1950 : La renaissance malouine

Les récentes commémorations du 70e anniversaire des bombardements de Nantes ont bien montré combien est encore profonde la plaie engendrée par ces dramatiques moments de la Seconde Guerre mondiale. En bien d’autres endroits de Bretagne – on pense notamment à Brest, Saint-Nazaire, Lorient mais aussi à Bruz, petite commune des environs de Rennes terriblement éprouvé – le traumatisme est encore visible, l’architecture portant les stigmates de ces bombardements et de la reconstruction qui suivit.

Saint-Malo compte également parmi ces villes terriblement éprouvées. Le mois d’août 1944 et les combats de la Libération y sont particulièrement dramatiques, tant pour les biens que pour les personnes : le siège dure 10 jours et lorsque les Américains pénètrent dans la ville, celle-ci est détruite à 80% !

Vue de Saint-Malo prise en 1946 par une touriste venue en vacances en Bretagne. Collection particulière.

Si Paramé et Saint-Servan sont touchés, c’est la vieille ville de Saint-Malo qui paye le plus lourd tribu à la Libération : près de 700 édifices sont détruits sur 865. 6 500 personnes se retrouvent sans abri et doivent être relogées. A Intramuros, les travaux de déblaiement durent près de trois ans car c’est pierre par pierre que l’on opère, dans le but de reconstruire. Mais, là encore, la décision ne se fait pas sans maints débats. Certains veulent reconstruire à l’identique, ce qui est très long et très coûteux, tandis que d’autres préfèrent une reconstruction à la manière de Brest ou du Havre, plus géométrique mais plus rapide. Certains encore préfèrent ne rien reconstruire et ériger les ruines en une sorte de mémorial. Il est vrai que la responsabilité américaine dans la destruction de Saint-Malo est une question alors éminemment sensible, ceux-ci ayant considérablement surestimé les effectifs allemands en place et donc utilisé des moyens terriblement disproportionnés pour libérer la ville.

La fin des années 1940 est donc une période très difficile pour les habitants qui doivent supporter, en plus des rigueurs du rationnement, l’inconfort de logements provisoires qui pullulent à Paramé et Saint-Servan. C’est sous le mandat de Guy Lachambre, élu maire en 1947, que la reconstruction débute réellement, les années précédentes ayant été consacrées à l’élaboration des plans et au débat quant à la nature des travaux souhaités.

C’est ainsi qu’en 1950 un reportage des actualités est consacré à la renaissance de Saint-Malo. Les vues aériennes montrant l’état de la ville close sont saisissantes et laissent imaginer d’une part, l’ampleur des destructions, et d’autre part, l’immense tâche qu’est la reconstruction. Le commentaire du film est particulièrement intéressant puisqu’on voit bien la place qui est accordée au tourisme dans la renaissance de Saint-Malo. C’est le retour de la cité corsaire, celle qui est promue par les prospectus touristiques des années 1930 qui vendent une Bretagne pittoresque, typique et exotique.

Dans ces conditions, on comprend aisément le choix d’une reconstruction très fidèle à l'original. Pourtant, il n’en demeure pas moins que cette décision n’est pas sans inconvénients. Le port de Saint-Malo est ainsi reconstruit à l’identique, sur les bases de ce qu’il est avant la Seconde Guerre mondiale. Or en 1939, si 90 voiliers pratiquent la traditionnelle pêche à la morue, ils ne sont plus qu’une quinzaine en 1950. C’est ce qui fait dire à certains qu’en se focalisant trop sur son passé détruit par les bombes, Saint-Malo en a presque hypothéqué son avenir.

Erwan LE GALL