Jean et Jules Trémel, deux frères à Saint-Denis

De par leurs engagements militants politique et associatif, les deux frères Trémel, Jean et Jules, tous deux originaires des Côtes-du-Nord, ont profondément marqué de leurs empreintes la diaspora bretonne de Saint-Denis lors de la première moitié du XXe siècle.

Jules Trémel, premier à gauche, en 1933, lors d'un pardon organisé par l'Amicale des Bretons de Saint-Deis. Cliché: Amicale des Bretons de Saint-Denis.

Cette communauté bretonne à Paris et sa banlieue s’accroît de manière exponentielle à partir de la fin du XIXe siècle. D’après l’abbé Gauthier, qui a écrit une thèse sur ce phénomène migratoire dans les années 1950, on en compterait ainsi près de 100 000 dans tout le département de la Seine en 1896.1 Parmi ceux-ci, plusieurs milliers – en majorité originaires des Côtes-du-Nord2 – s’installent à Saint-Denis, connue jusque là pour sa nécropole royale. Dans ce qui est parfois appelé le Manchester français, ils trouvent à se faire employer dans les usines de la Plaine Saint-Denis – une vaste zone située entre le centre historique de Saint-Denis au nord, Saint-Ouen à l’ouest, Aubervilliers à l’est et Paris au sud. Leurs employeurs sont la Société du Gaz de Paris et son usine à gaz du Landy installée en 1889 (le Stade de France se trouve actuellement à cet emplacement), la Société du chemin de fer du Nord, des usines de produits chimiques, de produits pharmaceutiques ... Travaillant dans des conditions difficiles, les Bretons sont qualifiés, en 1898, de « parias de Paris » par le père Rivalain parce que « c’est au Breton que l’on donne les travaux dont personne ne veut ! A l’usine, à l’atelier, au chantier, tout est assez bon pour lui […] il s’attèle aux besognes les plus ingrates, quelquefois même les plus délétères ».3

Parmi ces Bretons qui migrent vers Saint-Denis à cette époque, on compte les deux frères Trémel. Jean, l’aîné de la famille, est né le 31 décembre 1869, tandis que Jules est né le 3 juin 1884. Leurs parents, Yves et Marie Julienne, exercent les professions de sabotier, pour le père, et d’aubergiste-cabaretière, pour la mère, dans le bourg de Plussulien, une petite commune du Centre-Bretagne. En 1888, comme de nombreux autres habitants des arrondissements de Guingamp, Lannion et Loudéac, Jean part à Saint-Denis, où il est engagé comme télégraphiste à la Compagnie du chemin de fer du Nord. Il habite alors dans le boulevard de Châteaudun (aujourd’hui boulevard Jules Guesde). Son frère, Jules le rejoint dix ans plus tard en 1898, alors âgé d’à peine plus de 14 ans. Il est embauché « à la tannerie Combe [pour] deux sous de l’heure, pour des journées de dix à douze heures ».4

Sensible aux conditions de travail difficiles de ses compatriotes bretons, et acquis aux idées socialistes, Jean fonde en 1898 le Groupe socialiste breton. Par la suite, engagé à la SFIO, il est élu conseiller municipal de Saint-Denis en 1904. Il devient le porte-voix de tous ces travailleurs bretons de Saint-Denis, qui représentent près de 10% de l’électorat dionysien. Quand en 1912 les socialistes décrochent la mairie, sous la houlette de Gaston Philippe, il est naturel que Jean Trémel devienne adjoint au maire. Un poste qu’il occupe jusqu’à sa mort prématurée le 15 avril 1921, à l’âge de 52 ans.

Jules Trémel, son frère, prend la relève. Alors qu’il exerce désormais le métier de chauffeur-livreur dans l'entreprise Delaunay-Belleville, il est élu conseiller municipal en 1925 sur la lite « bloc Ouvriers et paysans », présentée par le Parti communiste français. Dans les années 1930, Jules joue un rôle de premier plan dans la vie communautaire des Bretons de Saint-Denis, mais aussi dans la vie politique locale. Adhérent de l’association des Bretons émancipés de la région parisienne, qui a été fondée par Marcel Cachin, le directeur de L’Humanité et Paimpolais de naissance, Jules Trémel est également à l’origine de la création de l’Amicale des Bretons de Saint-Denis en 1933. En 1936, il pèse de tout le poids électoral des Bretons, via l’intégration de son Amicale au Front populaire local, pour faire chuter « pour mauvaise gestion municipale » le maire Jacques Doriot, qui a dérivé du communisme vers le fascisme à travers la création du Parti populaire français. En 1938, cette double appartenance communiste et bretonne prend une nouvelle dimension avec la création du Pardon de Saint-Denis. Lors de la Seconde Guerre mondiale, Jules Trémel est arrêté en 1943 et est interné au camp de Pithiviers dans le Loiret. A la Libération, il est réélu conseiller municipal et devient même adjoint au maire en 1959, à l’âge de 75 ans. Un poste qu’il occupe jusqu’à son décès en 1964.

Carte postale. Collection particulière.

Dans la seconde moitié du XXe siècle, Saint-Denis continue à être une ville de migrations. Mais ces migrants sont désormais originaires d’autres horizons que celui de la péninsule bretonne. Pourtant, en 1991, c’est bien Patrick Braouezec, un descendant de ces Bretons qui accède au poste de maire de Saint-Denis.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

 

1 GAUTIER, Elie, L’émigration bretonne. Où vont les Bretons migrants. Leurs conditions de vie, Paris, Bulletin de  l’entr’aide bretonne de la région parisienne, 1953, p. 65.

2 MOCH, Leslie Page, The Pariahs of yesterday. Breton Migrants in Paris, Durham and London, Duke University Press, 2012, p. 44.

3 Discours du père Rivalain lors du congrès de 1898 des associations ouvrières de Saint-Brieuc, cité dans VIOLAIN, Didier, Bretons de Paris. Des exilés en capitale, Paris, Les Beaux Jours, 2009, p. 29.

4 Témoignage de Jules Trémel, fils de Jules, recueilli par Didier Violain, cité dans Ibid., p. 62.