Ce que mangent les Rennais en 1935

Les médecins ne cessent de le dire : l’alimentation est un facteur sanitaire essentiel. Une nourriture trop carnée, trop riche, pas assez variée est bien souvent la cause de maladies qui peuvent se révéler parfois très graves. Mais l’autorité que confère la blouse blanche tend à faire oublier que la nutrition est un savoir relatif, qui évolue dans le temps. Certains médecins ne faisaient-ils pas au début du XXe siècle la promotion du vin dans une optique hygiéniste pour – chose qui paraît aujourd’hui aberrante – lutter contre l’alcoolisme ? Publié dans l’édition du 11 février 1936 de L’Ouest-Eclair, un article le rappelle parfaitement en s’intéressant à « ce que Rennes consomme de viande et de denrées de première nécessité en une année »1.

Au début du siècle, les abattoirs rennais. Carte postale. Collection particulière.

Rappelons toutefois en préambule que le chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine compte alors près de 100 000 habitants, puisque le recensement de 1936 aboutit au chiffre de 98 538 Rennais.e.s. De plus, la ville rayonne sur un territoire beaucoup plus vaste que les simples frontières communales, préfiguration d’un phénomène de métropolisation qui contribue certainement à un gonflement des chiffres. Ainsi, la production sortant des abattoirs rennais n’est pas uniquement destinée au marché local. Preuve d’un élevage qui, d’une certaine manière, commence déjà à regarder vers l’extérieur, L’Ouest-Eclair nous apprend que ce sont ainsi 600 000 kilos de viande qui, au cours de l’année 1935, sont expédiés à l’extérieur de Rennes, et notamment vers Paris.

Pour autant, malgré ces réserves, les chiffres évoqués par le quotidien breton demeurent considérables. En 1935, ce sont ainsi près de 30 000 têtes de bétail qui sont abattues, représentant quasiment 4 millions de kilogrammes de viande ! Dans le détail, l’article montre que les Rennais consomment du bœuf, du veau, du porc, mais aussi, à la différence d’aujourd’hui, de la chèvre et du cheval ! Ajoutons de surcroît que ces statistiques ne mentionnent que la viande rouge et ne sauraient donc être représentatives de la nourriture de ces habitants puisque la volaille, et notamment la fameuse poule coucou !, est ici oubliée. C’est donc bien le constat d’une alimentation richement carnée qu’il convient ici de faire, même si celui-ci doit bien entendu être pondéré par le niveau de revenus. Si les Rennais consomment en 1935 plus de 110 000 kilos d’huitres, celles-ci ne sont gageons-le pas présentes sur les tables des familles les plus nécessiteuses.

Et pour accompagner tout cela ? Bien peu de légumes… Ce sont en effet près de 100 millions de pommes de terre qui sont consommée à Rennes au cours de l’année 1935, celles-ci étant présentes dans tous les menus et sous toutes les formes : « Le ragoût n’oserait apparaître sur la table sans pommes de terre ; le beefsteak ou la côtelette aux pommes, pommes frites, pommes paille, pommes au beurre, sont classiques ; la purée de pommes de terre fait à la saucisse un lit moelleux et doré ; chaque jour en famille ou au restaurant les mâchoires, aussi bien celles des riches que celles des plus humbles, écrasent ce précieux tubercule ».

La salle de restaurant de l'hôtel Du Guesclin à Rennes. Carte postale. Collection particulière.

Bref, même si les Rennais consomment en 1935 près d’un million de kilos d’oranges, plus de 600 000 kilos de bananes et qu’ils ne rechignent ni au fromage ni au poisson, il n’est pas besoin d’être un grand nutritionniste pour soupçonner une alimentation très – trop ? – riche. Ce d’autant plus que 100 millions de patates n’empêchent pas la consommation de plus de 14 millions de kilos de pain ! Or, loin d’effrayer L’Ouest-Eclair, ces chiffres sont au contraire considérés comme étant une excellente nouvelle : « N’est-ce pas la preuve que nos compatriotes ont bonnes dents, bon estomac et, partant, bonne santé ? ». Il n’est pas certain que les médecins qui seraient amenés à lire cet article partagent cet avis…

Erwan LE GALL

 

 

1 « Ce que Rennes consomme de viande et de denrées de première nécessité en une année », L’Ouest-Eclair, 38e année, n°14 341, 11 février 1936, p. 7.