Antoine Courchinoux : mort d'un poilu de 70 ans

Les 18 et 19 septembre 1933, Edouard Daladier et son ministre des Affaires étrangère Joseph Paul-Boncour invitent des homologues étrangers dans le but de poursuivre les discussions sur le désarmement1. Pourtant, la douce idée pacifiste qui germe dans les années 20 semble désormais illusoire, en dépit des efforts de la Conférence mondiale du désarmement. L’Allemagne et l’Italie, tout particulièrement, troublent le fragile équilibre né de la paix bancale de Versailles. Dans une tribune de l'Ouest-Eclair le 20 septembre 1933, Octave Aubert déplore d’ailleurs l'attitude de Mussolini et les « parades belliqueuses de l'hitlérisme »2. C’est dans ce contexte que la presse rend hommage à un héros français de la Grande Guerre : Antoine Courchinoux.

Son nom n'évoque rien au lecteur d'aujourd'hui, ni certainement à celui de 1933. Pourtant, le destin d’Antoine Courchinoux est très intéressant et mérite qu’on s’y attarde quelques instants. L'Ouest-Eclair lui accorde en effet un article particulièrement élogieux le 20 septembre 19333. Il s’agit de la nécrologie d’un homme qui, né en 1845, est engagé volontaire pendant la guerre de 1870 puis pendant la Première Guerre mondiale !

En effet, dégagé de toute obligation militaire en 1914, il s'engage au printemps 1915 pour « venger » la mort de son petit-fils. Intégrant les rangs 292e régiment d'infanterie de Clermont-Ferrand, il rejoint le front près de Soissons.

Bien entendu, on ne peut être que circonspect face à une telle biographie. D’ailleurs, il convient de noter que l’historique du 292e RI ne mentionne pas le nom d’Antoine Courchinoux4. Pas plus que le journal des marches et opérations de l’unité n’évoque la prestigieuse citation reçue le 26 juin 19165 par ce poilu hors extraordinaire :

« Engagé volontaire à 71 ans, sur le front depuis 14 mois, a fait preuve de volonté, d’énergie et de dévouement en accompagnant le régiment partout où les circonstances de la guerre l’ont conduit. »

En 1918, il est même décoré de la Médaille militaire :

« Vieux brave, ancien combattant de 1870, modèle de devoir et de patriotisme, engagé volontaire pour venger la mort d'un des siens, à toujours fait preuve d'énergie et de dévouement, stimulant chacun par son exemple et exerçant la plus heureuse influence sur ses compagnons. Déjà titulaire d'une citation. »

Démobilisé en 1919 à 74 ans, Antoine Courchinoux se retire à Caen où il profite (enfin) d'une retraite bien méritée. En mai 1929, il reçoit la Croix de la Légion d'honneur par le colonel Nicolleau, président du Souvenir Français. Or la base de données Léonore conserve un dossier qui vient confirmer les données avancées par l’article de l’Ouest-Eclair : aussi incroyable que cela puisse paraître, Antoine Couchinoux est un poilu de 70 ans !

L’article publié par L’Ouest-Eclair semble toutefois appeler deux commentaires essentiels. Le premier concerne bien évidemment le contexte dans lequel est publiée cette nécrologie. L’éditorial d’Octave Aubert figurant dans ce même numéro du quotidien breton est à ce titre intéressant puisque, décrivant ce que l’on appelle aujourd’hui la Montée des périls, il utilise des concepts qui, en fait, appartiennent à la Grande Guerre. Cela est notamment le cas de cette « nouvelle Triplice » tant redoutée. L’évocation du décès d’Antoine Courchinoux est à cet égard révélatrice d’une règle fondamentale concernant les usages publics du passé : peu importe leur véracité – le cas d’Antoine Courchinoux mériterait sans doute une étude bien plus approfondie –, ce qui compte c’est leur résonnance dans l’actualité du moment.

En second lieu, la nécrologie d’Antoine Courchinoux interpelle en ce qu’elle semble préfigurer l’émergence, au tournant des années 2000, de la figure des « derniers poilus », bien analysée par N. Offenstadt6.  A la fois révélateur d’une certaine modernité dans le traitement journalistique et symptomatique d’une fuite du temps – car c’est bien la disparition d’une génération, et même d'une époque, qui débute – cet article est donc bien plus complexe qu’il n’y parait de prime abord. En tout cas, il invite à se pencher plus amplement sur la destinée peu commune de ce poilu de 70 ans.

Yves-Marie EVANNO & Erwan LE GALL

 

1 Sont successivement reçus le Sous-secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères du Royaume-Uni Anthony Eden, le diplomate américain Norman Davis, le président de la Commission sur le désarmement Arthur Henderson et l'ambassadeur d'Italie.

2 Ce même 20 septembre, la presse annonce ainsi « les incroyables propositions du Reich » à l'Autriche (Le Figaro, 20 septembre 1933, n°283, 108e année, p.1).

« M. Antoine Courchinoux, le doyen des Poilus de France est décédé », Ouest-Eclair (édition du Morbihan), 20 septembre 1933, n°13467, p. 5.

4 Historique du 292e régiment d’infanterie pendant la Guerre, Tours, Maison Alfred Mame et fils, sd.

5 SHD-DAT : 26 N 741/2, JMO 292e RI, 26 juin 1916.

6 OFFENSTADT, Nicolas, 14-18 aujourd’hui, la Grande Guerre dans la France contemporaine, Paris, Odile Jacob, 2010. p. 133-152.