Un pacte de papier

La une de L’Ouest-Eclair du 28 août 1928 semble appeler des temps nouveaux. D’un côté le quotidien rennais titre sur la mort du maréchal Marie-Emile Fayolle, illustre officier dont les Carnets secrets de la Grande Guerre, aujourd’hui un classique indispensable, seront publiés en 1964 par Henry Contamine1. L’on s’apprête à commémorer les dix ans de l’Armistice et si le poids du conflit est encore considérable, celui-ci s’éloigne peu à peu, inexorablement. D’un autre côté, ce journal républicain annonce la mise hors la loi de la guerre.

Ce que la mémoire collective a retenu sous le nom de pacte Briand-Kellogg, du nom du ministre des affaires étrangères français, le nantais Aristide Briand, et de son homologue américain, Franck Kellogg, se veut être un traité de « renonciation à la guerre ». Signé le 27 août 1928 à Paris, au Quai d’Orsay, entres autres par l’Allemagne, la Belgique, la France, la Grande-Bretagne, le Japon et l’Italie, ce texte proclame dans son article 1 que

« Les Hautes Parties contractantes déclarent solennellement au nom de leurs peuples respectifs qu’elles condamnent le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux, et y renoncent en tant qu’instrument de la politique nationale dans leurs relations mutuelles. »

Cet accord n’a pas la même signification de part et d’autre de l’Atlantique.

Pour Paris, la signature de ce traité est incontestablement un succès à mettre au crédit d’Aristide Briand, figure emblématique de la vie politique nationale nommée plusieurs fois à la présidence du Conseil et à qui est décerné le Prix nobel de la paix en 1926 (conjointement à l’allemand Gustave Streseman). Ce pacte apparait comme la concrétisation d’une longue politique pacifiste et d’une sincère croyance en l’efficacité des institutions internationales telles que la Société des nations.

Mais pour Washington, la réalité est toute autre. Les Etats-Unis sont incontestablement les grands vainqueurs de la Première Guerre mondiale tant leur assise financière est désormais planétaire. De la sorte, nombreux sont les Américains à rejeter l’interventionnisme et à prêcher pour une politique isolationniste. Dans cette optique, c’est bien le dollar, qui apparait comme le principal outil de la politique étrangère américaine2.

Aristide Briand (à gauche) et Franck Kellogg (à droite): les deux hommes à l'origine du pacte visant à déclarer hors la loi la guerre. Wikicomons et Wikicomons.

Pourtant, d’une certaine manière, ces deux attitudes témoignent toutes deux du traumatisme de la Grande Guerre, boucherie sans précédent. Mais si celle-ci est à l’origine d’un puissant mouvement pacifiste en France, les Etats-Unis, sans doute plus pragmatiques, préfèrent se retirer derrière leurs frontières, conscients de la fragilité des accords. Il est vrai qu’avant 1914 chacun s’accordait à faire de la Belgique une puissance neutre au territoire inviolable…

On se rappelle du célèbre Tigre de papier employé en 1956 par Mao pour désigner Tchang Kaï Check et les Etats-Unis. 85 ans après sa signature, le pacte Briand-Kellogg apparaît rétrospectivement comme étant un vulgaire bout de papier, piétiné par la montée des périls. Le rêve de nombreux anciens combattants, dont l’allemand Ernst Johansenn, d’un homme nouveau, débarrassé du fléau de la guerre, était bien une chimère.

Erwan LE GALL

 

1 FAYOLLE, Marie-Emile, Cahiers secrets de la Grande Guerre, Paris, Plon, 1964.

2 MELANDRI, Pierre, Histoire des Etats-Unis, 1865-1996, Paris, Nathan université, 1996, p. 114-116.