La Grande Illusion vue de Bretagne

En 1937, Jean Renoir présente au public La Grande Illusion. Pour de nombreux cinéphiles, le film fait incontestablement partie des chefs d’œuvres de l’histoire du cinéma. Techniquement abouti, l’œuvre repose sur un solide scénario qui, à bien des égards, souhaite se positionner à contre-courant des logiques bellicistes et ségrégationnistes qui dominent l’Europe des années 1930. Aussi clivant puisse-t-il paraître, le film rencontre rapidement le succès en France et en Europe. Un article publié dans les colonnes du quotidien Le Nouvelliste du Morbihan le 24 novembre 1937 tente d’expliquer les clefs de cette réussite1.

Scène de La Grande Illusion imprimée en carte postale. Collection particulière.

Quelques mois plus tôt, Jean Renoir entame le tournage de La Grande Illusion avec la participation de deux des plus célèbres acteurs français de l’époque, le populaire Jean Gabin et l’expérimenté Pierre Fresnay. L’histoire raconte le destin de prisonniers de guerre qui, pendant la Première Guerre mondiale, tentent de s’évader des camps où ils sont détenus. Au fil de leurs aventures, ils rencontrent des Allemands avec qui ils se lient d’amitié, voire d’amour. L’ambition du cinéaste ne fait aucun doute. Alors que les tensions sont de plus en plus palpables en Europe, Jean Renoir tente de briser un certain nombre de clichés qui, selon lui, conduisent inexorablement à l’affrontement des peuples. Comme le précise l’article publié dans Le Nouvelliste du Morbihan, le réalisateur essaye tout simplement d’interpeller le public en le forçant à se demander « pourquoi l’on est des ennemis ».

Le premier stéréotype qu’il tente de briser, selon le quotidien lorientais, est celui de la « différence des classes ». Malgré sa proximité avec le parti communiste français, le réalisateur n’hésite pas à mettre en scène le sacrifice d’un aristocrate (le capitaine de Boëldieu) pour faciliter l’évasion d’un prolétaire (le lieutenant Maréchal) et de ses « copains ». De la même manière, Jean Renoir condamne avec virulence l’antisémitisme à travers le « juif Rosenthal » qui, « malgré la tare qu’on ne cesse d’attacher à son origine », est un personnage « sympathique ».

Mais surtout, Jean Renoir livre un véritable plaidoyer pour la paix en montrant à quel point la guerre est absurde. La relation entre le Français Boëldieu et l’Allemand von Rauffenstein en est le parfait exemple. Alors que les deux hommes se connaissent et s’apprécient, ils sont contraints de s’entretuer pour la simple raison qu’ils ne portent pas le même uniforme. Convaincu par le message véhiculé par le film, l’auteur de la chronique prend ouvertement le parti de Jean Renoir en déclarant que la guerre « ne rapporte rien à personne, parce qu’elle coûte aussi cher au vainqueur qu’au vaincu, parce qu’elle fait naître un tas d’espoirs, ballonnets de baudruche que la réalité crève avec ironie ».

Scène de La Grande Illusion imprimée en carte postale. Collection particulière.

Forcément, une telle conception de la guerre ne plait pas à l’ensemble du public. Berlin et Rome interviennent même auprès de la Mostra de Venise pour ne pas que le célèbre festival lui accorde « le premier de ses grands prix ». Vexé, les membres du jury décident de créer exceptionnellement le prix spécial du « meilleur film artistique mondial 1937 » qu’ils décernent à Jean Renoir. Malgré ce message d’espoir, l’Europe plonge une nouvelle fois dans la guerre deux ans plus tard. Plusieurs centaines de prisonniers de guerre français tenteront alors de s’évader de leurs camps, en réécrivant à leur manière le scénario de La Grande Illusion.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

 

1 « Au select-Palace », Le Nouvelliste du Morbihan, 24 novembre 1937, p. 2.