Un couple de protestants de Trémel reconnu « Juste parmi les nations »

Le 2 juillet 2017, Guillaume et Marie-Yvonne Le Quéré, un couple de protestants de Trémel, est reconnu officiellement « Juste parmi les nations » par le mémorial Yad Vashem à Jérusalem, pour avoir sauvé en 1943 une famille juive de Morlaix. Si la Bretagne n’est, historiquement, pas un intense foyer de judéité, cette distinction est remarquable à plus d’un titre1. Tout d’abord, il y a ce geste, magnifique, dont la portée universelle n’a pas besoin d’être développée. Mais il y a aussi, détail qui intéresse au premier chef l’historien, la manière dont cette histoire a pu être portée à la connaissance de la prestigieuse institution israélienne. Il y a enfin un  épisode méconnu de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale qui vient nuancer les représentations d’une Bretagne trop rapidement assimilée à une terre unanimement catholique.

Guillaume Le Quéré, Juste parmi les Nations. Collection particulière.

La reconnaissance officielle de cet acte de bravoure n’a en effet été rendu possible que par la découverte récente, en Grande-Bretagne, du livre des visiteurs de la mission de Trémel, dans lequel, à la date du 10 octobre 1944, la famille Levy exprime sa :

« profonde reconnaissance à la direction de la noble mission évangélique où nous avons passé une année pendant l’occupation et la barbarie allemande. Nous serions tous morts sans leur hospitalité aux risques et périls de leur vie. »2

Un an plus tôt, le 21 octobre 1943, les Allemands viennent arrêter la famille Levy qui habite depuis 18 ans au n°95 de la rue Gambetta à Morlaix. Une famille qui a échappé de peu, quelques mois auparavant, au bombardement du viaduc de la ville. Le jour de l’arrestation, la maison est presque vide de ses habitants. Seule Esther, une jeune tante née en 1911, est arrêtée, internée à Drancy avant d’être déportée à Auschwitz par le convoi n°66. Elle y meurt dans les chambres à gaz, dès son arrivée.

Pour échapper à ce funeste destin, le reste de la famille est contraint à l’exil. Après avoir été hébergés quelques jours dans des fermes des environs, les Levy sont recueillis par une communauté protestante établie à Trémel, une petite commune rurale des Côtes-du-Nord située à la limite du Finistère. Là, Guillaume Le Queré – dit « Tonton Tom », un colporteur-évangéliste né en 1873 – cache la famille Levy – devenue Leroy à la faveur de faux papiers d’identité – dans une dépendance du temple de la communauté protestante situé au hameau d’Uzel. La famille rescapée s’investit, au fil des mois, dans le quotidien de la mission évangélique : auprès des vaches, en cuisine, à l’orphelinat… Les conditions sont difficiles pour tout le monde mais l’entraide est le maître mot. A l’été 1944, la mission évangélique vit dans l’angoisse d’une dénonciation. Les combats de la Libération, et la répression nazie qui les accompagnent font rage à Trémel, qui accueille sur son sol de nombreux résistants FTP. Les hôtes secrets de la mission doivent se faire encore plus discrets, mais ne sont jamais découverts. Au mois d’octobre, ils peuvent enfin quitter Trémel pour retourner à Morlaix où ils reprennent leur commerce de tissu.

Il y a bien entendu là un magnifique acte de solidarité en temps de guerre. Mais cette histoire met aussi en lumière une communauté religieuse originale en Bretagne, région pourtant décrite comme entièrement et immuablement catholique. Le protestantisme du couple Le Quéré n’est pas celui des Bretons réformés du XVIe siècle, qui touche quelques centaines de familles nobles, dont les puissants Rohan. Cette « première génération » protestante bretonne disparaît dans les grandes largeurs au cours du siècle suivant, la révocation de l’édit de Nantes en 1685 faisant ici figure une sorte de coup de grâce.

Carte potale. Collection particulière.

C’est au XIXe siècle que la Bretagne devient une terre d’évangélisation pour pasteurs missionnaires venus d’Outre-manche. C’est ainsi par exemple que le pasteur baptiste gallois John Jenkins fonde la Mission évangélique à Trémel dans les années 1860, grâce notamment à l’appui de l’écrivain Guillaume Ricou. Le petit-fils de ce dernier, Guillaume Le Coat devient l’un des premiers pasteurs de la nouvelle communauté. Guillaume Le Quéré est quant à lui un neveu de ce pasteur, qui prêche la Bonne parole en vendant des bibles en breton à travers tout le Trégor. L’usage de la langue bretonne – qui passe notamment par la traduction de la Bible – est dès le départ une volonté de la communauté tréméloise. Il s’agit de pouvoir toucher l’ensemble de la population locale encore quasiment bretonnante. Au lieu-dit d’Uzel, la communauté s’agrandit dans les dernières décennies du XIXe siècle : orphelinat, école, hospice viennent compléter la petite chapelle initiale. Elle est active durant un siècle, jusqu’à la fermeture du foyer et de l’église en 1974.3

Thomas PERRONO

 

 

 

1 Sur les Juifs en Bretagne se rapporter à TOCZE, Claude, Les Juifs en Bretagne Ve-XVe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006.

2 L’historien du protestantisme en Bretagne Jean-Yves Carluer revient en détails sur cette histoire sur son blog Protestants bretons.

3 Un mémoire de maîtrise existe sur cette communauté protestante de Trémel. Nous le signalons, sans avoir pu le consulter : FICHAU, Jean-Gabriel, Trémel, centre du protestantisme en Bretagne au 19e siècle, mémoire de maîtrise, dact., université Rennes 2, 1970.