Une conférence d’Edmond Valarché

L’année 1934 est une année difficile en France. On sait les troubles qui se déroulent le 6 février, évènement dont les répercussions sont nationales et pas uniquement circonscrites aux abords du palais Bourbon. Les effets de la crise économique née du krach de 1929, d’abord compris comme un épiphénomène par un certain nombre d’observateurs avisés, sont de plus en plus importants et, de l’autre coût du Rhin, Hitler est au pouvoir.

C’est dans ce climat lourd, rendu encore plus délétère par les débuts de l’affaire Stavisky, que la France s’apprête à commémorer le 20e anniversaire de l’année 1914, celle du déclenchement de la Première Guerre mondiale et de la bataille de Charleroi. A Rennes, le souvenir n’est pas en reste et en marge de l’assemblée générale de la Société de retraites mutuelles départementale de l’Union nationale des combattants est organisée une conférence avec un vétéran de ces combats d’entre-Sambre-et-Meuse devenu historien, le colonel Valarché.

A Arsimont, monument en mémoire du 10e corps d'armée (sans date). Archives du Comité du souvenir de Le Roux.

Méconnu du grand public, cet officier compte parmi les auteurs qui, avec le commandant Larcher, produisent dans les années 1920-1930 des études de référence sur la bataille de Charleroi et la bataille de Guise1. Leurs travaux sont par bien des égards indépassables dans la mesure où il apparait que les auteurs sollicitent les témoignages de nombreux officiers encore vivants, une source bien entendu disparue aujourd’hui. De plus, militaires de carrière, ils participent bien souvent aux évènements qu’ils étudient. Polytechnicien, Edmond Valarché est ainsi en août 1914 capitaine-adjoint à l’Etat-major de l’artillerie du 10e corps d’armée.

Pour la petite histoire, la carrière de cet officier témoigne tout au long de la Première Guerre mondiale d’une remarquable stabilité puisqu’il est promu commandant d’un groupe du 7e RAC en août 1915 puis commandant de l’artillerie de la 19e division en septembre 1918, soit deux échelons de ce même 10e corps d’armée2. Les liens d’Edmond Valarché avec la Bretagne, et plus particulièrement Rennes, sont d’ailleurs semble-t-il assez forts puisqu’il réside en cette garnison à partir de septembre 1910. Sans doute est-ce d’ailleurs en partie pour cela que L’Ouest-Eclair offre dans ses colonnes une recension détaillée de la conférence donnée le dimanche de 18 mars par l’officier historien puisque non seulement le thème porte sur les combats de la 19e division d’infanterie de Rennes lors de la bataille de Charleroi mais qu’à cette occasion c’est aussi, quelque part, un enfant du pays que reçoit le chef-lieu d’Ille-et-Vilaine.

Cette dimension locale est d’ailleurs très présente dans l’article publié par le quotidien rennais et, en absence de verbatim des propos tenus ce soir-là, c’est bien sur cette recension et uniquement sur cette recension que le propos doit porter. Il en effet hors de doute que, compte tenu de la rigueur et de la qualité des travaux d’E. Valarché que nous avons pu lire, le compte-rendu d’Eugène Le Breton diffère des propos de l’officier historien3. Pour le journaliste, collaborateur régulier de L’Ouest-Eclair que l’on retrouve souvent à propos des questions militaires, c’est uniquement la supériorité numérique allemande qui explique l’issue de la bataille de Charleroi.

Carte postale. Archives du Comité du souvenir de Le Roux.

Après un résumé classique des mouvements de troupe de la 19e division lors de ces combats d’Arsimont, Eugène Le Breton en arrive même à inverser le sort de la bataille en avançant qu’au soir de Charleroi le général Von Bülow se croyait battu. Au demeurant, de telles impressions ne sont pas rares et on sait à propos de Guise qu’il faut un certain temps aux protagonistes pour qu’ils parviennent à comprendre qui l’a emporté. Or pour L’Ouest-Eclair, il ne semble pas absurde de se demander « si Bülow était battu, c’est donc que son adversaire, le général Lanrezac, était victorieux ? ». Ce à quoi le quotidien rennais répond en affirmant reprendre des propos d’Edmond Valarché que « Charleroi fut une défaite française, mais une défaite stratégique [due uniquement à la supériorité numérique allemande et aux risques d’enveloppements sur les ailes] et non une défaite tactique de régiments ».

Un siècle après les faits, un tel propos ne peut que faire sourire. En se replongeant dans les archives on mesure vite que l’Armée française 1914 n’est en réalité pas bien préparée à la réalité du feu telle qu’elle se déclenche lors de ces premiers jours de guerre et que les troupes, notamment, sont complètement désarçonnées par le vide du champ de bataille. C’est notamment ce que démontre l’exemple du 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo, unité qui semble représentative de la situation globale à l’échelle du 10e corps et de l’Armée française en général4.

Pour autant, comment expliquer un tel article ? S’il est difficile d’être complètement catégorique, il semble opportun de revenir sur la dynamique de commémoration de ce 20e anniversaire de l’année 1914 et sur le contexte particulier de l’année 1934. Dans ce cadre, le recours au souvenir – on ne parle pas encore de mémoire – est un excellent vecteur de la fierté nationale, la France comptant après tout parmi les vainqueurs de la Grande Guerre. C’est d’ailleurs ce qui probablement justifie la dernière phrase, définitive, de l’article d’Eugène Le Breton que publie L’Ouest-Eclair : « le soldat français est resté à Charleroi ce qu’il a toujours été au cours de l’Histoire : le premier soldat du monde ». La commémoration comme élément de méthode Coué...

Erwan LE GALL

 

1 VALARCHE, Edmond, Le combat d’Arsimont. Les 21 et 22 août 1914 à la 19e division d’infanterie, Paris, Berger-Levrault, 1926 et La bataille de Guise les 28, 29 et 30 août 1914 au 10e corps d’armée, Paris, Berger- Levrault, 1929 ; LARCHER, Commandant, « Le 10e corps à Charleroi (20 au 24 août 1914», Revue militaire française, mars 1931.

2 Arch. Nat. : LH 19800035/1405/62328.

3 LE BRETON, Eugène, « La bataille de Charleroi et le combat d’Arsimont, L’Ouest-Eclair, n°13648, 20 mars 1934, p. 5.

4 LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre, le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo au combat (août 1914 – juillet 1915), Talmont-Saint-Hilaire, éditions CODEX, 2014.