Guerre mondiale, P.H. Brennan indique que, fondamentalement, parmi ces officiers, il est impossible de savoir lesquels sont ou non compétents et pourquoi115.

En définitive, les carrières de Louis Héry, Joseph Cléret de Langavant et Charles Spiral paraissent conformes au cursus honorum de l’officier d’infanterie. Pour autant, le tableau d’avancement ne doit pas induire en erreur car derrière des parcours qui semblent se dérouler à un rythme équivalent – même si Charles Spiral parait témoigner d’une légère précocité par rapport aux deux autres prévenus – se cache en réalité une grande différence. En effet, contrairement à ses deux subordonnés du 47e régiment d’infanterie, Louis Héry suit à 35 ans – alors que comme Joseph Cléret de Langavant il vient juste d’être promu capitaine – les cours de l’Ecole supérieure de guerre, établissement dont il sort certes avec un rang médiocre, mais breveté d’état-major116. Aussi, au moment du procès de Rennes, Louis Héry dispose assurément de perspectives de carrière qui sont sans commune mesure avec celles de ses deux co-accusés, au parcours certes très honorable mais beaucoup plus classique.

La vie des trois officiers du 47e régiment d'infanterie s'inscrit dans cet ouest de la France où les incidents les plus graves sont relevés lors des inventaires.

Détail intéressant, ces trois officiers témoignent tous d’un fort ancrage géographique dans l’ouest de la France. Louis Héry nait à Ancenis et épouse une jeune femme originaire de Luçon avant d’entamer une carrière qui, à l’exception d’une affectation à Tours, oscille entre Vannes et la Vendée117. Le milieu des officiers de carrière en garnison dans l’ouest de la France n’étant somme toute pas si vaste, il est évident que des liens plus ou moins forts d’amitié – ou d’inimitié – peuvent se nouer entre les individus. Aussi est-ce finalement sans surprise que l’on peut lire dans l’ouvrage qu’il rédige après le procès de Rennes que Louis Héry connaît personnellement et estime quelques-uns des officiers du 116e RI impliqués dans l’affaire de Ploërmel évoquée précédemment.118 Joseph Cléret de Langavant témoigne également d’un fort enracinement régional puisqu’il est issu d’une famille dont les aïeux sont liés au pays de Saint-Malo depuis plus d’un siècle119. Né à Brest, il épouse en 1886 Marthe de La Bouninière de Beaumont, domiciliée dans l’Orne. Il est alors un jeune sous-lieutenant du 118e RI en garnison à Quimper qui s’apprête à servir quelques mois à Vitré, puis de nouveau à Quimper, avant d’être affecté à Saint-Malo en 1894120. Dans ces conditions, Charles Spiral ferait presque figure d’exception puisque né à Paris et ayant épousé une parisienne, il débute sa carrière à Saint-Quentin avant de servir à Guingamp, à la Roche-sur-Yon puis, enfin, à Saint-Malo à partir de 1898. C’est dire si la vie et la carrière de ces trois officiers sont enracinées dans l’Ouest, cette même partie de la France où, précisément, se rencontrent les plus graves incidents à l’occasion des inventaires des biens de l’Eglise121.

C’est donc sans surprise que Louis Héry, Joseph Cléret de Langavant et Charles Spiral font tous les trois le choix d’un même défenseur inscrit au barreau de Rennes, à savoir Me Jenouvrier122, décision qui, semble-t-il, ne doit rien au hasard. Né à Antrain le 12 octobre 1846, Léon Jenouvrier est en effet l’un des plus éminents avocats du barreau de Rennes, dont il est d’ailleurs bâtonnier de 1888 à 1891123. Débutant sa carrière en 1869, il abandonne la robe quelques mois pour participer à la guerre de 1870. De retour dans les prétoires, il se fait rapidement remarquer par son éloquence et son habileté et se place bientôt « au premier rang des défenseurs des libertés religieuses » en devenant l’avocat de plusieurs congrégations124. Catholique fervent, il est également investi dans la vie associative comme en témoigne la présidence de l’association des anciens de l’institution Saint-Vincent, qu’il assure de 1890 à 1896, et dont la devise – Pro Deo et Patria – ne laisse aucune ambiguïté quant à l’orientation idéologique125.

Clairement, le choix d’une telle défense par les trois officiers du 47e RI place le procès dont ils sont l’objet sur un terrain plus idéologique que judiciaire. Mais il est difficile de savoir s’ils sont à l’origine de la politisation de cette affaire tant le parcours des témoins cités est, lui aussi, imprégné de politique.

 

Portrait du général Davignon publié dans Le Matin du 24 février 1906. Bibliothèque nationale de France.

 

Fils de militaire de carrière né à Briançon (Hautes-Alpes) le 12 juillet 1846, Henry Davignon est un officier général dont la carrière est particulièrement impressionnante. Saint-cyrien, il est lieutenant lors de la guerre de 1870. Fait prisonnier à Metz, il s’illustre pendant cette campagne comme en témoigne sa citation pour « belle conduite » obtenue à la suite du combat de Rezonville (16 août 1870), en Moselle. Parvenu à s’évader, il est brièvement interné en Suisse avant de reprendre le cours de sa carrière sous la IIIe République. Breveté d’Etat-major, il multiplie les affectations, devenant même directeur des études de l’Ecole de guerre puis, en novembre 1902, commandant de la 20e division à Saint-Servan126.

Âgé de 60 ans au moment des faits, le général de division Henry Davignon dispose lors du procès des trois officiers du 47e régiment d’infanterie d’un indéniable prestige, comme en atteste son grade de commandeur de la Légion d’honneur.

Mais son parcours professionnel interroge tant il est vrai que le procès qui se tient à Rennes en ce mois de mars 1906 n’est pas qu’un simple dossier de désobéissance examiné par un Conseil de guerre mais bel et bien une affaire politique indissociable d’un certain contexte de défiance envers l’armée. Or, Henry Davignon est, entre le 6 mai et le 22 juin 1899, le chef du cabinet de l’éphémère ministre de la guerre Camille Krantz, pris dans la tourmente de l’affaire Dreyfus127.

Elu dans les Vosges, ce député qui siège au sein du groupe des « Républicains progressistes » compte parmi ces modérés qui, au centre de l’échiquier politique, sont de toutes les combinaisons, faisant et défaisant les majorités parlementaires. Ainsi, bien que perçu par bon nombre d’observateurs comme antidreyfusard, son rôle dans l’Affaire est particulièrement ambigu. S’il réintègre à Polytechnique le professeur Georges Duruy – coupable d’avoir publié en avril 1899 dans Le Figaro un article intitulé « Pour la justice et pour l’armée » – Camille Krantz est aussi extrêmement sensible à la défense de l’institution militaire au nom de la raison d’Etat. Il est vrai que lui-même diplômé de l’école polytechnique, il est un ancien lieutenant du 8e régiment d’artillerie128.

Camille Krantz. Wikicommons.

Par ailleurs, on sait que le directeur de cabinet est le plus proche collaborateur d’un ministre et que, bien souvent, il existe une grande communion de point de vue entre ces deux hommes. Aussi est-ce pourquoi, au final, tout porte à croire que, au moins en ce qui concerne la question des atteintes à l’Armée, Georges Duruy partage les mêmes opinions qu’Henry Davignon. C’est donc dire si, en définitive, le général commandant la place d’armes de Saint-Malo et la 20e division est un homme qui, au-delà même de sa fonction, ne présente pas nécessairement les plus grandes garanties en termes de neutralité.

Il en est de même pour Charles Ottenheimer, deuxième personne amenée à témoigner lors de l’instruction de cette affaire. En effet, de par sa fonction de sous-préfet de Saint-Malo, il est un homme dont le rôle est de relayer dans son arrondissement la politique conduite par le gouvernement129. C’est d’ailleurs lui qui, lors de l’inventaire de Saint-Servan, requiert « au nom du peuple français » et « en vertu de la loi » la participation du II/47e RI130. Mais tout comme Henry Davignon, Charles Ottenheimer parait impliqué dans cette affaire au-delà de ses fonctions puisqu’il est aussi un ami personnel de Georges Clemenceau131, devenu ministre de l’Intérieur suite à la chute du cabinet Rouvier 2. Il n’en fait d’ailleurs pas mystère puisque, invité au banquet de la section malouine des Bleus de Bretagne en juillet 1905, soit à peine 7 mois avant l’inventaire de Saint-Servan, il se lance dans un vibrant plaidoyer qui ne laisse guère de doute quant à sa sensibilité :

« On peut tout espérer quand on s’adresse au peuple avec la force et l’énergie déployée par les Bleus dans leur lutte continuelle contre la réaction cléricale. Les Bleus ont combattu dans l’intérêt supérieur de la République. »132

Par essence politique, le sous-préfet Ottenheimer l’est donc sans doute encore un peu plus du fait de sa personnalité, de ses amitiés et de ses engagements. Ce cas de figure n’est pas étranger à la personne du commissaire spécial adjoint Lucien Gérard, dont l’action est connue grâce aux travaux de C. Geslin133. Policier aussi zélé qu’efficace, détesté tant dans les milieux cléricaux qu’ouvriers, le commissaire Gérard est en effet connu pour être  « l’homme de main » des Républicains de Saint-Malo ce qui, là encore, ne semble pas être la meilleure garantie d’impartialité de ce troisième et dernier témoin interrogé lors de l’instruction.

De la baïonnette intelligente

Mais, au-delà de la neutralité toute relative des trois témoins cités à comparaître dans cette affaire, l’examen du dossier relatif  à cette procédure  permet de mettre en exergue une série d’éléments qui ne manquent pas d’interpeller.

En premier lieu, on prendra soin de souligner combien, dans cette affaire, le temps judiciaire est contracté, ce qui semble en dire long sur les intentions de l’institution. En effet, à peine un mois s’écoule entre la date de constatation du délit et son jugement par le Conseil de guerre de la 10e région militaire alors que les délais de procédure pratiqués par cette chambre sont habituellement sensiblement plus longs134. Or l’on sait que la célérité d’une décision de justice tend à renforcer son exemplarité mais également son caractère dissuasif135.

 

Le capitaine Cléret de Langavant. Portrait publié dans l'ouvrage de Louis Héry.

En second lieu, il est à noter que la plainte en Conseil de guerre qui déclenche toute la procédure judiciaire est déposée par le colonel Sauzède commandant le 47e régiment d’infanterie136, supérieur hiérarchique direct du chef de bataillon Héry et chef du corps dans lequel servent les capitaines Cléret de Langavant et Spiral. Or le patron du 47e RI passe pour être un « officier Républicain […] d’un esprit conciliant et très déférent vis-à-vis du Représentant du Gouvernement et des Autorités civiles »137. De plus, force est de constater que l’ordre d’informer qui est prononcé suite à cette plainte138 émane du général commandant la 10e région de corps d’armée qui se trouve être à la fois celui qui nomme les officiers chargés de siéger lors de ce procès et le supérieur hiérarchique du colonel Sauzède. De là à subodorer des pressions exercées sur le chef de corps du 47e RI pour qu’il dépose plainte, il n’y a qu’un pas que semblent avoir franchi beaucoup de contempteurs de cette justice militaire qui, à l’orée du XXe siècle, vit une véritable crise139.

En effet, toute la procédure liée à cette affaire montre combien la justice militaire est frappée de consanguinité. Qu’on en juge par la composition du Conseil de guerre de la 10e région chargé de juger les trois officiers du 47e RI. On y trouve le général Calvel commandant la 38e brigade d’infanterie, le colonel Samson de la 10e Légion de gendarmerie, le chef d’escadron Benazet du 7e régiment d’artillerie, un lieutenant-colonel d’artillerie coloniale en stage au 7e RA140 ainsi que trois officiers du 41e RI, le colonel Le Maire, le lieutenant-colonel Masnon et le chef de bataillon Gaudet141. Ce conseil est présidé par le général Calvel commandant la 38e brigade d’infanterie.

Dans ses mémoires, Louis Héry accuse à mots couverts plusieurs membres de ce Conseil de guerre d’être francs-maçons et insiste sur « le ton cassant, l’attitude agressive, les regards haineux » du président142. Précisons qu’aucune archive ne permet, à notre connaissance, d’attester l’appartenance d’un de ces officiers à une quelconque loge143. Pour autant, force est de constater que l’impartialité des jurés n’est pas – au-delà même de leurs éventuelles convictions philosophiques – sans poser question puisque plusieurs d’entre eux témoignent d’une proximité certaine avec l’accusation, mais aussi avec les prévenus.

En effet, quelques-uns  de ces officiers servent déjà depuis un certain nombre d’années au sein de la 10e région militaire et ont donc nécessairement eu l’occasion de rencontrer les trois accusés lors de manœuvres d’été ou de contacts plus ou moins informels tels que réunions, conférences, cérémonies protocolaires et autres prises d’armes… Originaire de la Dordogne, Henry Calvel commande, au moment du procès, la 38e brigade d’infanterie depuis 3 ans144. Il connait donc  nécessairement le général Davignon et probablement aussi le colonel Sauzède. Ce sans même parler du général Borgnis-Desbordes commandant alors la 10e région puisqu’Henry Calvel est à la tête de la délégation d’officiers qui l’accueille à la gare lors de son entrée à Rennes, le 12 octobre 1905145. Le colonel Félix Le Maire, qui ne doit pas être confondu avec le colonel Charles Lemaire commandant alors le 70e RI à Vitré146, sert quant à lui dès le début des années 1890 à Guingamp, au sein du 48e RI, en tant que chef de bataillon, avant de prendre la tête du 41e RI, même si on ignore la date exacte de son affectation à Rennes147. De même, les carrières du lieutenant-colonel Joseph Masnou et du chef de bataillon Georges Gaudet sont plus difficiles à établir puisque les états signalétiques et des services figurant dans leurs dossiers de Légion d’honneur s’arrêtent tous deux dans les années 1890148. Pour autant, on sait que les deux arrivent à Rennes en 1903-1904149 ; ce qui permet d’établir sans trop de risque d’erreur qu’en mars 1906 ces officiers sont bien intégrés dans leur milieu professionnel et qu’ils connaissent probablement la plupart des acteurs de ce procès. Pour ne citer qu’un exemple, les 41e et 47e RI ainsi que le 7e RA participent tous trois aux manœuvres de l’Ouest en 1905, ce qui ouvre de nombreuses possibilités de rencontre entre ces individus150.

Plus que des prévenus, ce sont donc des collègues voire même des compagnons de manœuvres que ces jurés doivent déclarer – ou non – coupables. Ce constat vaut d’ailleurs également pour le lieutenant-colonel Cauchois du 25e régiment d’infanterie faisant fonction – éminemment sensible – de commissaire du gouvernement151. Si par essence les relations interpersonnelles sont difficiles à établir, il est à peu près certains que tous ces individus se connaissent au moins de réputation tant le monde des officiers au sein d’une même région militaire est petit, dimension qui ne fait que souligner la consanguinité de ces conseils de guerre.

Enfin, il n’échappera à personne que l’impartialité des jurés n’est sans doute pas optimale puisque non seulement tous sont nommés par le général commandant la 10e région152 mais tous sont, par ailleurs, dans le cadre des fonctions qu’ils occupent au sein de leurs unités respectives, subordonnés hiérarchiquement à ce même officier.

 

Le capitaine Spiral. Portrait publié dans l'ouvrage de Louis Héry.

A dire vrai il n’y a pas là une grande découverte puisqu’à l’aube du XXe siècle, l’une des principales critiques portée à l’endroit des conseils de guerre est précisément d’être une cour où est rendue une justice pour des militaires par des militaires153.

Le procès-verbal de la déposition, le 26 février 1906, du général Davignon interrogé en qualité de témoin154 montre bien à quel point cette justice militaire est frappée de consanguinité. Non seulement l’interrogatoire se déroule dans les locaux de la 20e DI, commandée alors par le général Davignon, ce qui ne semble pas être la meilleure garantie d’indépendance, mais celui-ci est interrogé par un militaire faisant fonction d’officier de police judiciaire qui n’est autre que le colonel Sauzède, par ailleurs auteur de la plainte à l’origine de cette procédure. Pourtant, aux yeux de la justice militaire, la situation ne parait pas devoir être anormale puisque la procédure exige du général Davignon qu’il déclare si oui ou non, en sa qualité de témoin, il est « domestique, parent ou allié de l’inculpé et à quel degré ». Quelle que soit par ailleurs sa probité, le patron de la 20e division a beau prêter serment « de dire toute la vérité, rien que la vérité » et témoigner « hors de la présence de l’inculpé et des autres témoins », il n’en demeure pas moins qu’il est le supérieur hiérarchique des prévenus, mais également du plaignant, qui se trouve par ailleurs être celui qui conduit l’interrogatoire.

Dans ces conditions, il n’y a sans doute rien d’étonnant à ce que la première – et unique si l’on excepte le de rigueur « vous n’avez rien à ajouter ? » – question qui soit posée au témoin ne soit pas de la plus grande neutralité. En effet, le colonel Sauzède demande au général Davignon :

« Mon général, vous avez été le témoin du refus du commandant Héry de référer à une réquisition de l’autorité civile, voulez-vous nous dire dans quelles circonstances les faits se sont produits ? »155

Cette question est d’importance car elle est symptomatique d’une procédure qui à aucun moment ne pose la question majeure soulevée par les inculpés, à savoir la légalité de cette réquisition. La déposition du général Davignon est à cet égard particulièrement significative car lui-même concède, alors qu’interrogé par le colonel Sauzède, que Louis Héry ne refuse pas d’obéir à ses supérieurs hiérarchiques mais à une réquisition qu’il juge illégale et pour laquelle le patron de la 20e DI lui-même ne semble d’ailleurs pas prêt à trop se livrer :

« Prévenu vers dix heures du matin du refus opposé par le commandant Héry d’obtempérer à la réquisition spéciale du sous-préfet de Saint-Malo pour l’ouverture des portes de l’Eglise de Saint-Servan, je me suis rendu sur les lieux. A mon arrivée, le sous-préfet m’a fait connaître que le commandant ayant exigé une réquisition spéciale établie à son nom, il la lui avait remise et qu’il avait ensuite refusé de donner les ordres d’exécution. J’ai fait venir le commandant Héry et le dialogue suivant s’est établi entre nous :
– Commandant, vous avez refusé d’obéir à une réquisition du sous-préfet établie sur votre demande à votre nom ?
– Oui mon général, parce que je considère cette réquisition comme illégale.
– S’il y a illégalité, elle engage la responsabilité du sous-préfet, la réquisition vous couvre, vous n’avez qu’à obéir.
– Est-ce un ordre que vous me donnez ?
– Je n’ai pas d’ordre à vous donner, vous avez reçu une réquisition personnelle, c’est à elle que vous devez obéir.
– Dans ces conditions je refuse. »156

De même, la déposition du général Davignon concernant les capitaines Cléret de Langavant et Spiral se limite à une description de leur désobéissance affirmée157, sans qu’à un seul instant la légalité de la réquisition soit questionnée. En effet, tous les interrogatoires conduits par le colonel Sauzède partent de facto du principe de la culpabilité des prévenus. Ainsi, lorsque Charles Ottenheimer est amené à témoigner, dans son bureau de la sous-préfecture de Saint-Malo, celui-ci n’est interrogé que sur les faits de désobéissance des trois officiers incriminés – faits dont il ne peut d’ailleurs, de son propre aveu, témoigner en ce qui concerne les capitaines Cléret de Langavant et Spiral puisque se tenant en retrait « à une centaine de mètres » – et en aucun cas sur la question assurément plus fondamentale de la légalité de la réquisition, qu’il a pourtant ordonnée à trois reprises.158

Portrait des trois "officiers rebelles" du 47e RI publié dans Le Matin du 1er mars 1906. Bibliothèque nationale de France.

De ce point de vue, l’interrogatoire du commissaire spécial de police adjoint – qui se déroule dans le bureau du sous-préfet de Saint-Malo, son supérieur hiérarchique –  confirme cette tendance à ceci près que Lucien Gérard y ajoute un certain degré de préméditation, déclarant notamment que les deux articles du code de justice militaire lus à haute voix par le commandant Héry « avaient été au préalable cochés au crayon »159.

En définitive et au vu du dossier de procédure conservé aux archives départementales d’Ille-et-Vilaine, il apparaît que cette affaire est instruite uniquement à charge, la question soulevée au procès étant moins celle de la culpabilité des trois officiers du 47e régiment d’infanterie que celle de la peine qui leur sera infligée. La chose est d’ailleurs entendue dès l’après-midi du 2 mars 1906, lors de la première comparution des trois prévenus devant le rapporteur du Conseil de guerre qui leur signifie leur inculpation pour « refus de faire agir la force à ses ordres après en avoir été légalement requis par l’autorité civile »160. A aucun moment la cour n’essaie d’établir les faits, notamment en ce qui concerne la légalité de la réquisition. Les horaires des interrogatoires des témoins sont également assez révélateurs d’une instruction menée tambour battant puisque tous se déroulent en trois heures de temps, le 26 février 1906 entre 10 et 13 heures161, ce qui paraît assez court dans une affaire aussi complexe et sensible politiquement. Notons d’ailleurs que les interrogatoires des inculpés sont tout aussi rapides puisque la matinée du 6 mars 1906 suffit à interroger les trois officiers162.

Bien entendu, plus d’un siècle après les faits, on ne peut qu’être frappé par une telle situation dans un pays qui pose la présomption d’innocence comme droit fondamental de l’individu. Or, si les trois inculpés comparaissent devant le Conseil de guerre, c’est parce que ce procès résulte moins d’une logique judiciaire que politique, ce que n’ignorent d’ailleurs nullement les trois officiers du 47e régiment d’infanterie. En effet, l’établissement du déroulement précis de cette matinée du 23 février 1906 ne pose question à aucun moment de la procédure, puisque les inculpés eux-mêmes ne contestent pas les faits.163

Pendant un conseil de guerre, en février 1908. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, BnF, Est. MFILM K132632 - Rol, 194. BnF, Est. EI-13 (2).

Pour les pouvoirs publics, il s’agit bien entendu de réaffirmer la puissance de l’institution militaire par sa faculté d’obéissance et sa soumission au pouvoir politique. Il importe également aux autorités de démontrer la sévérité des conseils de guerre et leur aptitude à applique le droit, leur réputation d’extrême rigueur ayant été pour partie entachée par les jugements cléments du Conseil de guerre de Nantes dans les affaires ayant trait à l’expulsion des Congrégations164. Enfin, le procès se déroule le 19 mars 1906, alors que la crise des inventaires est encore assez vive. Dans ce cadre, la réaffirmation de la puissance de l’institution militaire ne peut se passer de la restauration du dogme de son infaillibilité, ce qui est bien entendu absolument incompatible avec la question de la légalité de la réquisition du 23 février 1906. Là encore il est intéressant de confronter la teneur du message délivré par ce procès avec la réalité telle qu’elle émane des archives puisque qu’une circulaire du ministère de l’Intérieur adressée aux préfets le 5 mars 1906 rappelle les modalités de la réquisition de la troupe, de nombreuses erreurs ayant été constatées tout au long du mois précédent …165

Ce procès a donc une double portée, externe pour réaffirmer la soumission de l’armée au politique, interne pour rappeler aux officiers leur devoir d’obéissance, quelle que soit la nature de la tâche qui leur est ordonnée. Pour autant, cette affaire est aussi une histoire de foi, comme le rappelle très explicitement Joseph Cléret de Langavant lorsqu’interrogé pendant l’instruction :

« Ma conscience ne me permettait pas d’enfoncer la porte d’une église et je considérais que donner cet ordre comme émanant de moi équivalait à faire l’opération moi-même. Cette raison est celle qui m’a principalement déterminé. »166

 

Me Jenouvrier, alors que Sénateur, en 1921. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, EI-13(2670).

Pour les prévenus, le procès est donc tout aussi politique, chose dont ils sont d’ailleurs parfaitement conscients, comme en témoigne le choix de leur défenseur, Me Jenouvrier, qui s’est fait, on l’a vu, une spécialité de ce genre de dossiers où sont « menacées » les libertés religieuses. Lorsqu’interrogé sur les raisons qui, outre sa foi, le conduisent à agir de la sorte, Joseph Cléret de Langavant avance comme argument l’illégalité d’un ordre jugé comme attentatoire à son honneur de militaire167, discours dont la dimension politique est évidente. De même, Louis Héry ne cache pas ses intentions lorsqu’il détaille, dans l’ouvrage qu’il publie sur l’affaire, sa démarche :

« En un mot je faisais appel aux juges militaires, considérés par moi comme les gardiens des droits et de l’honneur de l’armée, et j’étais décidé à poser nettement la question des rapports entre l’armée et les fonctionnaire civils. »168

Pour Louis Héry, l’illégalité de cette réquisition est avant tout question de principe et pose, en filigrane, les questions des rapports entre pouvoirs civils et militaires et, in fine, de la subordination du second au premier. Ainsi, lorsqu’il répond assez vertement au commissaire Gérard, le commandant Héry désire « faire entendre par [sa] réponse que la subordination de la force armée au pouvoir civil ne comporte pas l’obéissance aveugle d’un chef militaire à un fonctionnaire dont l’ancienneté et les services peuvent être inférieurs au sien »169. Certes, dans l’absolu, le chef de bataillon ne conteste pas que le pouvoir civil puisse, le cas échéant, solliciter l’intervention de l’armée pour résoudre une crise intérieure mais, selon-lui, celui-ci doit être non seulement raisonné mais surtout réservé aux cas d’une extrême gravité :

« Parce que de l’étude attentive de nos règlements militaires, des lois et du code pénal ainsi que du code de justice militaire, je me suis fait la conviction que la force armée ne peut être employée contre des citoyens en territoire français, sauf le cas de troubles ou d’émeute avec une extrême réserve. Nos codes ont des peines sévères portées contre l’emploi abusif de la violence. »170

Dans sa plaidoirie, Me Jenouvrier argue d’ailleurs que ce procès se résume à « savoir si tout commandement de détachement ou de piquet sera à la disposition d’un sous-préfet ou d’un commissaire de police et s’il sera permis à celui-ci, en présentant une réquisition quelconque, de conduire ce piquet ou ce détachement aujourd’hui à l’assaut d’une église, demain à celui d’une assemblée ou d’un palais »171. Moins polémique – il n’a pas recours à la menace de coup d’Etat – Joseph Cléret de Langavant se place également sur le terrain du droit pour justifier son refus mais tente, au cours de l’instruction, d’attaquer la légalité de la réquisition du II/47e RI dans le cadre de l’inventaire de l’église de Saint-Servan sur un vice de procédure :

« Plusieurs faits m’avaient fortement troublé sur cette question de la légalité, j’étais particulièrement frappé d’une réclamation adressée le matin même et qui avait manifestement troublé les autorités civiles. L’avocat du conseil de fabrique avait démontré que les notifications n’avaient pas été faites à qui de droit. »172

Cette interdiction de suivre un ordre illégal est qualifiée par les juristes de « baïonnette intelligente » ce qui, dans le cas présent, n’est pas sans ironie. Pourtant, c’est également par ce truchement que Charles Spiral argumente, lorsqu’interrogé le 6 mars 1906 par le rapporteur du Conseil de guerre :

« Je connaissais par le détail, par l’avocat M. Robert Brault, l’illégalité mentionnée dans la protestation du curé de Saint-Servan et dont M. le sous-préfet venait de prendre acte. En effet, moins de dix minutes après la protestation que je ne connaissais pas encore, causant avec M. l’avocat Brault, il me mit au courant du manquement à la légalité par suite de l’omission de prévenir les deux bureaux des présidents du conseil de fabrique et des marguillers. L’un des deux, M. Roussin ou Rouscin n’avait pas été prévenu. Me Brault se félicitait devant moi d’avoir si bien réussi en relevant cette illégalité et me disait que M. le sous-préfet avec qui il venait d’en parler lui avait répondu “bien joué”. »173

Aristide Briand à son bureau, à la veille de la Première Guerre mondiale. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, EST EI-13 (319).

C’est d’ailleurs cette ligne d’attaque que choisit, le jour de l’inventaire, le chanoine Desrées dans sa protestation. Rappelant l’omission dont est l’objet le président du conseil de Fabrique – un certain Rouxin – qui n’a « pas été légalement convoqué » et ne s’est donc pas présenté à l’heure convenue – le curé de Saint-Servan se permet le luxe de citer le « commentaire théorique et pratique de la loi de 1905 » rédigé par Aristide Briand, afin de proclamer la nullité de l’inventaire :

« L’article 2 du décret du 29 décembre 1905 ordonne que la notification de la date de l’inventaire sera faite ”pour les Fabriques des églises et chapelles paroissiales et pour les menses curiales ou succursales, au curé ou desservant et au bureau des marguillers en la personne de son président”. C’est donc une notification conjointe qui doit être faite à ces deux représentants de la Fabrique. Cette formalité est essentielle. Son omission constitue une violation flagrante de la loi.»174

Sans entrer dans des détails de procédure qui sortent du terrain historique pour investir celui de la chronique judiciaire175, force est toutefois de constater que deux des trois prévenus questionnent la légalité de la réquisition sur un point assez argumenté constituant selon eux un vice de procédure et qu’à aucun moment le rapporteur du Conseil de guerre ne paraît donner crédit à ces allégations. En effet, aucune pièce du dossier de procédure conservé aux archives départementales d’Ille-et-Vilaine ne témoigne d’une quelconque volonté de s’enquérir de la légalité ou non de cette réquisition, celle-ci étant supposée l’être de fait. Or tout porte à croire que les arguments avancés par les trois officiers du 47e régiment d’infanterie sont de nature à faire douter l’institution militaire, comme en témoigne cette circulaire confidentielle – et malheureusement non datée – du ministère de l’Intérieur :

« A l’occasion des inventaires nécessités par l’application de la loi du 9 décembre 1905, plusieurs officiers ont refusé d’obtempérer aux réquisitions de l’autorité civile, et ont ensuite cherché à établir la légitimité de leur refus en s’appuyant sur des considérations juridiques tendant à mettre en contradiction la lettre et l’esprit des instructions qui régissent les réquisitions de la force armée.
Devant le fait matériel du refus, les motifs invoqués par ces officiers échappent à leurs inférieurs, auxquels ils donnent en réalité le plus regrettable exemple. En réglant leur conduite sur des scrupules que l’autorité militaire n’a pas à apprécier, en établissant des distinctions basées sur l’objet des réquisitions, ces mêmes officiers perdent de vue un principe général inscrit au frontispice de nos règlements, et d’après lequel la responsabilité d’un ordre n’incombe pas à celui qui l’exécute, mais appartient à celui qui l’a donné. »176

Georges Clemenceau, en 1908. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, BnF, Est. MFILM K132636 - Rol, 201. BnF, Est. EI-13 (2).

Réaffirmant ensuite que, « quoi qu’il en soit, il importe d’éviter le retour d’incidents dont la fréquence pourrait devenir un danger pour la discipline », Georges Clemenceau, qui est alors titulaire du portefeuille de l’Intérieur, impose un changement dans la procédure à appliquer dans le cadre des réquisitions de l’armée par l’autorité civile en demandant que celles-ci soient désormais adressées aux commandants d’armes, sans doute jugés plus sûrs politiquement. Charge ensuite leur incombe de prendre les ordres en conséquence, « conformément aux règlements militaires »177. Dans le cadre de l’affaire de Saint-Servan, il semble possible de juger de l’efficacité d’une telle modification de la procédure puisqu’à la lecture du dialogue qui se noue ce 23 février entre Louis Héry et le général Davignon, tout porte à croire que le chef du II/47e RI aurait obéi à un ordre formulé par le commandant de la place d’armes de Saint-Malo178. Pourtant, et ce de manière assez curieuse, l’instruction du 20 août 1907 relative à la participation de l’armée au maintien de l’ordre public ne retient pas cette disposition, indiquant au contraire qu’en cas d’urgence, tout commandant de la force publique peut être requis179. On ne peut que s’étonner de cette situation puisque peu après la crise des inventaires est installée une commission chargée de toiletter le décret du 4 octobre 1891 sur le service dans les places de guerre et les villes de garnison, alors jugé obsolète180. Il est vrai que, reprenant les termes de l’article 21 de la loi du 3 août 1791, celui-ci se révèle bien peu précis lorsqu’il ordonne que « les réquisitions [soient] faites au chef commandant en chaque lieu »181, terme assimilé à la fonction de commandant d’armes mais laissant de la place pour d’autres interprétations.

Ainsi le général Davignon, lorsqu’il édicte son ordre du 17 février 1906 rappelant que les « réquisitions spéciales écrites » doivent être remises « au commandant du bataillon par l’autorité civile présente sur les lieux »182. Mais ce nouveau décret est publié le 7 octobre 1909, c’est-à-dire à une date à laquelle non seulement Aristide Briand a succédé à Georges Clemenceau au poste de ministre l’Intérieur mais où, de surcroît, le souvenir des troubles nés des inventaires commence à s’éloigner…

Un verdict sans surprise

Trois jours après avoir été interrogés par le rapporteur du Conseil de guerre, le commandant Héry et les capitaines Cléret de Langavant et Spiral sont une nouvelles fois convoqués, à 17 heures, pour que leur soit signifiée la fin de la procédure et donné lecture des pièces constituant le dossier183. Celles-ci, au nombre de 50, sont numérotées et conservées aux archives départementales d’llle-et-Vilaine au titre de la procédure relative au jugement n°5670. Aucun document présentant la preuve de la légalité de la réquisition du sous-préfet de Saint-Malo ou attestant d’une démarche visant à s’enquérir de celle-ci n’y figure. De plus, tout porte à croire que le dossier tel qu’il est aujourd’hui consultable à Rennes est précisément dans le même état qu’en 1906, lorsque lecture des pièces est faite aux trois officiers du 47e régiment d’infanterie inculpés. Sans surprise, le rapporteur de l’affaire demande sa mise en jugement. La question du vice dans la procédure de réquisition opérée par le sous-préfet de Saint-Malo est complètement éludée au motif que « l’illégalité, si elle existait, n’engageait que la responsabilité de l’autorité civile », et non les officiers à la tête du II/47e RI184. En conséquence, les trois inculpés comparaissent devant le Conseil de guerre de Rennes pour avoir refusé « de faire agir la force à ses ordres après avoir été légalement requis par l’autorité civile »185. En d’autres termes, avant même d’avoir été jugés, les accusés savent qu’ils ont désobéi à une réquisition qui elle, est légale, puisque c’est précisément sur cette base qu’ils sont traduits en justice.

Le procès se déroule dans la matinée du 19 mars 1906, dans la salle des fêtes du Lycée de Rennes nommé aujourd’hui en l’honneur de l’auteur de J’accuse, devant une assistance principalement composée d’une centaine de curieux, de femmes d’officiers, de journalistes dépêchés pour l’occasion et d’avocats venus assister aux débats. Un service d’ordre est assuré par une compagnie du 41e RI aux ordres du capitaine de Belâbre car les autorités craignent des troubles liés à la venue du président de la Ligue des patriotes, Paul Déroulède186.

Débutant à 9 heures, le procès se déroule de manière classique. Après lecture du rapport par le président, les trois prévenus sont interrogés par ordre de grade et d’ancienneté, le commandant Héry d’abord, le capitaine Spiral en dernier. Vient ensuite le tour des témoins, puis le réquisitoire du commissaire du gouvernement et, enfin, la plaidoirie de la défense.

Paul Déroulède. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, EI-13(2444).

Après un petit peu plus de deux heures et demi d’une audience sans incident notoire – les observateurs insistent au contraire sur la solennité du moment – le Conseil de guerre se retire à 11h40 pour délibérer, puis rend son verdict 25 minutes plus tard187. A la question de savoir si les accusés sont coupables « d’avoir, le 23 février 1906, à Saint-Servan, étant commandants de la force publique, refusé de faire agir la force à [leurs] ordres après en avoir été légalement requis par l’autorité civile », les juges répondent à la majorité – cinq voix contre deux – par l’affirmative. Par ailleurs, considérant la relation d’autorité entre le commandant Héry et les capitaines Cléret de Langavant et Spiral, le Conseil de guerre accorde à ces deux derniers des circonstances atténuantes. En conséquence, le commandant Héry est condamné à un mois de prison, les capitaines Cléret de Langavant et Spiral à un jour, peines majorées des frais envers l’Etat (89,67 F) mais, compte-tenu de la virginité des casiers judiciaires des trois officiers, assorties d’un sursis188.

L’audience est levée à 12h15189 et suscite immédiatement de nombreuses réactions. Sans surprise, L’Ouest-Eclair prend acte du jugement mais, bien que fidèle aux institutions, exprime toutefois une certaine proximité bienveillante avec les condamnés190. Plus engagé, La Croix indique que ce procès doit décider « non pas seulement de l’honneur de trois officiers, mais de celui de l’armée »191, propos qui ne laisse que peu de doute quant à son appréciation du verdict. En revanche, le traitement de cette séance du Conseil de guerre par le Nouvelliste de Bretagne reste en grande partie mystérieux. En effet, une édition spéciale est publiée « moins de trois heures » après l’énoncé du verdict192. Malheureusement, celle-ci ne figurant pas parmi les collections conservées par les Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, il est difficile de poursuivre plus loin l’analyse. On notera toutefois que le dispositif adopté par ce quotidien semble révélateur de l’importance accordée à ce procès. De même, on peut se douter que, compte tenu du traitement journalistique de l’affaire précédemment opéré par ce journal, la teneur du propos soit semblable aux lignes écrites par Louis Héry quelques semaines après le verdict, où il affirme que lui et ses deux collègues sont « tombés sous les attaques furieuses de ces sectaires, qui semblent en vouloir autant à l’armée qu’à la religion »193.

Portrait des trois officiers du 47e régiment d'infanterie publié le 20 mars 1906 dans La Croix.

Sans surprise, les deux grands bihebdomadaires malouins conservateurs font unanimement front derrière les trois officiers, ce d’autant plus que selon eux la menace plane encore d’un déménagement du 47e régiment d’infanterie, sanction politique qui aurait de grandes conséquences pour la vie économique locale. Toutefois, la teneur du propos ne saurait être comparée à la vigueur employée, quelques semaines auparavant. Pour L’Union malouine et dinannaise, le verdict est accueilli « avec stupeur » et, dès « la sortie du Conseil de guerre, les sympathiques condamnés sont très entourés et chaudement félicités »194. Sitôt la nouvelle connue, François Bazin s’intéresse pour Le Salut aux conséquences politiques de ce jugement, non sans verser dans l’antisémitisme :

« C’est une fatalité ; mais les verdicts des Conseils de guerre, et plus particulièrement ceux du Conseil de guerre de Rennes, ont le don de ne pas faire la joie des patriotes (!)195 de la juiverie parlementaire.
A peine connu à la Chambre, le verdict d’hier menaçait d’y soulever un incident de gouvernement. M. Jaurès, qui réclamait jadis avec tant d’impunité l’acquittement d’un traitre, s’est naturellement indigné d’un verdict qui ne condamne pas à la peine de mort – au minimum – trois officiers coupables d’avoir refusé de procéder au crochetage d’une porte d’église »196

La référence au procès Dreyfus n’est pas neutre tant elle semble indiquer que, déjà, d’une certaine manière, cette affaire de séparation de l’Eglise et de l’Etat appartient au passé et que la crise des inventaires est achevée. D’ailleurs, tant L’Union malouine et dinannaise que Le Salut traitent ce sujet en pages intérieures. Les autres titres sont eux beaucoup plus neutres, comme si la fièvre était retombée. Le Figaro donne ainsi dans ses colonnes un compte-rendu très modéré du procès, l’article, publié en page 3, étant signé de la plume de … Robert Surcouf, député de Saint-Malo197. De même en ce qui concerne Le Petit Journal qui regrette en premier lieu… le nombre de places accordées à la presse198. A l’autre bord du spectre politique, L’Aurore n’exprime aucune mansuétude dans son traitement du verdict, ni envers ces officiers « rebelles de Saint-Servan », ni envers la justice militaire suspectée de trop d’indulgence. Au contraire, ce titre s’insurge contre des peines de prison « qu’ils ne feront pas » et se demande si le verdict n’aurait pas été tout autre si l’affaire avait été portée devant une juridiction civile199. Mais il s’agit bien là d’une exception. Ainsi, derrière une apparence de neutralité qui tient pour beaucoup à l’austérité de son propos, Le Temps, malgré d’importants moyens accordés à la couverture de ce procès – le journal dépêche un envoyé spécial qui rend compte, en une et sur trois colonnes, du procès et de son issue – n’évoque jamais la question de la légalité de la réquisition, prenant le parti du Conseil de guerre et entérinant dans son lectorat l’idée d’une culpabilité de fait des prévenus200.

En définitive, l’écho médiatique de ce procès n’égale pas celui observé après l’inventaire de Saint-Servan, comme si cette actualité était déjà passée, comme si ce dernier soubresaut de la longue histoire de la séparation de l’Eglise et de l’Etat en France était déjà révolu. Significativement, Charles Vie évoque au lendemain du verdict une « nouvelle chouannerie »201, comme pour mieux souligner que ces troubles appartiennent déjà au passé. C’est en cela que les inventaires sont une crise au sens propre du terme, c’est-à-dire l’ultime et paroxystique étape d’une suite de dysfonctionnements. Dans cette optique, bien que très rapide, la mise en jugement de l’affaire ne peut survenir qu’à un moment où l’apaisement gagnant, la tension s’effrite. L’Humanité ne se contente en effet que d’un résumé assez neutre de l’audience et du verdict, certes sur une pleine colonne mais en deuxième page. La une du journal crée par Jean Jaurès traite elle de la grande grève des mineurs du bassin de Lens202. A Saint-Malo, Le Républicain se contente d’un résumé assez neutre en pages intérieures, se limitant à souligner que la « moralité de ce procès » est « la nécessité absolue aux officiers d’obéir aux lois en vertu du principe que la discipline est la force principale des armées, discipline qui doit être la même pour le soldat et l’officier »203. Semblable impression à la lecture du Matin qui, malgré un article signé d’un envoyé spécial, publié en première page – mais non en une – et illustré du portrait des trois condamnés, ne parvient pas à retrouver l’alarmant sensationnalisme qui caractérise le traitement, un mois auparavant, de l’inventaire de Saint-Servan204.

 

Le capitaine Bühler. portrait publié dans Le Matin le 1er mars 1906.

Pour le pouvoir, le verdict est assurément exemplaire. Cette dimension tient bien évidemment à la qualité des condamnés, trois officiers disposant de très bons états de service. Mais ce jugement a aussi valeur d’exemple en ce qu’il est clairement un signal lancé aux autres officiers qui, à un moment ou un autre, ont pu afficher leur sympathie envers Louis Héry, Joseph Cléret de Langavant et Charles Spiral205. Il s’agit bien de réaffirmer l’absolu devoir d’obéissance au sein de l’institution militaire, quand bien même celle-ci serait requise par une autorité civile. En d’autres termes, c’est un message fort qui est adressé à ce corps des officiers réputé méfiant à l’endroit de la République. Néanmoins, il est évident que la proximité des élections législatives de 1906 peut inciter certaines parties de ce procès à un verdict de clémence, de peur d’ériger les trois officiers de Saint-Servan en martyrs et en autant de hérauts du parti clérical.

Toutefois, il n’en demeure pas moins que pour les trois condamnés, les conséquences sont importantes puisque, en application du principe de la double peine, tous sont radiés de l’armée dès le lendemain du jugement rendu par le Conseil de guerre de la 10e région militaire206. Le contraste n’en est alors que plus saisissant avec le capitaine Bühler qui, requis en quatrième le 23 février 1906, accède finalement à la demande de l’autorité civile et, ce faisant, permet à l’inventaire de se dérouler. Nommé chef de bataillon en 1907, il quitte le 47e RI avant de le retrouver en Artois, en tant que lieutenant-colonel, en juillet 1915. Promu colonel six mois plus tard, il quitte définitivement cette unité en décembre 1915 pour être détaché auprès de l’armée polonaise. Achevant la guerre en tant que général de brigade, il est fait commandeur de la Légion d’honneur le 16 juin 1920207.

 

En refusant d’interjeter appel du jugement du Conseil de guerre de Rennes208, les trois officiers du 47e régiment d’infanterie apposent un point final au volet judiciaire de l’affaire de Saint-Servan, et, par la même occasion, à l’affaire elle-même. Une fois retombée l’écume des remous politico-médiatiques, on peut néanmoins se demander ce qui, au final, reste de cette histoire dont on a pu voir qu’elle dépasse de loin le cadre du fait-divers.  La réponse apparait devoir être assez lapidaire : pas grand-chose, et ce pour plusieurs raisons.

D’un point de vue mémoriel, l’écho du « martyr » de ces trois officiers dont la carrière est brisée nette par cette décision de justice demeure très faible en dehors de quelques cercles catholiques209, la Grande Guerre et l’Union sacrée venant de surcroît balayer ce souvenir huit années après le verdict énoncé. La question semble d’ailleurs entendue dès mai 1906 puisque Robert Surcouf, soutenu par les Bleus de Bretagne, est réélu à la Chambre210. De même, les urnes portent l’année suivante les Républicains à la tête de tous les cantons du pays de Saint-Malo, à l’exception de celui de Saint-Servan211, comme pour mieux souligner la défaite des cléricaux.

La Grande Guerre est probablement le moment d’une certaine revanche pour l’Armée puisqu’elle s’émancipe tellement du pouvoir politique dans les premières semaines de la campagne que quelques auteurs n’hésitent pas à évoquer « une manière de régression démocratique », en d’autres termes une quasi-dictature de Joffre212. On connaît l’anecdote célèbre de René Viviani, alors président du Conseil, qui affirme apprendre en 1915 le départ du Grand Quartier Général de Chantilly par… la fleuriste de son quartier. Si, en réalité, le rapport de force entre pouvoirs militaire et civil tient alors sans doute plus à un retrait du politique qu’à une dictature du généralissime, il n’en demeure pas moins que la situation contraste grandement avec les débats sur la soumission des militaires aux fonctionnaires soulevés à l’occasion du procès des trois officiers du 47e RI impliqués dans l’affaire de l’inventaire de l’église de Saint-Servan.

Mais surtout, la guerre renvoie au principe de réalité et, ce faisant, précipitant la France dans le XXe siècle, relègue la séparation des Eglises et de l’Etat à un combat appartenant à une période révolue. C’est d’ailleurs ce que suggère à la fin des années 1970 C. Petitfrère à partir du cas Angevin213 en écrivant que déjà, en 1906, pointe un nouveau danger, comme le suggère cette instruction du 22 avril 1907 émanant du ministère de l’Intérieur et adressée par le préfet d’Ille-et-Vilaine aux sous-préfets de son département :

« Je vous prie de vous abstenir de participer aux cérémonies où vos renseignements vous amèneraient à penser que l’Internationale pourrait être chantée et un drapeau rouge sans inscription déployé. »214

C’est sans doute cette crainte du « péril rouge » qui doit, pour partie, encourager Clemenceau à modifier la procédure de réquisition de la troupe par l’autorité civile. L’armée peut en effet constituer un très efficace briseur de grève, à condition bien sûr que les militaires ne refusent pas de marcher. Aussi, quelques huit années avant l’assassinat de François-Ferdinand à Sarajevo, il semble bien que l’Eglise ne soit plus tout à fait le principal « ennemi » de la République. D’ailleurs, chose sans doute impensable ne serait-ce qu’une dizaine d’années auparavant215, la religion parait s’exercer assez librement aux armées pendant la Grande Guerre. Le 10e corps en est ainsi un assez bon exemple par l’intermédiaire d’une figure aussi emblématique que le Révérend-Père UMbricht. Même si l’Union sacrée ne saurait effacer totalement les antagonismes d’antan216, le contraste n’en est que plus grand avec la situation qui prévaut au début de l’année 1906. Louis Héry, Charles Spiral et Joseph Cléret de Langavant sont tous trois mobilisés lors de la Première Guerre mondiale. Affecté en tant que capitaine au 136e RI, Charles Spiral meurt pour la France devant Arras, le 5 octobre 1914217. Joseph Cléret de Langavant est lui mobilisé au 247e régiment d’infanterie. Blessé le 26 août à Donchéry, dans les Ardennes, il revient au front moins d’un mois plus tard, puis est fait chevalier de la Légion d’honneur le 27 septembre 1914. Promu chef de bataillon le 11 octobre 1914, il quitte le front en mars 1916 du fait d’une « fatigue excessive ». Démobilisé en mars 1918, il est cité deux fois à l’ordre de l’armée218. Enfin, Louis Héry se voit confier un bataillon du 84e régiment d’infanterie territoriale. Mort pour la France le 29 septembre 1914, il est cité à l’ordre de l’armée. A l’occasion de cette distinction, il reçoit les honneurs du Tableau d’honneur du Bulletin des Armées de la République219. Celle-là même qui, six ans auparavant, le condamnait à un mois de prison.

Erwan LE GALL

 

 

1 Cet article doit beaucoup à la bienveillance de Pascale Morne et Eric Joret qui nous ont permis de consulter le dossier de procédure du jugement en Conseil de guerre des trois officiers du 47e RI traduits à la suite de l’inventaire de Saint-Servan ainsi qu’à l’aide de Marc Jean et de l’ensemble du personnel des salles de lecture des archives municipales de Saint-Malo et départementales d’Ille-et-Vilaine. Yves-Marie Evanno, aux Archives départementales du Morbihan et au comité de rédaction d’En Envor, revue d’histoire contemporaine en Bretagne, s’est révélé, comme à son habitude, d’une aide précieuse. Tout au long de cette enquête nous par ailleurs avons pu bénéficier des conseils avisés de Yann Lagadec, Jérémie Halais et de David Raul. Qu’ils en soient tous chaleureusement remerciés.

2 Arch. Dép. I & V. : 11 R 793-794.

3 SAINT-FUSCIEN, Emmanuel, A vos ordres ? La relation d’autorité dans l’armée française de la Grande Guerre, Paris, Editions EHESS, 2011, p .155 notamment.

4 BOURLET, Michaël, « L’accident de Bricquebec, 4 août 1914 », 14-18, Le magazine de la Grande Guerre, n°58, Août-Octobre 2012, p. 40-45.

5 Arch. Dép. I & V. : 11 R 341, jugement n°5670. Les archives du dossier de procédure afférant à la plainte n°5670 conservées aux archives départementales d’Ille-et-Vilaine sous la côte 11 R 663 sont référencées 1 à 60 et comportent outre l’ordre d’informer, divers rapports, feuillets matricules, dépositions et procès-verbaux d’interrogatoires. Y sont également adjoints quelques documents non numérotés, essentiellement des bordereaux d’envoi.

6 CHAUVAUD, Frédéric, « Le fait divers en province », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, n°116-1, 2009, p. 7, en ligne.

7 Nous empruntons cette formule à l’un des prévenus, le commandant Héry.

8 LALOUETTE, Jacqueline, « Laïcité et séparation des Eglises et de l’Etat : esquisse d’un bilan historiographique (2003-2005) », Revue historique, n°636, 2005-4, p. 849-870, en ligne et HARISMENDY, Patrick, « Séparation et désétablissement : les contours d’un objet historique », Bulletin de la société de l’histoire du protestantisme français, Tome 151, octobre-novembre-décembre 2005, p. 549-564.

9 Sur cette question, se rapporter à la synthèse incontournable de BONIFACE, Xavier, L’Armée, l’Eglise et la République (1879-1914), Paris, Nouveau Monde Editions, 2012.

10 CHALMIN, Pierre, L’officier français de 1815 à 1870, Paris, Librairie Marcel Rivière et compagnie, 1957, p. 328 et suivantes.

11 BONIFACE, Xavier, L’Armée, l’Eglise et la République (1879-1914), …, op. cit., p. 227-228.

12 Ce précédent est rappelé par Me Jenouvrier lors de sa plaidoirie demandant l’acquittement des trois officiers du 47e RI impliqués dans l’affaire de l’inventaire de Saint-Servan et est également mentionné dans les mémoires d’un des prévenus : Héry, Louis, Les inventaires de Saint-Servan, Niort, G. Clouzot, Libraire – éditeur, 1906, p. 230-231.

13 Sur cette question on renverra à « L’affaire Leroy-Ladurie », L’Ouest-Eclair, n°1138, 27 septembre 1902, p. 1-2 ainsi qu’à LE ROY LADURIE, Emmanuel, « L’affaire Le Roy Ladurie, 1902 », inLE ROY LADURIE, Emmanuel (Dir.), Les Grands procès politiques, Monaco, Editions du Rocher, 2002, p. 7-22.

14 CORNETTE, Joël, Histoire de la Bretagne & des Bretons, Tome II, Paris, Seuil, 2005, p. 386.

15 Arch. Dép. I&V. : 1 M 147, rapport du commissaire de police de Saint-Malo, 14 mai 1903.

16 Arch. Dép. Morbihan : V 599, frères de Ploërmel. Sur cette affaire, on renverra à Garnier, Sabine, L’expulsion des congrégations, un cas de conscience pour l’Armée : les événements de Ploërmel (1904), Paris, François-Xavier de Guibert, 2010.

17 HERY, Louis, Les inventaires de Saint-Servan, op. cit, p. 7 ; CHANET, Jean-François, Vers l’armée nouvelle, République conservatrice et réforme militaire (1871-1879), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 261-263. 

18 Sur cette question, se rapporter à BONIFACE, Xavier, L’Armée, l’Eglise et la République…, op. cit., p. 73-127.

19 « Au cercle militaire de Dinan » et « Saint-Servan – Cercle militaire », Le Nouvelliste de Bretagne, Quatrième année, n°38, 7 février 1904, p. 2.

20 Arch. Dép. I&V. : 1 M 147, Expulsion des frères à Cancale, 1904

21 Sur la loi en elle-même, l’ouvrage de référence, quoiqu’ancien, est encore celui de MAYEUR, Jean-Marie, La séparation des Eglises et de l’Etat, Paris, Editions Ouvrières, 1991.

22 Sur l’activité parlementaire préalable à l’adoption du texte, BELLON, Christophe, « Aristide Briand et la séparation des Eglises et de l’Etat, du travail en commission au vote de la loi (1903-1905) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n°87, 2005-3, p. 57-72, en ligne.

23 Arch. Dép. I&V. : 1 M 147, Lois anticléricales, conséquences locales, 1903-1910 ainsi que 1 M 147, affiches et tracts.

24 Arch. Dép. I&V. : 1 V 1510, « La loi de séparation », La semaine religieuse du diocèse de Rennes, 42e année, n°12, 16 décembre 1905, p. 195-196.

25 www.assemblee-nationale.fr/histoire/eglise-etat/Pie-X_vehementer-nos_11021906.asp

26 PIERRE, René, « Autour de nos Eglises », L’Union malouine et dinannaise, 54e année, n°11, 7-8 février 1906, p. 1.

27 BAZIN, François, « La Semaine », Le Salut, 25e année, n°12, 9-10 février 1906, p. 1.

28 BENSOUSSAN, David, « L’Ouest-Eclair et la séparation », in THEURET, Johan (Dir.), Un siècle de laïcité en Bretagne, 1905-2005, Rennes, Apogée, 2005, p. 89 et suivantes.

29 Arch. Dép. I&V. : 1 PER 1065-1905 21.

30 VIE, Charles, « La Séparation », Le Républicain, 25e année, n°212, 12-13 décembre 1905, p. 1.

31 CUCARULL, Jérôme,  « La crise des inventaires dans l’arrondissement de Fougères », Le Pays de Fougères, n°77, 1990, p. 11.

32 DEVAILLY, Guy (Dir.), Histoire religieuse de la Bretagne, Chambray, CLD, 1980, p. 332.

33 Arch. Dép. I&V. : 1 V 1509, Le préfet d’Ille-et-Vilaine au ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts & des cultes, 13 mai 1905.

34 Il s’agit de Victor Rault, en poste depuis septembre 1902, nommé à Rennes par Emile Combes. BARGENTON, René, Dictionnaire biographique des Préfets, septembre 1870 – mai 1982, Paris, Archives nationales, 1994, p. 462-463.

35 Arch. Dép. I&V. : 1 V 1511, arrêté préfectoral du 15 février 1906.

36 Arch. Dép. I&V. : 1 V 1511, télégramme du sous-préfet de Saint-Malo au préfet d’Ille-et-Vilaine, 28 février 1906.

37 Mentionnons toutefois LAUNAY, Jean-Jacques, La crise des inventaires en Bretagne, Mémoire de maîtrise sous la direction de Dupront, Alphonse, Paris IV, octobre 1971 et LE YONCOURT, Tiphaine, L’application de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat en Ille-et-Vilaine, DEA d’histoire du droit, Rennes, Université Rennes I, 1996, en ligne.

38 « Cour d’appel de Rennes », L’Ouest-Eclair, n°3350, 11 mai 1906, p. 3. Arch. Dép. CdA. : 6 Bi art. 196 : DU PLESSIS DE GRENEDAN, Marie-Hyacinthe, De tout, un peu, sur notre Quessoy, xérocopie d’un dactylogramme communiqué en octobre 1975 par Monsieur Parscau.

39 Arch. Dép. I&V. : 1 V 1511, inventaire de la fabrique et de la mense de l’église de Balazé.

40 Arch. Dép. CdA. : 3 R 56, mémoire de proposition. Ce procédé n’est semble-t-il pas rare puisque Launay, Jean-Jacques, op. cit., 1e partie, p. 16 et 24 en mentionne l’usage à Balazé, Bily (Ille-et-Vilaine) et Ploemeur-Bodou (Côtes du Nord).

41 Arch. Dép. I&V. : 1 V 1511, rapport du sous-lieutenant Nottat commandant la gendarmerie de l’Arrondissement sur un service d’ordre.

42 Arch. Dép. I&V. : 5 V 326/17, « Les catholiques et l’inventaire », L’Echo paroissial, 1e année, n°3, 1er mars 1906, p. 37-45.

43 L’Ouest-Eclair, n°3274, 23 février 1906, p. 1. Renvoyé de l’Armée mais non traduit en Conseil de guerre, Marie, Eugène Dublaix entame ensuite une carrière politique entre l’Action française, dont il est un collaborateur régulier, et l’entourage du duc Orléans, dont il est un des partisans actifs.  HERY, Louis, Les inventaires de Saint-Servan, op. cit., p. 230. 

44 Arch. Dép. I&V. : 5 V 326/17, avis de convocation.

45 Arch. Dép. I&V. : 5 V 326/17, arrêté préfectoral.

46 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièces n° 38-43.

47 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n° 38.

48 Ces cinq mots sont soulignés dans l’ordre général du 17 février 1906.

49 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n° 38.

50 « La démission du cabinet Rouvier », Le Temps, n°16332, 9 mars 1906, p. 1.

51 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n° 38.

52 TRONCHET, Guillaume, « Le cabinet Rouvier et l’administration préfectorale dans la crise des inventaires (janvier-mars 1906) », en ligne, p. 6-7.

53 Sur ce point, on pourra renvoyer à l’historiographie de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale pour qui la question se pose avec une grande acuité, notamment pour estimer l’efficacité de la presse clandestine. Dans le cas présent, on remarquera toutefois que ce tract est reproduit par L’Ouest-Eclair, ce qui semble être le gage d’une diffusion certaine. « L’inventaire à Saint-Servan », L’Ouest-Eclair, n°3271, 20 février 1906, p. 3.

54 Arch. Dép. I&V. : 5 V 326/17, tract du 16 février 1906.

55 Arch. Dép. I&V. : 5 V 326/17, « Les catholiques et l’inventaire », L’Echo paroissial, 1e année, n°3, 1er mars 1906, p. 34.

56 HERY, Louis, Les inventaires de Saint-Servan, op. cit, illustration n°1, p. 62. L’auteur concède d’ailleurs p. 61 que le récit livré par Le Républicain ne diffère « pas sensiblement » de celui livré par Le Salut et L’Ouest-Eclair.

57 C’est d’ailleurs ce que souligne « L’inventaire de l’Eglise », L’Union malouine et dinannaise, 54e année, n°16, p. 2.

58 HERY, Louis, Les inventaires de Saint-Servan, op. cit, p. 62.

59 HERY, Louis, Les inventaires de Saint-Servan, op. cit, p. 73-74.

60 BAZIN, René, « Tragiques événements à Saint-Servan », Le Nouvelliste de Bretagne, sixième année, n°55, 24 février 1906, p. 2.

61 L’Union malouine et dinannaise, art. cit., p. 2.

62 BAZIN, René, « Tragiques événements à Saint-Servan », art. cit., p. 2. Relevé également in « L’inventaire de l’Eglise », L’Union malouine et dinannaise, art. cit., p. 2.

63 « L’inventaire à Saint-Servan », L’Ouest-Eclair, n°3275, 24 février 1906, p. 3 ; « L’inventaire de l’Eglise », L’Union malouine et dinannaise, art. cit., p. 2.

64 « L’inventaire de l’Eglise », L’Union malouine et dinannaise, art. cit., p. 2 ; HERY, Louis, Les inventaires de Saint-Servan, op. cit, p. 74.

65 Arch. Dép. I&V. : 5 V 326/17, Paroisse de Saint-Servan, inventaire de 1906.

66 « L’inventaire à Saint-Servan », L’Ouest-Eclair, art. cit., p. 3.

67 « L’inventaire de l’Eglise », L’Union malouine et dinannaise, art. cit., p. 2 ; « L’inventaire à Saint-Servan », L’Ouest-Eclair, art. cit., p. 3.

68 « L’inventaire de l’Eglise », L’Union malouine et dinannaise, art. cit., p. 2.

69 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n°38.

70 « L’inventaire de l’Eglise », L’Union malouine et dinannaise, art. cit., p. 2.

71 « L’inventaire à Saint-Servan », L’Ouest-Eclair, art. cit., p. 3.

72 « L’inventaire à Saint-Servan », L’Ouest-Eclair, art. cit., p. 3 ; « L’inventaire de l’Eglise », L’Union malouine et dinannaise, art. cit., p. 2.

73 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièces n° 2 et 23 ; « L’inventaire à Saint-Servan », L’Ouest-Eclair, art. cit., p. 3.

74 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n°2.

75 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n°44.

76 « L’inventaire à Saint-Servan », L’Ouest-Eclair, art. cit., p. 3 ; « L’inventaire de l’Eglise », L’Union malouine et dinannaise, art. cit., p. 2 ; Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièces n°2, 23 et 39.

77 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n°23.

78 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièces n°20 et 21.

79 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n°17. Cette version donnée par le général Davignon corrobore celle de la presse et du commandant Héry.

80 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièces n°3, 18, 21, 24 , 40 et 45.

81 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n°3.

82 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièces n°4, 19, 22, 41 et 46.

83 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n°25.

84 Ibid.

85 Arch. Dép. I&V. : 1 V 1521 et 5 V 326/17, Direction générale des domaines, Inventaire des biens dépendants de la mense curiale de l’église de Saint-Servan. Conformément aux dispositions de la loi du 9 décembre 1905, une copie de cet inventaire est transmise au curé de Saint-Servan le 31 mars 1906.

86 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièces n°2-4 et 11-13.

87 « L’inventaire de l’Eglise », L’Union malouine et dinannaise, 54e année, n°16, 24-25 février 1906, p. 2-3 ; « A Saint-Servan », Le Salut, 25e année, n°16, p. 2-3.

88 Le Nouvelliste de Bretagne, sixième année, n°54, 23 février 1906, p. 1.

89 BAZIN, René., « Tragiques événements à Saint-Servan », art. cit.

90 « La situation juridique des officiers du 47e », Le Nouvelliste de Bretagne, sixième année, n°59, 28 février 1906, p. 1 : « Au moment où le Conseil de guerre de Rennes va concentrer sur lui l’attention du monde, non plus en flétrissant, pour la seconde fois, un traitre juif, mais en jugeant trois officiers de vieille souche française, coupables de refus de  cambriolage […] »

91 L’Ouest-Eclair, n°3275, 24 février 1906.

92 BENSOUSSAN, David, « L’Ouest-Eclair et la séparation », art. cit., p. 90.

93 « Chambre des Députés », L’Ouest-Eclair, n°3275, 24 février 1906, p. 2.

94 « Les événements de Saint-Servan », Le Temps, n°16 320, 25 février 1906, p. 2.

95 « L’Inventaire dans les Départements », Le Figaro, 52e année, n°55, 24 février 1906, p. 3.

96 « Officiers rebelles », L’Humanité, n°679, 25 février 1906, p. 2 ; « Les trois officiers », La Croix, n°7025, 25-26 février 1906, p. 1.

97 Dans la mesure où aucune archive ne mentionne le nombre d’opérateurs présents ce jour, il est difficile d’en avoir une idée exacte. Néanmoins, lorsqu’on regarde le nombre de clichés disponibles, il semble que le pluriel soit de rigueur.

98 Arch. Dép. I&V. : 5 V 326/17, Paroisse de Saint-Servan, inventaire de 1906.

99 MEYER-PAYOU, Mathilde, « La Belgique en cartes postales dans les archives militaires françaises », in ROCHET, Bénédicte et TIXHON, Axel (Dir.), La petite Belgique dans la Grande Guerre. Une icône, des images, Namur, Presses Universitaires de Namur, 2012, p. 152-153.

100 Arch. Dép. I&V. : 5 V 326/17, Paroisse de Saint-Servan, inventaire de 1906. Il est à noter que YVON, Pierre-Jean, Le Grand Saint-Malo, Vie anecdotique illustrée de cartes postales anciennes, T.1 : Saint-Servan, Saint-Malo, ATIMCO, 1992, p. 57 et DUHART, Jean-Michel, La Rance dans la tourmente des inventaires, la séparation des Eglises et de l’Etat, Joué-les-Tours, Alan Sutton, 2001, p. 55 publient des cartes postales de cet inventaire.

101 THOMAS, Loïc, « Une phalange républicaine dans l’arrondissement de Saint-Malo : les Bleus de Bretagne (1902-1914), Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, n°118-4, Décembre 2011, p. 101.

102 VIE, Charles, « Assez », Le Républicain, 26e année, n°232, 2-3 mars 1906, p. 1.

103 « Pas de déplacement », Le Républicain, 26e année, n°232, 2-3 mars 1906, p. 2.

104 « Grève d’officiers », L’Aurore, n°3050, 24 février 1906, p. 1.

105 « Officiers rebelles », L’Humanité, n°679, 25 février 1906, p. 2.

106 JEAN, Marc, Les dix frères Ruellan héros et martyrs, 1914-1918, Saint-Malo, Editions Cristel, 2011, p. 46.

107 FORESTIER, Yann, « Les ravages du combisme dans le Trégor ? », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, Tome 104, n°4, 1997, p. 51-71.

108 « Les événements de Saint-Servan », Le Temps, n°16 320, 25 février 1906, p. 2.

109 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièces n° 2-4 et 14-16. Curieusement, un communiqué du Ministère de la guerre adressé le 23 février au soir à l’agence de presse Havas indique que « le général commandant le 10e corps d’armée a infligé au commandant Héry et aux capitaines Cléret de Langavant et Spiral les arrêts de forteresse [et] a prescrit d’établir contre eux une plainte en Conseil de guerre ».

110 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663.

111 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièces n°5-10.

112 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièces n°5, 7 et 9.

113 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièces n°6, 8 et 10.

114 LE BIHAN, Jean, Au service de l’Etat, les fonctionnaires intermédiaires au XIXe siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 253.

115 BRENNAN, Patrick H., « Des bons hommes pour une dure tâche : les commandants des bataillons d’infanterie du corps expéditionnaire canadien », Le Journal de l’Armée du Canada, vol 9.1, printemps 2006, p. 19.

116 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n° 5.

117 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n°5.

118 HERY, Louis, Les inventaires de Saint-Servan, op. cit., p. 15. On lira d’ailleurs avec intérêt l’argumentaire de l’auteur concernant « l’honneur » du 116e RI, p. 271-273.

119 La famille Cléret est originaire de Barfleur, en Normandie mais s’installe en Ille-et-Vilaine à la fin du XVIIIe siècle. Le nom Cléret de Langavant résulte d’un mariage dans la première moitié du XIXe siècle entre Raphaël Hyacinthe Cléret et Angèle Crosnier de Langavant, issue d’une famille malouine établie aux Antilles. Les Cléret de Langavant comptent plusieurs militaires parmi lesquels un général de  division pendant la guerre de 1870. FROTIER DE LA MESSELIERE, Henri, Recueil des filiations directes des représentants actuels des familles nobles de bourgeoisie armoriée ou le plus fréquemment alliées à la noblesse d’origine bretonne ou résidant actuellement en Bretagne depuis leur plus ancien auteur vivant en 1650, Saint-Brieuc, Imprimerie – librairie René Prud’homme, 1912.,tome I, p. 647-648.

120 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n°5.

121 MAYEUR, Jean-Marie, « Religion et politique : géographie de la résistance aux inventaires (février-mars 1906) », Annales, Economies, Sociétés, Civilisations, 21e année, n°6, 1966, p. 1259-1272.

122 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièces n° 58-60. Ce choix ne semble toutefois pas immédiat puisque le procès-verbal de première comparution, le 2 mars 1906, de Louis Héry indique que celui-ci « décide de prendre pour conseil Me Cauchy, avocat à la cour d’appel de Paris ». Or, le lendemain, Me Jenouvrier déclare devant le Conseil de guerre avoir été choisi par les trois accusés pour assurer leur défense alors que deux jours plus tard, le 5 mars, le capitaine Cléret de Langavant écrit ne pas prendre d’avocat « pour se défendre devant le Conseil de guerre ». Par ailleurs, plusieurs documents laissent entendre que Me Jenouvrier est assisté de Me Crimotel et Pérard, avocats inscrits au barreau de Paris.

123 JOLLY, Jean, Dictionnaire des parlementaires français ; notices biographiques sur les ministres, députés et sénateurs français de 1889 à 1940, Paris, Presses Universitaires de France, 1960-1977, en ligne.

124 « Le président Jenouvrier », L’Ouest-Eclair, n°13146, 3 novembre 1932, p. 6.

125 DURAND, René, « L. Jenouvrier, Un collège français et chrétien, Saint-Vincent-de-Paul de Rennes (1842-1923) » (Compte rendu), Annales de Bretagne, Année 1925, Volume 37, n°1, p. 183, en ligne ; « Historique de l’association des anciens de Saint-Vincent Providence La Palestine », document consultable en ligne.

126 Arch. Nat : LH/674/60 ; « Prise de commandement », L’Ouest-Eclair, n°1177, 5 novembre 1902, p.3. Atteint par la limite d’âge, Henry Davignon est relevé du commandement de la 12e région militaire en juin 1916 et décède quelques mois plus tard, le 25 février 1917, à son domicile parisien.

127 « Le général Davignon », L’Ouest-Eclair, n°1041, 22 juin 1902, p. 3.

128 Biographie de Camille Krantz extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940 disponible en ligne ; LEVY-LAMBERT, Hubert, « Les polytechniciens dans l’affaire dreyfus », Bulletin de la SABIX, n°42, 2008, p. 64-74, en ligne.

129 Sur cette question, TRONCHET, Guillaume, art. cit, en ligne.

130 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièces n° 44-46.

131 Ouvrage collectif, Les Préfets en France (1800-1940), Genève, Librairie Droz, 1978, p. 63.

132 THOMAS, Loïc, « Une phalange républicaine dans l’arrondissement de Saint-Malo … », art. cit., p. 95 parle à cette occasion d’un véritable « manifeste ».

133 GESLIN, Claude, « L’administration et les syndicats ouvriers en Bretagne avant 1914 », in VIGIER, Philippe (Dir.), Maintien de l’ordre et polices en France et en Europe au XIXe siècle, Paris, Créaphis, 1987, p. 367-372.

134 Un sondage effectué sur les 83 affaires jugées par le Conseil de guerre de la 10e région militaire entre le 5 janvier et le 19 juin 1906 fait apparaitre un délai moyen de procédure de 5,6 mois. Une fois retranchées les procédures liées aux affaires de désertion et d’insoumission – aux délais d’instruction sensiblement plus longs puisque dans certains cas les délits peuvent dater de plusieurs années – la moyenne est de deux mois. Sur ces 83 dossiers, 6 affaires concernent un refus d’obéissance. Le délai moyen d’instruction est de deux mois. Sur la période, seul un cas d’ivresse publique manifeste est jugé plus rapidement que l’affaire des trois officiers du 47e RI. Arch. Dép. I&V. : 11 R 341, jugements 5633-5715.

135 ROYNETTE, Odile, « Les conseils de guerre en temps de paix entre réforme et suppression (1898-1928) », Vingtième Siècle, Revue d’histoire, n°73, 2002/1, p. 52-53, en ligne.

136 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n° 1.

137 Arch. Dep. I&V : 2 R 201, rapport du sous-préfet de Saint-Malo au préfet d’Ille-et-Vilaine daté du 2 août 1904. 

138 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n° 1.

139 Sur cette question ROYNETTE, Odile, « Les conseils de guerre en temps de paix … », art. cit., p. 51-66, en ligne.

140 Ce qui suscite le commentaire suivant du commandant Héry dans ses mémoires : « On peut se demander à quel titre cet officier de l’armée coloniale,  par hasard stagiaire au 10e corps, a été appelé à nous juger ». HERY, Louis, Les inventaires de Saint-Servan, op. cit., p. 197. 

141 Arch. Dép. I&V. : 11 R 314, jugement n°5670.

142 HERY, Louis, Les inventaires de Saint-Servan, op. cit., p. 202-210. 

143 Sur ce point on se réfèrera plus principalement à KERJEAN, Daniel, Rennes : les francs-maçons du Grand Orient de France, 1748-1998 : 250 ans dans la ville, Rennes, Presses Universitaires des Rennes, 2005, Annuaire Troisième République 1872-1940, p. 345-357.

144 Arch. Nat. : LH/411/38.

145 « L’entrée du général Borgnis-Desbordes », L’Ouest-Eclair, n°3138, 13 octobre 1905, p. 3.

146 Arch. Nat. : LH/1574/39.

147 Arch. Nat. : LH/1574/51.

148 Arch. Nat. : LH/1775/27 et 1089/11.

149 Annuaire de l’Armée française pour 1903, Paris, Berger-Levrault et Cie, 1903, p. 136 ; Héry, Louis, Les inventaires de Saint-Servan, op. cit., p. 197. 

150 « Les Manœuvres », L’Ouest-Eclair, n°3087, 22 août 1905, p. 1.

151 Arch. Dép. I&V. : 11 R 314, jugement n°5670.

152 Arch. Dép. I&V. : 11 R 314, jugement n°5670.

153 ROYNETTE, Odile, « Les conseils de guerre en temps de paix … », art. cit., p. 52, en ligne.

154 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n° 17.

155 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n° 17.

156 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n° 17.

157 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n° 18 et 19.

158 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n° 20-22.

159 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n° 23-25.

160 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n° 26-31. Si le commandant Héry et le capitaine Spiral refusent de répondre sans la présence de leur avocat, le capitaine Cléret de Langavant déclare lui lors de cette première comparution reconnaître « avoir refusé à une réquisition civile ».

161 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièces n° 17-25.

162 HERY, Louis, Les inventaires de Saint-Servan, op. cit, p. 179.

163 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièces n°39-41.

164 ROYNETTE, Odile, « Les conseils de guerre …, art . cit., p. 52-53, en ligne.

165 Circulaire du Ministère de l’Intérieur aux Préfet, 5 mars 1906, n°20 098, cité in TRONCHET, Guillaume, art. cit., p. 5, en ligne.

166 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n°40.

167 Ibid.

168 HERY, Louis, Les inventaires de Saint-Servan, op. cit., p. 17. 

169 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n°39.

170 Ibid

171 HERY, Louis, Les inventaires de Saint-Servan, op. cit., p. 218-219. 

172 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n°40.

173 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n°41.

174 Arch. Dép. I&V. : 1 V 1521, protestation de F. Desrée lue le 23 février 1906.

175 Il est à noter que les archives de la paroisse de Saint-Servan ne conservent que deux arrêtés préfectoraux relatifs à cet inventaire, l’un adressé au curé de Saint-Servan, l’autre au président du bureau des Marguillers, ce qui laisserait supposer qu’effectivement le président du conseil de fabrique n’a pas reçu ce document. De même, les archives de cet inventaire ne contiennent que deux procès-verbaux de notification en date, l’un adressé au président du bureau des marguillers, l’autre au curé de l’église paroissiale de Saint-Servan. Arch. Dép. I&V. : 5 V 326/17 et 1 V 1521.

176 Arch. Dép. I&V. : 5 Z 45, Intérieur à Préfets, circulaire confidentielle.

177 Ibid.

178 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n° 17.

179 Instruction du 20 août 1907 relative à la participation de l’armée au maintien de l’ordre public, article 7, in Ministère de la guerre, Décret du 7 octobre 1909 portant règlement sur le service de la place, Paris, Imprimerie librairie militaire universelle L. fournier, 1915, p. 146.

180 Ibid, p. 5.

181 Saumur, J., Troubles et émeutes, recueil des documents officiels indiquant les mesures à prendre par les autorités civiles et par les autorités militaires, Paris, Henri Charles-Lavauzelle, 1899, p. 52.

182 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n°38.

183 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n°50.

184 Arch. Dép. I&V. : 11 R 663, pièce n°51.

185 Arch. Dép. I&V. : 11 R 341, jugement n°5670 et 11 R 663, pièce n°52bis.

186 « Les incidents de Saint-Servan », L’Ouest-Eclair, n°3299, 20 mars 1906, p. 2-3.

187 Ibid., p. 2-3 ; « Les officiers de Saint-Servan », La Croix, n°704, 20 mars 1906, p. 2.

188 Arch. Dép. I&V. : 11 R 341, jugement n°5670.

189 « Les incidents de Saint-Servan », L’Ouest-Eclair, n°3299, 20 mars 1906, p. 3.

190 « Les incidents de Saint-Servan », L’Ouest-Eclair, n°3299, 20 mars 1906, p. 3.

191 « Les officiers de Saint-Servan », La Croix, n°704, 20 mars 1906, p. 1.

192 « Les officiers de Saint-Servan », Le Nouvelliste de Bretagne, sixième année, n°79, 20 mars 1906, p. 1-2.

193 HERY, Louis, Les inventaires de Saint-Servan, op. cit., p. 244. 

194 «  Au Conseil de guerre », L’Union malouine et dinannaise, 54e année, n°23, 21-22 mars 1906, p. 2-3.

195 La ponctuation est celle employée par François Bazin.

196 Bazin, François, « Au Conseil de guerre », Le Salut, 54e année, n°23, 21-22 mars 1096, p. 3.

197 SURCOUF, Robert, « Les officiers de Saint-Servan », Le Figaro, 52e année, n°79, 20 mars 1906, p. 3.

198 « Les incidents de Saint-Servan », Le Petit Journal, n°15789, 20 mars 1906, p. 3.

199 « Un Conseil de guerre », L’Aurore, n°3074, 20 mars 1906, p. 1.

200 « Les officiers de Saint-Servan », Le Temps, n°16343, 20 mars 1906, p. 1-2. 

201 VIE, Charles, « Nouvelle chouannerie », Le Républicain, 26e année, n°237, 20-21 mars 1906, p. 1.

202 L’Humanité, n°702, 20 mars 1906.

203 « Les officiers de Saint-Servan », Le Républicain, 26e année, n°237, 20-21 mars 1906, p. 2.

204 « Graves incidents à Saint-Servan, trois officiers refusent d’obéir », Le Matin, n°8035, 24 février 1906, p. 1 ; « Les officiers de Saint-Servan condamnés et lis en liberté », Le Matin, n°8059, 20 mars 1906, p. 1.

205 « L’inventaire des biens d’église », Le Temps, n°16330, 7 mars 1906, p. 3, évoque un groupe d’officiers de Tours, d’Angers et de Poitiers qui envoient « une lettre de félicitations aux trois officiers du 47e d’infanterie actuellement en prévention de Conseil de guerre ».

206 HERY, Louis, Les inventaires de Saint-Servan, op. cit., p. 245 ; « Les officiers de Saint-Servan », Le Nouvelliste de Bretagne, sixième année, n°80, 21 mars 1906, p. 1.

207 Arch. Nat. : LH/19800035/8/932.

208 BAZIN, François, « Au Conseil de guerre », Le Salut, 54e année, n°23, 21-22 mars 1096, p. 3.

209 Le commandant Héry devient ainsi délégué pour la Bretagne de la Ligue française antimaçonnique de Driant. BONIFACE, Xavier, L’Armée, l’Eglise et la République (1879-1914), …, op. cit., p. 422.

210 Pour DEFAUD, Vincent, « Les républicains radicaux et la loi de séparation en Ille-et-Vilaine », in THEURET, Johan (Dir.), Un siècle de laïcité en Bretagne …, op. cit., p. 59 la réélection de Surcouf s’explique par le fait « que les électeurs de cette circonscription soutiennent les choix politiques de leur député ».

211 THOMAS, Loïc, « Une phalange républicaine dans l’arrondissement de Saint-Malo… », art. cit., p. 96-97, en ligne.

212 COCHET, François, « Les débuts de la Grande Guerre en France : dictature imposée du militaire ou retrait du politique », Revue historique des armées, n°248, 2007, p. 60-70, en ligne. L’auteur cite notamment un passage des cahiers d’Abel Ferry où le neveu de Jules qualifie Joffre de « demi-dictateur ».

213 PETITFRERE, Claude, « Angers, 1906 : la presse et les inventaires », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, Tome 86, n°1, 1979, p. 59-82, en ligne.

214 Arch. Dép. I&V. : 5 Z 45, Le Préfet du département d’Ille-et-Vilaine au sous-préfet de Saint-Malo, 22 avril 1907.

215 Notons toutefois si le principe des aumôneries militaires au front est acquis dès 1880, ceci apparaît par bien des égards comme une concession à une époque où l’idée de guerre parait lointaine. Boniface, Xavier, L’Armée, l’Eglise et la République …, op. cit., p. 43 et suivantes.

216 GUYVARC'H, Didier, « La foi et la guerre : 1914-1918. Union sacrée ou revanche sur la Séparation pour les catholiques bretons ? », in BALCOU, Jean, PROVOST, Georges et TRANVOUEZ, Yvon (Dir.), Les Bretons et la Séparation, 1795-2005, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006, p. 289-299.

217 BAVCC/ Mémoire des hommes.

218 FROTIER DE LA MESSELIERE, Henri, Recueil des filiations…, op. cit., Tome V-II, p. 573.

219 Arch. Dép. Morbihan : 71 J 1. La citation est la suivante : « S’est mis, le 29 septembre 1914, à la tête de ses troupes pour prendre d’assaut un pont occupé par l’ennemi en disant : Il n’y a pas de Prussiens qui tiennent, il faut passer. A été tué dans cet acte d’héroïsme ».