Le bombardement de Morlaix (29 janvier 1943)

Quand on pense aux bombardements de la Seconde Guerre mondiale en Bretagne, on songe d’abord à Brest, Saint-Nazaire, Lorient, et Saint-Malo, quasiment rasées pendant le conflit. Mais bien d’autres villes ont à souffrir des ravages causés par les bombardiers alliés, à l’instar de Nantes et Bruz, dans les environs de Rennes, ou de Morlaix.

Dans la sous-préfecture finistérienne, c’est bien évidement le viaduc, véritable emblème de la ville, qui est l’objectif stratégique principal. C’est d’ailleurs lui la cible des six Boston de la Royal Air Force qui, le 29 janvier 1943, larguent 48 bombes pour le détruire. Mais, malheureusement, rien ne se passe comme prévu. Sans doute sous l’effet de la DCA allemande, seules deux bombes atteignent l’ouvrage d’art, et les autres projectiles s’abattent sur la ville. Le bilan est terrible : 67 morts et des dizaines de blessés ainsi qu’un appareil anglais qui, touché, s’abîme en mer.

Carte postale. Collection particulière.

L’opération se révèle d’emblée être un fiasco. Outres les pertes très lourdes, nous y reviendrons plus longuement, les résultats s’avèrent dérisoires : le trafic ferroviaire sur le viaduc n’est interrompu que pendant quelques jours et, trois mois après le bombardement, l’arche endommagée est entièrement réparée. Mais, plus encore, ce qui ne manque pas d’interroger, c’est l’extrême difficulté de ce raid, la cible étant située en pleine ville. Par conséquent et pour utiliser un néologisme dont le succès n’est malheureusement plus à démontrer, les risques de dommages collatéraux étaient très importants.

Sans surprise donc, l’opération se révèle très meurtrière. Mais du point de vue du symbole, elle encore plus catastrophique pour les Alliés. En effet, parmi les victimes se trouvent notamment 39 enfants de l’école Notre-Dame de Lourdes ainsi que leur institutrice, Herveline Laurent, entrée en religion sous le nom de Sœur Saint-Cyr. Tous sont tués dans ce bombardement. Or, suivant un processus mémoriel qui n’est pas sans rappeler le paradigme de l’innocence outragée forgé à propos d’Oradour-sur-Glane par l’historienne Sarah Farmer, ce sont ces morts qui, plus particulièrement, focalisent l’attention. C’est ainsi que dans son édition du 1er février 1943, La Dépêche de Brest proclame que « le bombardement par l’aviation anglo-américaine a fait près de 80 victimes dont 42 enfants ». Vichy sait en effet tirer profit, du point de vue de la propagande, de ces bombardements et insiste sur le destin brisé de ces enfants, victimes par définition innocentes. L’Ouest-Eclair est d’ailleurs, à ce propos, encore plus limpide puisque si « des enfants français [sont] victimes d’un raid terroriste » c’est parce que « les Anglo-Américains [ont bombardé] une école maternelle ». Le glissement sémantique est important et ne doit ici rien au hasard : pour Vichy et ses organes de presse, c’est bien l’école qui était la cible des Bostons, pas le viaduc.

Représentation du bombardement de Morlaix publiée au printemps 1943 dans le mensuel catholique Feiz ha Breiz, organe du Bleun-Brug dirigé par l'Abbé Jean-Marie Perrot.

Or c’est précisément cette dimension qui va durablement marquer la mémoire de ce bombardement, largement circonscrite à ces seules 40 victimes, souvenir essentiellement catholique – l’attaque a de surcroît lieu pendant un cours de catéchisme – et vecteur de critiques assumées contre la stratégie de bombardement employée par les Alliés1.

Erwan LE GALL

 

1 Pour plus de développement sur cette question, nous ne pouvons que renvoyer au superbe article de TRANVOUEZ, Yvon, « La mémoire d’un bombardement britannique : Notre-Dame-des-Anges (Morlaix, 1943-2003) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, n°111-1, 2004, p. 127-154.