Gino Bartali: un champion parmi les Justes ?

Le 16 juillet est aujourd'hui la date qui symbolise la déportation des Juifs de France. En effet, le 16 juillet 1942 marque le début de l’opération Vent printanier. Un mois après avoir rendu obligatoire le port de l'étoile jaune (ordonnance du 29 mai 1942), les autorités françaises en partenariat avec l’occupant arrêtent des milliers de Juifs à travers la zone occupée. Outre les camps du Loiret de Beaune-la-Rolande, Pithiviers et Jargeau, le théâtre le plus célèbre de ce sinistre parcage humain est certainement à Paris le Vélodrome d'Hiver, haut-lieu du cyclisme sur piste.

Des années après le drame, lors du retentissant procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem, Hannah Arendt évoquera l’affreuse banalité du mal pour mettre en perspective l’attitude complaisante et docile des fonctionnaires dans la Destruction des juifs d’Europe. Plus tard encore, commémorant cette même Rafle du Vel d’Hiv en 1995, le Président de la République, Jacques Chirac rappellera avec force que

« La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. »1

Rompant avec la tradition Gaulliste pour qui « Vichy ce n’est pas la France », Jacques Chirac place le discours politique en conformité avec l’historiographie et rappelle que la Patrie conserve à l’égard des victimes « une dette imprescriptible »2. Mais on oublie souvent que ce discours, que l’on doit par ailleurs à la plume Christine Albanel, future ministre de la culture, est aussi un vibrant hommage aux Justes, ce qui, paradoxalement, nous renvoie au cyclisme.

En effet, il est un fait que malgré l’occupation, tout d’abord en zone nord puis à partir de novembre 1942 sur l’ensemble du territoire, et la collaboration, 75% des Juifs de France ont survécu au génocide. Cette donnée, qu’il convient de ne pas oublier, a d’ailleurs fait l’objet il y a peu d’un captivant débat, diffusé dans La Fabrique de l’histoire, entre Jacques Sémelin, auteur d’une monumentale somme intitulée Persécutions et entraides dans la France occupée, et Robert O. Paxton, l’homme qui révolutionna l’histoire de Vichy. L’un des points de désaccords entre les deux historiens porte notamment sur la validité, ou non, d’une comparaison du cas Français avec la situation italienne. Or l’un des plus grands champions de l’histoire de ce pays, Gino Bartali est précisément sur le point de devenir l’un de ces Justes parmi les Nations.

Gino Bartali est, avant le déclenchement de la guerre en 1939, le coureur cycliste le plus célèbre du peloton. En 1938, à seulement 24 ans, il confirme son potentiel en remportant haut la main le Tour de France. Il devient dès lors – et ce bien malgré lui – le champion de l'Italie fasciste. Malheureusement, les rivalités franco-italiennes conduisent son pays à ne pas se présenter en 1939 et G. Bartali est dans l'impossibilité de défendre son titre. Il doit attendre 1948 pour inscrire à 34 ans une deuxième fois son nom au palmarès de la « Grande Boucle ». Le poids de l'âge l'empêche ensuite de donner la consistance au palmarès qu'il aurait mérité avoir. Son « jeune » rival Fausto Coppi domine désormais la discipline. En 2000, le coureur s'éteint, laissant le souvenir d'un champion exceptionnel.

Pourtant, en janvier 2012, une facette inconnue de la vie de Bartali est révélée. A partir de 1943, Gino « le Pieux » œuvre pour un réseau clandestin proche du Vatican. Sa mission : transporter des papiers afin de permettre l'exil de Juifs vers la Suisse ou les Etats-Unis. Prétextant des entrainements de près de 400 kilomètres (!), il apporte au couvent de San Quirico, des documents cachés préalablement dans la selle, le guidon et les tubes du cadre de son vélo. Gino Bartali est en effet l'homme de la situation et faite preuve de ce que les historiens appellent une grande disponibilité fonctionnelle, ou aptitude à la Résistance. En effet, sa popularité lui permet de franchir les contrôles sans être inquiété, ce qui en cette période est un avantage considérable.

Au total, il aurait effectué une quarantaine de voyages et contribué à sauver 800 juifs. Son fils Andréa œuvre actuellement pour que le champion soit proclamé Juste parmi les nations par le Mémorial Yad Vashem en Israël. En Envor vous tiendra informé de la suite de cette procédure très longue qui nécessite la constitution rigoureuse d’un vaste dossier.

Yves-Marie EVANNO & Erwan LE GALL

1 Allocution de M. Jacques CHIRAC Président de la République prononcée lors des cérémonies commémorant la grande rafle des 16 et 17 juillet 1942 (Paris).

2 Ibid.