Le 22 août d’Ernest Renauld

Contrairement à ce que l’on avance trop souvent, la mémoire de la bataille de Charleroi est vive même si aujourd’hui ce nom n’est sans doute pas aussi réputé que celui de Verdun, de la Somme ou encore de la Marne. D’ailleurs, à l’occasion du 21e anniversaire des tragiques combats d’août 1914, L’Ouest-Eclair publie du 21 au 24 août 1935 un intéressant historique dû à la plume d’un certain Ernest Renauld dont on ne sait pas grand-chose puisqu’il n’apparait dans aucune bibliographie sur la question1. Or, détail qui a son importance, cette série qui est essentiellement focalisée sur les 10e et 11e corps d’armée de Rennes et Nantes est publiée dans les éditions de Rennes et Nantes de L’Ouest-Eclair, mais également dans celle Caen.

Carte postale, collection particulière.

L’histoire qui est proposée en ces colonnes est des plus classiques : il s’agit de présenter les mouvements des unités, celles-ci étant non pas vues au ras-du-sol mais en surplomb, à la manière d’un général commandant un Kriegsspiel. Il en résulte une impression particulièrement trompeuse et artificielle où les régiments évoluent d’un seul tenant – alors qu’ils comportent en leurs rangs plusieurs milliers d’individus – sans ressentir la moindre fatigue, alors que l’on sait que les combattants arrivent exténués sur le champ de bataille avant même de recevoir le baptême du feu2. D’ailleurs, il n’est pratiquement jamais question de l’homme du rang dans cette série d’articles mais uniquement de quelques officiers supérieurs et généraux. Seule exception, le sergent Jean-Julien Lemordant du 41e régiment d’infanterie, artiste réputé et véritable gloire rennaise et bretonne qui bénéficie de lignes très hagiographiques empruntées à Charles Le Goffic3.

Esquissée plus haut, la question de l’auteur de cette étude n’est pas sans poser problème. En effet, nous n’avons pas connaissance d’un historien dénommé Ernest Renauld mais, en revanche, cette identité pourrait correspondre à celle d’un essayiste catholique connu pour la virulence de son antiprotestantisme. Or ici, non seulement le texte échappe aux conventions qui fondent, y compris à cette époque, l’écriture de l’histoire – l’emploi de la première personne est à cet égard frappant – mais un certain nombre de détails factuels inédits – et non référencés – ne manquent pas de frapper le lecteur averti. Ainsi, pour ne citer qu’un seul exemple, au soir du 21 août, les Allemands fouilleraient le champ de bataille à l’aide de projecteurs4.

Carte postale. Collection particulière.

Pour autant, il serait sans doute dommage de faire totalement l’impasse sur ce texte en ce qu’il parait traduire, si ce n’est une tendance historiographique, une certaine configuration mémorielle. Ainsi, et de manière surprenante, la controverse, pourtant très vive, opposant les mémorialistes favorables à Joffre et les partisans de Lanrezac n’est pas abordée. En réalité, et cela est particulièrement perceptible dans le dernier volet de la série consacré à la bataille de Maissin, tout ce qui pourrait suggérer une désunion de l’Armée française est gommé, qu’il s’agisse de dissensions entre officiers généraux ou de la désorganisation des unités désarçonnées par la violence du baptême du feu. Faut-il y voir un rapport avec la période particulièrement trouble à laquelle est écrit ce texte ? Il est vrai que ces combats du 22 août 1914 donnent parfois lieu à une interprétation bien particulière

Erwan LE GALL

 

 

 

1 De « 21 août : anniversaire de Charleroi », L’Ouest-Eclair, n°14167, 21 août 1935, p. 5 à « 21 août : anniversaire de Charleroi », L’Ouest-Eclair, n°14170, 24 août 1935, p. 4.

2 Pour de plus amples développements, on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre. Le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo au combat (août 1914 – juillet 1915), Talmont-Saint-Hilaire, éditions CODEX, 2014.

3 « 21 août : anniversaire de Charleroi », L’Ouest-Eclair, n°14168, 22 août 1935, p. 4

4 « 21 août : anniversaire de Charleroi », L’Ouest-Eclair, n°14167, 21 août 1935, p. 5